L'agave et ses multiples transformations
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Son aspect est pour le moins surprenant et son origine résolument exotique. C'est aussi une plante d'une grande importance économique : l'agave est à l'origine d'une des boissons alcoolisées les plus répandues et d'un édulcorant très branché. Par François Couplan
Lorsque je me rendis pour la première fois sur la Côte d’Azur, aux environs d’Agay, je fus surpris d’observer des sortes de grands poteaux télégraphiques qui jaillissaient d’immenses rosettes de feuilles bleutées dont j’appris vite à me méfier. Ces longs appendices foliacés possédaient la consistance d’un cuir de barbier – à l’époque, les coiffeurs faisaient encore la barbe à leurs clients en aiguisant la lame de leur rasoir pliable sur une planchette recouverte de cuir. Surtout, elles étaient bordées d’aiguillons acérés et terminées par une pointe sombre assez effrayante ! J’appris par la suite que les Indiens d’Amérique tiraient parti de cette dernière en l’utilisant comme une aiguille déjà enfilée, car les longues fibres de la feuille s’y trouvaient solidement fixées. J’expérimentai moi-même cette particularité bien pratique lorsque je vécus dans les déserts américains et dus parfois réparer mon pantalon déchiré. Saviez-vous d’ailleurs que la cordelette que vous utilisez pour ficeler vos colis est souvent faite en sisal (Agave sisalana), une proche parente de notre plante ? C’est de l’agave qu’il s’agit – d’un agave plutôt, car il en existe de nombreuses espèces. Cette belle américaine (Agave americana) fut introduite du Mexique par les conquistadors espagnols au XVIe siècle et a depuis allégrement envahi le pourtour méditerranéen.
Quand et quoi cueillir ?
• Piña (tronc) : toute l’année
Les agaves faisaient partie de la nourriture de base des peuples amérindiens du sud-ouest des États-Unis et du Mexique. Mais sa préparation demande un important travail. Pour consommer la plante, il faut tout d’abord couper ses feuilles à la machette et ne conserver que le tronc de la plante – en espagnol, on parle de piña, ananas, car sa forme évoque ce fruit – que l’on met à cuire plusieurs heures dans un four souterrain formé de pierres sur lesquelles on a fait longuement brûler un feu, l’ensemble étant recouvert de terre. Le résultat est...
brun, sucré, aromatique – avec un goût de caramel – et très nutritif. On le trouve parfois en vente, au Mexique, sous forme de tranches savoureuses.
En fait, vous avez certainement déjà consommé de l’agave ainsi préparé, mais de façon un peu plus élaborée. Je m’explique : le jus extrait par pression du tronc caramélisé d’un agave (Agave tequilana) est fermenté puis distillé pour obtenir un alcool connu sous l’appellation de mezcal ou tequila, du nom d’une ville de l’État de Jalisco. L’agave est également à la base d’une autre boisson, le pulque, plus simple à préparer, car il suffit de couper la hampe florale au moment où la plante va fleurir et d’en creuser la base pour former une cavité où s’accumule le jus sucré, l’agua miel. Ce dernier est récolté à l’aube et se met rapidement à fermenter à la température ambiante. On peut le boire à plusieurs stades : frais et très doux ; puis plus ou moins chargé en alcool selon l’heure du jour. Il se met alors à pétiller comme du champagne. Cette boisson mexicaine traditionnelle était progressivement tombée dans l’oubli, mais elle revient à la mode chez les jeunes Mexicains branchés. Si le jus extrait de la piña est concentré au lieu d’être fermenté, on obtient le sirop d’agave. Ce dernier est vanté pour son index glycémique relativement bas, mais décrié du fait de sa haute teneur en fructose : une consommation excessive pourrait entraîner une résistance à l’insuline, un risque majoré de maladie cardiovasculaire et une augmentation du développement de la stéatose hépatique non alcoolique. Tout est dans la mesure !
Dans la nouvelle classification APG (Angiosperm Philogeny Group), les agaves appartiennent à la même famille que les asperges, les Asparagacées. Il est vrai que la jeune hampe florale naissant juste du centre de la rosette de feuilles ressemble étonnamment à une asperge géante. Cette dernière se développera au bout de dix à quinze ans pour donner l’immense « poteau » que je vous ai décrit plus haut, la hampe florale qui fleurira, fructifiera puis mourra au bout de quelque mois et finira par s’effondrer au vent. La plante elle-même ne meurt pas pour autant, puisqu’elle survit par ses nombreux drageons.
Herbier
L’agave (Agave americana) est une plante vivace pouvant atteindre une dizaine de mètres de hauteur. Elle forme d’immenses rosettes de feuilles épaisses et charnues, d’un vert bleuté et parfois rayées de jaune pâle dans leur longueur, dont chacune peut atteindre jusqu’à 2 m de longueur et 25 cm de largeur. Les feuilles du centre de la rosette sont dressées, puis elles se recourbent souvent vers le bas. Elles sont bordées d’épines crochues et se terminent par une longue épine brune acérée.
La hampe florale qui pousse à partir du centre de la rosette de feuilles est ramifiée vers le sommet. Elle porte un grand nombre de fleurs jaunes et vertes disposées en panicules. La pollinisation est assurée par divers animaux : oiseaux, chauves-souris, papillons de nuit et autres insectes. Le fruit est une capsule oblongue de couleur sombre à maturité, contenant de petites graines. Les tiges souterraines produisent de nombreux drageons. Originaire du Mexique et du sud-ouest des États-Unis, cet agave est largement naturalisé sur tout le pourtour méditerranéen, en Inde, au Pakistan et en Chine. On le cultive fréquemment pour l’ornementation. Arrivée en Europe en 1520, la plante y est considérée comme une espèce exotique envahissante.
Recette sauvage
Ingrédients 3 cuillerées à soupe de sirop d’agave • 2 cuillerées à soupe de miso • 2 cuillerées à soupe de sauce soja • 1 cuillerée à soupe de vinaigre de riz • 1 gousse d’ail • 1 morceau de gingembre frais • 1 cuillerée à soupe d’huile de sésame • Graines de sésame • 2 aubergines moyennes • Oignons verts.
Préparation
- Dans un bol, mélanger le sirop d’agave, le miso, la sauce soja, le vinaigre de riz, l’ail finement haché, le gingembre râpé et l’huile de sésame.
- Couper les aubergines en deux dans le sens de la longueur, les disposer sur une plaque de cuisson recouverte de papier sulfurisé, côté chair vers le haut.
- À l’aide d’un pinceau, badigeonner généreusement les aubergines avec la marinade à l’agave et au miso.
- Enfourner les légumes à 200°C et les laisser cuire pendant 30 minutes environ, jusqu’à ce qu’elles soient tendres et légèrement caramélisées.
- Disposer les aubergines laquées sur des assiettes. Saupoudrer de graines de sésame et d’oignons verts émincés.