Jeffersonia, la fleur du président La belle histoire du nom des plantes
Les jeffersonias rendent hommage à l'un des pères fondateurs des États‑Unis, le président Thomas Jefferson, homme d'État, philosophe et savant. Mais cet illustre personnage avait aussi sa part d'ombre.
Les jeffersonias sont d’élégantes petites plantes de sous-bois de la famille des berbéridacées, originaires d’Amérique du Nord ou d’Asie, dont la principale espèce, Jeffersonia diphylla, est cultivée dans les jardins pour sa floraison précoce et décorative. Bien avant l’arrivée des Européens, elle était employée dans la pharmacopée traditionnelle de peuples indiens tels que les Iroquois, pour traiter bon nombre d’affections, notamment urinaires. Bien qu’elle ne soit plus utilisée actuellement, elle contient de la berbérine, une substance potentiellement utile, et la recherche se penchera peut-être sur ses propriétés dans l’avenir.
C’est un médecin et naturaliste américain, Benjamin Smith Barton (1766-1815), professeur à l’université de Philadelphie après avoir suivi des études en Europe, qui donna son nom au genre Jeffersonia en 1793. Il honorait...
ainsi l’un des pères fondateurs des États-Unis, Thomas Jefferson (1743-1826), qui avait rédigé en grande partie la Déclaration d’indépendance de 1776 et avait joué un rôle capital lors de la guerre contre le colonisateur britannique. La paix revenue, ce francophile fut nommé ambassadeur à Paris en 1785 puis, revenu aux États-Unis en 1789, il y fut de nouveau un homme politique de premier plan. Il était secrétaire d’État au moment où Barton publia l’article relatif au genre Jeffersonia, et il allait devenir par la suite vice-président (1797-1801), puis président des États-Unis (1801-1809). Il était par ailleurs un intellectuel et un savant. D’ailleurs, lorsqu’il créa le genre Jeffersonia, Barton précisa bien qu’il faisait référence à la compétence de Jefferson en botanique et en zoologie, et non à sa personnalité politique. Il ne songeait pas non plus à ses positions sur le sujet de l’esclavage : or, celles-ci nous apparaissent aujourd’hui déconcertantes, car si Jefferson, héritier de la philosophie des Lumières, fit interdire la traite, il ne put ou ne voulut pas aller jusqu’à abolir la possession d’esclaves, et lui-même, issu d’une famille de planteurs, en possédait des centaines sur ses terres.
Une telle attitude ambiguë pourrait amener à remettre en cause le nom Jeffersonia : en effet, le Congrès international de botanique a récemment admis la possibilité de modifier des noms à connotation raciste, ou rendant hommage à des personnages ayant promu l’esclavage ou d’autres doctrines mortifères. Jefferson lui-même, à ce jour, n’est pas concerné, mais rien n’empêche que son cas soit réexaminé dans l’avenir. Or, si les raisons qui motivent de telles modifications sont légitimes, leurs conséquences possibles suscitent des interrogations de la part des biologistes. La nomenclature scientifique est un sujet complexe, qui requiert le plus de stabilité possible : en changeant un nom d’espèce ou de genre employé depuis des décennies ou des siècles dans les textes de référence et les bases de données, ne risque-t-on pas d’introduire de la confusion, particulièrement à l’heure où l’inventaire précis de la biodiversité représente un enjeu majeur pour la protection de la nature ?