Se soigner au Laos, le pays des moyas
Au Laos, la médecine traditionnelle jouit d’un statut légal et est reconnue par le ministère de la Santé depuis l’indépendance du pays en 1975. Les médecins qui la pratiquent, appelés « moyas », puisent dans une riche pharmacopée constituée principalement de bois, de branches et de racines. Nous les avons rencontrés là où ils exercent leur métier, souvent dans des conditions très rudimentaires.
Tous les acteurs de santé le soulignent : c’est la médecine traditionnelle qui constitue la colonne vertébrale du système de santé au Laos. Le pays est d’ailleurs souvent cité en exemple par l’OMS pour ses efforts d’intégration de cette médecine traditionnelle au sein du système conventionnel. La population laotienne doit faire face à des problématiques de santé qui sont celles des pays du Sud, avec un clivage entre des populations citadines et rurales, et des groupes ethniques vivant dans des zones très reculées. Si les citadins commencent apparemment à souffrir de maladies métaboliques (ou dites « non transmissibles ») tels les problèmes cardio-vasculaires, le diabète et les complications qui s’ensuivent, les infections, qu’elles soient bactériennes, virales ou parasitaires comme le paludisme, sont encore les principaux défis que doit affronter au quotidien la majorité de la population. Avec, pour tous, un taux non négligeable de maladies neurologiques et une prévalence très élevée du cancer du foie.
La médecine traditionnelle est pratiquée par les moyas (c’est ainsi qu’on appelle là-bas les médecins traditionnels), qui sont reconnus officiellement et soignent en s’appuyant sur un riche éventail de plantes. Ils se différencient en cela des chamanes, qui agissent sur le monde des esprits. Il est impressionnant de voir le nombre de personnes qui viennent les consulter, toutes catégories sociales et tous âges confondus : bébés, jeunes enfants, personnes âgées… La maladie, au Laos comme ailleurs, n’épargne personne, et les cas sont souvent graves, étant donné la faible couverture médicale du pays et le manque de personnel formé dans les petites structures de santé publique, ainsi que la pénurie de produits pharmaceutiques. Ces moyas jouissent donc d’une grande popularité. Bien qu’installés dans des villages parfois éloignés des routes principales, ils sont très consultés, non seulement par des patients vivant dans leur entourage proche, mais aussi par des familles qui viennent pour certaines de contrées lointaines (parfois de Thaïlande) et qui ont fait plusieurs jours de voyage pour accompagner leur parent malade.
En effet, le rôle des moyas ne se borne pas à une simple consultation. Ils ont aussi très souvent une ou plusieurs pièces, mises à la disposition des malades et de leur famille, lorsque les cas sont graves et nécessitent plusieurs jours de traitement. La famille du patient participe alors à toutes les activités domestiques de la maison, à la préparation de la nourriture, à la récolte des plantes médicinales et à leur formulation en remèdes, voire aux activités agricoles, si nécessaire. En fait, c’est elle qui va prendre soin du malade, lui appliquer les traitements, réaliser les massages prescrits, et c’est aussi toute la famille qui participera aux rituels de guérison, qui reposent souvent sur...
le don d’offrandes soigneusement préparées, accompagnées de récitations de mantras, et qui se déroulent durant les jours auspicieux fixés par l’astrologie.
Un petit paquet de plantes
En général les consultations sont rapides et les moyas semblent toujours pratiquer leur art avec beaucoup de motivation et d’énergie, même pour les plus âgés d’entre eux : après une anamnèse, durant laquelle la personne (ou la famille) est invitée à décrire son problème de santé, le moya examine la peau du patient, ses yeux, sa langue, procédant éventuellement à une palpation et prise de pouls. Si le cas n’est pas trop grave, la personne repartira avec un petit paquet de plantes (principalement racines, bois et branches) déjà séchées, bien taillées en petits bâtonnets, assemblées et toutes prêtes à être utilisées. Ou bien le moya ira rechercher les plantes nécessaires conservées en vrac dans une pièce attenante à la salle de consultation. Plus rarement, des éléments animaux (coquillages et autres produits de la mer provenant des plages de la Thaïlande voisine, dents, cornes et os de mammifères, peaux de serpent, etc.) font aussi partie intégrante du traitement. Chez certains moyas, la quantité de matériel végétal emmagasiné pour servir aux patients est telle qu’on s’interroge sur leur approvisionnement… Souvent, tous ces remèdes proviennent de récolteurs spécialisés, ce qui pose la question de la durabilité de ces ressources. Et ce, d’autant plus que, dans la majorité des cas, ce sont les racines qui sont utilisées. Une spécificité que l’on retrouve dans presque toute l’Asie du Sud-Est.
Plusieurs modes de préparation sont utilisés. Le plus courant est la décoction. Il existe aussi une technique particulière (fon), dont l’ancienneté est attestée par des découvertes archéologiques : il s’agit de frotter des racines ou des branches sur une petite pierre en grès et d’entraîner les parcelles avec un peu d’eau. C’est ce mélange d’eau et de particules solides en suspension qui doit être donné au malade plusieurs fois dans la journée. Pour les douleurs de type rhumatismal, un autre mode de préparation consiste à râper très finement des parties dures de plantes jusqu’à obtenir une sorte de sciure, placée dans une étoffe fine que l’on referme. Enfin, certains moyas fabriquent eux-mêmes des médicaments plus élaborés en concentrant des décoctions jusqu’à l’obtention d’une pâte molle qui sera roulée pour faire des pilules.
Jusqu’à 13 ingrédients par formule
Si le premier geste de la consultation est souvent le dépôt d’une offrande devant une petite reproduction du Bouddha, le prix de la consultation n’est pas fixé. Un petit bol recueille les contributions laissées par les patients, qui repartent avec leur paquet de plantes, et elles peuvent varier considérablement, allant de 2 à 20 euros, voire plus.
Les moyas appellent les remèdes qu’ils prescrivent suut (« formules »). Chacune peut contenir jusqu’à 13 ingrédients, est parfaitement mémorisée et correspond à une pathologie précise. En effet, cette médecine laotienne est une proche parente de l’ayurvéda, et elle se fonde sur un système nosologique bien établi, déjà décrit dans des manuscrits faits de feuilles de lataniers, dont les plus anciens remontent au XVe siècle.
M. Nouang.
Âgé de 68 ans, il exerce comme moya depuis vingt-huit ans. Il s’est formé auprès de son oncle et de celui qu’il désigne comme son maître (ajan), qui avait lui-même appris son art d’un moine bouddhiste. Une bonne partie de l’apprentissage s’effectue dans l’enceinte des temples. Il va chercher les plantes dans la forêt, et préfère utiliser des racines, des écorces et quelques produits animaux (coquillages, cornes). Il soigne tout le village et les localités voisines et rend visite à ses patients chez eux. Certains viennent aussi de provinces éloignées, voire du Vietnam et de Thaïlande. Il reçoit plus de 200 personnes par an. Il aimerait former des élèves, mais déplore le peu d’intérêt que les jeunes du village témoignent à son art. Un désamour qu’expliquent selon lui la longueur et la difficulté de l’apprentissage.
M. Vilaysack
Âgé de 58 ans, cela fait trente ans qu’il pratique la médecine traditionnelle. Son père, ses grands-pères et ses arrière-grands-pères étaient des moyas. Un de ses grands-pères était très reconnu, et il en a hérité un grand nombre de cahiers sur lesquels sont consignés des cas et des traitements. Dans sa salle de consultation, on trouve à la fois des plantes et des produits pharmaceutiques. Il a formé quatre personnes, qui étaient initialement ses patients. Pour lui, l’argent ne doit pas être la motivation pour travailler comme moya. Parfois, l’hôpital lui adresse des patients ; il reçoit environ 300 personnes par an, venues de provinces voisines et de l’étranger. Il y a un espace dans sa maison où il peut accueillir des malades durant plusieurs semaines si nécessaire. À proximité se trouve un grand pan de forêt préservé où poussent certaines plantes médicinales. Il s’y rend régulièrement pour compléter son approvisionnement. Il traite toutes les pathologies qui peuvent se présenter et même les affections neurologiques et les psychoses.
M. Khampud
Il a 70 ans et a appris la médecine traditionnelle au monastère, puis a complété sa formation auprès d’un médecin du centre de médecine traditionnelle. Il s’est spécialisé dans la technique du souffle, qui consiste à souffler sur la partie malade du patient en s’étant préalablement concentré et en ayant récité des mantras. Mais il fait aussi un grand usage des plantes médicinales, qu’il va chercher dans les montagnes à 20 kilomètres de là. Beaucoup de personnes viennent le voir pour traiter le cancer du foie. La relève semble assurée, puisque deux de ses petits enfants sont très intéressés par son art et commencent à apprendre avec lui. Ainsi, commente-t-il, « la sagesse ne sera pas perdue ».
Petits tampons de plantes anti-douleur
Un mode traditionnel d’administration des remèdes, en particulier en cas de douleurs musculaires ou articulaires, consiste à confectionner un petit baluchon avec une toile fine, dans lequel on aura enveloppé des racines ou des écorces très finement râpées. Ce petit paquet thérapeutique est ensuite exposé à la vapeur dans la marmite à riz et, lorsque l’ensemble est bien chaud, on tamponne les endroits douloureux ou bien tout le corps, en fonction de l’effet recherché.
Quelques offrandes avant le traitement
Il est très commun, avant d’engager un traitement, de faire des offrandes aux bouddhas dans le cadre d’un rituel au cours duquel on récite prières et mantras. Les « boîtes à offrandes » sont réalisées au moyen de produits végétaux, bambous tressés, fleurs, fruits, feuilles de bétel, auxquels on joint des bougies, et parfois des petites bouteilles de parfum ou d’eau parfumée