Dossier
L'héritage des sorcières (1/4)
Personnages redoutés ou thérapeutes de la dernière chance, les sorcières étaient incontestablement détentrices de secrets pour soulager mille maux. La traque organisée au fil des siècles contre ces rebelles savantes semble loin. Dotées de pouvoirs surnaturels ou expertes en vertus médicinales des plantes, que savent aujourd'hui ces femmes libres ?
Les sorcières, une histoire de femmes
Il était une fois… une vieille femme au nez crochu aux terribles pouvoirs maléfiques… Ce portrait de la sorcière que l’on retrouve encore dans de nombreux livres d’enfants s’est imprimé dans notre imaginaire… L’archétype est très ancien : il remonte à l’Antiquité, quand certaines femmes officiaient lors des fêtes païennes liées à la nature… Mais « le terme de sorcière apparaît seulement vers 1160, il est lié à la pratique d’arts magiques et divinatoires », précise Alexandre Berbellini, doctorant à l’EHESS. Quelques siècles plus tard, à la fin du Moyen Âge, (fin XVe) les sorciers commencent à être pourchassés avant que la répression se concentre exclusivement sur les femmes, jusqu’au XVIIe siècle. Cortège de procès, tortures et bûchers. La chasse aux sorcières touche plusieurs dizaines de milliers de femmes dans toute l’Europe occidentale. Les réquisitoires débordent d’accusations plus invraisemblables les unes que les autres y compris dans les cours civiles. On racontait ainsi que pour aller au Sabbat, elles enduisaient leur balai de sucs...
de plantes toxiques comme la jusquiame.
Une figure positive
Qui étaient ces femmes et de quels pouvoirs disposaient vraiment celles qui furent pendant deux siècles victimes d’un véritable génocide ? Le portrait en creux qui se dessine décrit le plus souvent une femme du peuple vivant seule à la campagne, plutôt âgée et détenant un savoir empirique, associant magie et tradition de soins. Elles fournissaient des philtres et des potions, soignaient les malades et les blessés, aidaient les femmes à accoucher, parfois à avorter.
Ainsi apparaissent des personnalités fortes, indépendantes, rebelles parfois. Une figure positive qui inspire aujourd’hui nombre de femmes. À l’heure du #MeToo, de l’intérêt pour le végétal et le naturel, ce n’est sans doute pas un hasard. Magiciennes, guérisseuses ou femmes libérées, elles incarnent une façon moderne d’être au monde. « On est à la fin d’un cycle, des idéaux masculins de progrès » résume la naturopathe Odile Chabrillac. Parmi elles, des herboristes, des thérapeutes férues de remèdes naturels, énergétiques ou vibratoires, revendiquent la filiation. Tremblez, tremblez, les sorcières sont de retour !
Dans la mémoire des herboristes d’aujourd’hui
Présidente de la Guilde des herboristes au Québec, Caroline Gagnon fait le lien entre la chasse aux sorcières de la Renaissance et les difficultés actuelles des herboristes.
« On sait qu’il existe une mémoire collective, en lien avec un traumatisme dont a été victime une communauté. Cette chasse aux sorcières qui a concerné des milliers de femmes, sur une longue période, marque encore les herboristes. Leur difficulté à retrouver un statut est liée à ce passé. Ils ont intégré une mémoire du danger que représente le fait d’exercer ouvertement ce métier. Et ce, même si ces femmes étaient des femmes de savoir, guérisseuses, des empiristes sachant observer, les scientifiques de l’époque, en quelque sorte. Mais des cicatrices subsistent. Et j’attends le jour où on demandera pardon pour le massacre des sorcières, pour toutes ces femmes et hommes qui en fait représentaient un obstacle au clergé et au pouvoir. »