L’aromathérapie à l’hôpital - Du changement dans l’air
Les 6 et 7 octobre dernier, près de deux cents participants se sont réunis à Grasse pour assister au Congrès international Phyt’Arom, dédié à l’utilisation de l’aromathérapie en milieu médical et hospitalier. Une preuve que cette discipline y trouve sa place et suscite un réel engouement. Néanmoins, en France, l’usage des huiles essentielles à l’hôpital reste surtout complémentaire. Il est temps de leur accorder toute la crédibilité qu’elles méritent.
Lavande, citron, eucalyptus… par petites touches, les huiles essentielles (HE) se sont fait une place dans l’hôpital français, notamment dans les services de gérontologie, de soins palliatifs et d’oncologie comme complément à la médecine conventionnelle, pour améliorer le confort des patients, de leurs proches et du personnel soignant. Depuis une dizaine d’années, l’utilisation des huiles essentielles répond à une volonté du personnel soignant d’améliorer la prise en charge de la douleur, la gestion du stress et de l’anxiété des patients, là où la médecine moderne peine à trouver des solutions. Utilisées diluées dans des huiles végétales sous forme de « toucher-massage », en diffusion dans les couloirs du service ou dans la chambre, les HE font preuve d’une efficacité largement ressentie dans l’amélioration du bien-être des patients. Mais les études cliniques visant à prouver scientifiquement les bénéfices de l’utilisation des huiles essentielles à l’hôpital sont rares et difficiles à mettre en application dans ces services où la prise en charge est surtout orientée vers le confort.
Pour le Pr Jacques Kopferschmitt, médecin au CHU de Strasbourg, il est aujourd’hui indispensable d’« identifier et [de] présenter un mécanisme plausible permettant d’expliquer l’efficacité thérapeutique [des HE]. Car leur meilleure chance d’être intégrées, c’est-à-dire d’être considérées comme une thérapie complémentaire sérieuse, est de prouver leur valeur clinique réelle », explique-t-il. En effet, si la grande partie de la communauté médicale et scientifique encore réticente aux thérapies dites alternatives ne dispose pas d’explications crédibles et de résultats probants, elle ne bougera pas. Il est temps que l’enthousiasme initial fasse place à une utilisation raisonnée, validée et sûre de l’aromathérapie pour donner à cette discipline une chance de trouver une place dans tous les services de l’hôpital.
Les exemples d'utilisation des huiles essentielles se multiplient
« Hum, cela sent bon ici… » Il est étonnant que la visite d’un service de gériatrie ou d’oncologie suscite de tels commentaires. C’est pourtant le cas dans un nombre croissant de ces services en France. Bien qu’encore loin d’être aussi développée que chez nos voisins européens, les exemples se multiplient d’une utilisation réussie des HE pour améliorer le confort des patients : menthe poivrée contre les nausées et les vomissements, lavande, petit grain bigarade ou mandarine pour soulager l’anxiété et aider à l’endormissement sans entraîner d’effets secondaires (chutes liées à la prise de sédatifs), agrumes pour lutter contre les mauvaises odeurs. Même le Plan Alzheimer défini par le gouvernement en préconise l’usage, tandis que plusieurs études ont déjà montré l’intérêt des huiles essentielles comme la lavande vraie dans le cadre de cette pathologie, notamment pour calmer l’agitation ou stimuler la mémoire. Dans l’unité de soins palliatifs de l’hôpital Joseph Ducuing à Toulouse, l’équipe du Dr Claire Chauffour-Ader a recours aux huiles essentielles en diffusion, mais aussi dans les pansements de certaines plaies nécrosées pour lutter contre les mauvaises odeurs. Au centre hospitalier de Grasse, l’aromathérapeute Isabelle Sogno-Lalloz travaille de concert avec les équipes soignantes pour proposer des soins de support aux personnes suivies dans le service de cancérologie. Sous forme de massages, de bains de pieds, d’enveloppements, l’utilisation des HE est un véritable outil de soutien émotionnel pour les malades. Régulièrement, la thérapeute organise des ateliers de confection de sticks olfactifs qui sont aussi l’occasion...
d’échanger et de partager. « Il se passe plein de choses durant ces ateliers », raconte-t-elle, « on rit, on pleure, bref, c’est aussi une façon de libérer la parole et de recréer du lien. »
Le problème, c’est que bon nombre de chefs de service sont encore frileux, voire hostiles. Pour ces détracteurs de l’aromathérapie à l’hôpital, les études d’impact de ces protocoles sont biaisées. En effet, la bienveillance du soignant envers les patients et l’attention supplémentaire induite par la mise en place du protocole joueraient à elles seules un grand rôle dans l’effet apaisant, même sans huile essentielle. « C’est ce que les chercheurs appellent l’effet Hawthorne », précise l’aromathérapeute Françoise Couic-Marinier, qui assure le suivi de la formation de nombreux soignants.
Assainissantes, antimicrobiennes…
Des preuves scientifiques, de bonnes formations et des protocoles ciblés, voilà peut-être ce qui manque à l’aromathérapie pour asseoir sa légitimité à l’hôpital et étendre sa place à tous les services.
En effet, bien que plusieurs études in vitro aient déjà montré les multiples propriétés des huiles essentielles, elles se limitent le plus souvent à une utilisation de confort. Mais pourquoi des HE comme celle de thym ou de tea trea, capables d’agir sur des pathogènes comme le staphylocoque doré, n’intéressent-elles pas la communauté médicale, confrontée à l’antibiorésistance ? Pourquoi ne pas diffuser des huiles essentielles assainissantes et anti-microbiennes comme celles de ravintsara, de niaouli, de thym ou d’orange douce par le biais des systèmes de ventilation des hôpitaux, pour lutter contre les infections nosocomiales ? Ou utiliser de l’origan ou de la lavande dilués sur les plaies infectées ?
Une dynamique d’expérimentation
Pour l’instant, certes, quelques expérimentations cliniques existent, mais elles se déroulent surtout en Allemagne ou en Grande-Bretagne. Par exemple, en Allemagne, une étude publiée en 2000 a démontré l’efficacité du mélange Olbas (synergie constituée d’huiles essentielles de menthe poivrée, d’eucalyptus, de cajeput, de gaulthérie, de genièvre et de girofle), habituellement utilisé pour lutter contre les rhumes et refroidissements, sur des plaies infectées par différents pathogènes courants à l’hôpital et responsables d’infections et de maladies nosocomiales (Escherichia coli, Staphylococcus aureus et Pseudomonas aeruginosa). Résultat ? Après une semaine de médication, pas moins de 88 % des plaies traitées par les huiles essentielles étaient guéries, contre seulement 62 % de celles soignées par des antibiotiques. « Malheureusement », déplore le chercheur en pharmacie allemand Jürgen Reichling, « la plupart des études valables sont ignorées par la communauté médicale ».
En France, l’avancée vers l’aromathérapie comme alternative aux médicaments ou aux produits sanitaires rencontre les mêmes problèmes. On entend, ici et là, parler d’un protocole de recherche clinique visant à prouver l’efficacité des huiles essentielles sur les infections post-chirurgicales, d’un autre visant à assainir et désinfecter les locaux et le matériel… Pour l’instant, les responsables de ces services sont prudents, et les protocoles sont tenus secrets tant que les projets n’ont pas abouti favorablement. « Il faut dire que les lobbies des produits d’hygiène sont très puissants », soupire Françoise Couic-Marinier.
Peut-être la filière manque-t-elle aussi d’encadrement. Pour pallier cela et engendrer une dynamique d’expérimentation, un pôle d’experts (pharmaciens, médecins, infirmières), appelé « Groupe argumentaire » travaille sur la mise en place de recommandations en matière d’aromathérapie pour les professionnels de santé. Déterminer les critères de qualité des huiles essentielles et leur mode d’administration en toute sécurité, faire face aux lourdeurs administratives, définir les compétences et niveaux de formation requis… Autant de points qui devront constituer une base scientifique pour guider l’enseignement, la pratique et l’évaluation de l’aromathérapie en milieu hospitalier et médico-social et permettre ainsi aux médecins d’établir des protocoles validés et encadrés… La publication de leurs recommandations est attendue pour la fin de l’année 2017. Gageons que la démarche impulsera une dynamique afin que l’aromathérapie puisse élargir son domaine à l’hôpital.
L’aromathérapie, une affaire de femme ?
L’aromathérapeute Isabelle Sogno-Lalloz organise des ateliers à l’hôpital et forme de nombreux soignants dans les Alpes-Maritimes. Depuis deux ou trois ans, l’utilisation des huiles essentielles « bourgeonne » dans un nombre croissant d’hôpitaux, pour soutenir les malades atteints de cancers ou les personnes âgées. Même dans certaines maternités, des huiles essentielles comme celle de vanille, réconfortante, commencent à être utilisées. Mais dans les services qui accueillent des thérapies alternatives, je remarque que les chefs de service sont presque toujours des femmes. Les hommes semblent plus réticents à s’ouvrir à ce type d’approche. À l’hôpital d’Antibes, par exemple, en cancérologie, l’équipe est quasiment entièrement composée de femmes, et elles sont très motivées. Cette propension féminine se retrouve aussi chez les patients : mes ateliers sont composés à 90 % de femmes. À savoir Selon une étude brésilienne de 2014, les bulbes olfactifs féminins contiennent en moyenne 47 % de cellules en plus que ceux des hommes. Peut-être une explication de l’engouement féminin pour les huiles essentielles !
Et chez nos voisins ?
• En Allemagne, l’aromathérapie est utilisée depuis longtemps dans différents services, dont ceux de maternité, d’oncologie et de soins palliatifs. En effet, ce pays est déjà habitué aux approches originales : la médecine anthroposophique est régulièrement associée à la médecine moderne, et les enveloppements, compresses, massages ou autres bains de pieds sont presque monnaie courante.
• En Grande-Bretagne, 90 % des services de soins palliatifs utilisent l’aromathérapie comme complément aux soins. En maternité, les huiles essentielles sont parfois utilisées pour aider le travail. Certains aromathérapeutes sont même salariés des hôpitaux ! Pourtant, même dans ces pays, l’usage des huiles essentielles comme alternative aux médicaments reste balbutiant.
À l’EHPAD de Clisson, la grippe, c’est fini !
Tout commence en 2014, lorsque les pharmaciennes Marie-Georges Legrand et Sylvie Vinet décident d’introduire un rayon aromathérapie dans leur officine. Afin de pouvoir conseiller leurs clients, elles suivent une formation, ce qui les amène à proposer à l’hôpital de Clisson la mise en place de protocoles d’aromathérapie. Par chance, leur proposition rencontre un accueil favorable. Ainsi, depuis 2014, on diffuse dans les couloirs de l’hôpital un mélange d’huiles essentielles d’agrumes (citron, pamplemousse) l’été, pour lutter contre les mauvaises odeurs. L’hiver, c’est un mélange contre les infections virales composé de citron, ravintsara et eucalyptus radié qui embaume les couloirs. Résultat ? « Nous n’avons pas de preuves scientifiques de cela, juste des constats, mais nous avons remarqué qu’il n’y avait plus de grippe à l’EHPAD et moins de gastro-entérites et de rhumes depuis que nous diffusons ce mélange. Nous proposons aussi, sur prescription médicale, des mélanges personnels au cas par cas », explique Marie-Georges Legrand. « Par exemple, récemment, un patient en fin de vie avait un problème de brûlure dans la bouche qui ne se réglait pas avec le traitement classique. Nous lui avons proposé un mélange d’huiles essentielles de menthe, girofle, citron. Cela a été efficace et lui a permis de manger de nouveau. »
À diffuser largement
Le pharmacien hospitalier et spécialiste en aromathérapie Michel Faucon est convaincu que l’emploi de nombreuses synergies d’huiles essentielles pourrait être systématisé à l’hôpital. En voici deux exemples : Formation d’escarres • 12 gouttes d’HE de lavandin super • 10 gouttes d’hélichryse italienne • 6 gouttes d’HE de laurier noble • 10 ml d’huile végétale de calophylle • 30 ml d’huile végétale de rose musquée Assainir l’air • 3 volumes d’HE d’eucalyptus de Smith • 3 volumes d’HE de sapin baumier • 3 volumes d’HE de lavandin clone super • 2 volumes d’HE de bois de Hô • 2 volumes d’HE de citron jaune (essence). La Gériatrie par les huiles essentielles, de Michel Faucon, éd. Sang de la Terre, 301 p., 36 e