Dossier
La revanche des légumes (1/4)
Les vertus des légumes et leur impact positif sur nos comportements alimentaires sont désormais explorés et valorisés par la science. Corollaire: une prise de conscience citoyenne sur l’importance de privilégier le bio, la saisonnalité ou encore le local. Aujourd’hui, les légumes retrouvent des couleurs, et le consommateur la banane !
Un marché de légumes bio en forte croissance
Nous sommes de plus en plus nombreux à vouloir manger davantage de légumes, et de meilleure qualité : Amap, Ruche qui dit oui et autres groupes d’achats, toutes ces démarches ont connu une forte progression ces dernières années, permettant aux consommateurs d’avoir accès à des produits locaux. On compte aussi de plus en plus de maraîchers en agriculture biologique, un développement qui vient répondre à la demande d’une société inquiète, et à raison, des résidus de pesticides retrouvés dans les légumes conventionnels. Ainsi, les surfaces bio s’accroissent fortement depuis 2007, pour atteindre 4,5 % de légumes bio sur le marché en 2014, soit une augmentation de 9 % par rapport à 2013. Les potagers fleurissent, même en ville, et les jardins collectifs sont pris d’assaut par les citoyens qui doivent parfois attendre plusieurs années avant d’obtenir un petit coin de terre à cultiver. Même au supermarché, ça bouge au rayon des légumes : les variétés anciennes font leur retour, et on trouve dans certains magasins des «Gueules cassées», des légumes non calibrés ou présentant des petits défauts d’aspect et qui sont habituellement jetés.
La revanche des légumes semble être en marche. «Mais elle ne sera pas simple», relativise Nabil Hasnaoui, ingénieur agronome fondateur du bureau d’études Alimenterres. Il rappelle les difficultés actuelles du secteur maraîcher: l’accès au foncier, le manque de recherche sur les alternatives agricoles que sont le bio ou la permaculture, ou encore le fort besoin en main-d’œuvre de cette production qui fait augmenter les coûts de productions. « Dans notre société, on considère que le développement doit permettre aux ménages de consacrer moins d’argent à l’alimentation pour favoriser d’autres dépenses », déplore l’agronome. Ainsi, la grande majorité des Français ne mangent pas assez de légumes.
Le manque de temps apparaît comme une vraie barrière, les consommateurs estimant que les légumes sont difficiles et longs à préparer. Certaines personnes croient aussi souvent, et à tort, qu’elles en mangent déjà assez. Or, au regard de tous leurs bienfaits, les légumes méritent qu’on y investisse du temps et/ou de l’argent ! Michel de Lorgeril, cardiologue et chercheur au CNRS, est affirmatif : « Toutes les populations en bonne santé et ayant une bonne qualité de vie, avec une bonne espérance de vie, en consomment beaucoup. »
C’est dans les années 1980 qu’a émergé la prise de conscience sur la nécessité de prévenir l’apparition des maladies chroniques en favorisant la consommation de légumes. «Au même titre que les fruits, les céréales complètes et le poisson, il faut augmenter leur consommation quand on veut équilibrer son alimentation», précise Marie-Josèphe Amiot, directrice de recherche à l’INRA au département Alimentation humaine. En plus d’apporter des nutriments essentiels au fonctionnement de notre organisme (vitamines et minéraux), ils nous protègent des maladies. En effet, de nombreuses études épidémiologiques ont montré une corrélation entre une consommation plus élevée de légumes – et de fruits – et un risque plus faible d’être atteint par des maladies cardiovasculaires et certains cancers. Cependant, les liens de causalité ne sont pas encore démontrés, même si diverses études chez l’animal et in vitro indiquent clairement que les micronutriments des légumes sont bénéfiques pour notre santé.
En outre, les légumes se substituent généralement à d’autres aliments dont l’excès est nocif, tels que les viandes rouges, les produits laitiers et les sucreries. « Chaque portion supplémentaire de 80 g diminue le risque de pathologie cardiovasculaire de 4 à 7 % (sur une période de huit à 10 ans, ndlr), avance Marie- Josèphe Amiot qui se réfère à deux études parues en 2006 (Dauchet) et 2007 (He). Cela vaut dès la première portion, et si l’on arrive à cinq par jour, on diminue son risque d’au moins 20%.» Ce constat nutritionnel met dans le même panier les fruits et les légumes. Le Dr Michel de Lorgeril, à l’origine des premières études sur le régime méditerranéen, estime que l’on devrait inverser le slogan : « Si les grands mangeurs de légumes – et aussi de légumineuses – sont en général effectivement protégés, ce n’est pas systématiquement le cas des grands mangeurs de fruits », écrit-il dans son dernier ouvrage «Le nouveau régime méditerranéen». Le spécialiste questionne : « On peut se demander si les fruits ne contiendraient pas beaucoup de substances toxiques tels que les pesticides.» En Australie, la préconisation est d’ailleurs plus précise que celle que nous connaissons (« cinq fruits et légumes par jour »), avec la formule « Go for 2+5 », qui conseille deux fruits et cinq légumes par jour.
Des légumes plutôt que des fruits
7 portions de fruits et légumes par jour seraient préférables pour optimiser ses chances de vivre le plus longtemps possible: c’est la conclusion de l’university collège de Londres qui a analysé les données d'enquêtes alimentaires nationales portant sur 65226 personnes de plus de 35 ans entre 2001 et 2008. Selon les chercheurs, les légumes seraient plus protecteurs contre le cancer et les maladies cardiovasculaires que les fruits: pour deux à trois portions, le risque diminuait de 19% pour les légumes et 10% pour les fruits. Les légumes frais étaient associés à la plus forte protection, suivis par la salade et les fruits. Les jus de fruits ne conféraient aucun bénéfice, alors que les fruits en conserve semblaient augmenter le risque, sans doute à cause du sirop sucré.
Journal of Epidemiology and Community Health, 2014
Le bio, parce qu’il le vaut bien
Une méta-analyse rassemblant 343 publications scientifiques a montré que les légumes bio ont une concentration en antioxydants nettement plus élevée, de 19 % à 68 % pour certains polyphénols et flavonoïdes. Ils présentent moins de métaux lourds et évidemment moins de résidus de pesticides. Les légumes bio restent malheureusement plus chers. En 2014, selon la fédération Familles rurales, ils affichaient un prix moyen de 3,40 euros contre 2,15 euros pour les légumes conventionnels. Mais comme votre santé n’a pas de prix...
British Journal of Nutrition, 2014
Les légumes les plus pollués
L’ONG Pesticide Action Network Pan Europe a publié l’an passé un guide pour les consommateurs soucieux de se protéger des pesticides, qui sont également des perturbateurs endocriniens. Ces derniers semblent en effet entraîner des désordres hormonaux comme la baisse de la fertilité et des maladies comme l’obésité et les cancers. Sur la base de données publiées par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), l’ONG en déduit une liste de fruits et légumes particulièrement pollués : la laitue, la tomate et le concombre peuvent être exposés à une vingtaine de pesticides perturbateurs endocriniens différents... Le poireau et le poivron arrivent juste derrière. On le répète, privilégiez le bio !
À savoir
La recommandation de consommer au moins cinq fruits et légumes par jour est très ancienne. Elle apparaît dans le guide alimentaire de l’USDA (Département d’agriculture des États-Unis) de 1916. En 1991, des études scientifiques incitent le National Cancer Institute à reprendre le slogan « 5 par jour pour une meilleure santé» outre-Atlantique.
Ne dites pas aux enfants que c’est bon pour leur santé !
Plusieurs recherches récentes se sont intéressées au problème des enfants qui refusent de manger des légumes. Ce comportement pourrait être instinctif, permettant de se mettre à l’abri du danger potentiel d’ingérer des végétaux toxiques ou de se blesser au contact de certaines parties de plantes à épines. Les parents doivent donc rassurer les enfants afin de baisser cette barrière défensive. Mais ils ne doivent pas trop en rajouter ! Une étude américaine a montré que si un aliment était présenté comme utile à la santé, les enfants risquaient d’anticiper une mauvaise saveur, et donc moins en manger. En outre, des chercheurs européens réunis en consortium conseillent de ne pas s’alarmer si un bébé n’accepte pas un légume la première fois qu’il lui est proposé ; il faut essayer rapidement de « L’automne », d’Arcimboldo. le lui présenter à nouveau, et ce jusqu’à 8 à 10 fois en quelques semaines, pour avoir des chances qu’il soit accepté.
Psychological Science, 2014 Journal of Consumer Research, 2014 www.habeat.eu