En Mongolie, la tradition à l'épreuve de la mondialisation
La chute de l'empire soviétique s'est accompagnée, dans les steppes mongoles, d'une renaissance de la médecine traditionnelle. Mais ce retour à un savoir ancien soumet aussi la flore médicinale locale aux aléas de l'économie de marché… Revue de contrastes.
La Mongolie est grande comme deux fois et demie la France, mais peuplée d’à peine trois millions d’habitants. Couvert de steppes et de déserts, délimité à l’ouest par les montagnes de l’Altaï, le pays possède une flore médicinale riche, dont quelques plantes rares et étonnantes comme le saxaoul (Haloxylon aphyllum) et une belle diversité d’armoises, de cassis, d’argousiers et d’aulx sauvages. Adaptés à un rude climat continental (on compte parfois jusqu’à 100 °C d’écart, dans le désert de Gobi, entre été et hiver), ces végétaux ont toujours été utilisés par les populations locales pour se soigner.
La médecine mongole, d’abord empreinte de chamanisme, a ensuite été largement influencée par la médecine tibétaine, au gré des échanges culturels liés à la conversion au bouddhisme des nomades mongols. Ainsi, on retrouve ici les mêmes traités de pharmacopée qu’au Tibet, mais réinterprétés avec la flore du pays puis commentés et développés par des médecins mongols et bouriates (ethnie vivant à la frontière nord de la Mongolie, du côté russe), souvent issus de l’univers monastique. Ce que l’on peut qualifier de médecine tibéto-mongole va fructifier pendant plusieurs siècles, jusqu’à l’avènement du communisme dans les années 1930. Le parti unique au pouvoir va alors mettre en œuvre une chasse aux « superstitions » à l’origine de purges et de destructions sanglantes touchant moines bouddhistes, chamans et tradipraticiens, mais aussi les textes de référence. À cette époque, certains cachent des ouvrages au prix de leur vie, et continuent à transmettre leur savoir dans la clandestinité.
Dans les années 1990, la chute de l’empire soviétique permet la résurrection des pratiques et même leur revalorisation, en ce qu’elles incarnent l’identité réprimée de tout un peuple. Mais cela s’accompagne d’un passage brutal à l’économie de marché, qui livre les plantes de la steppe aux appétits peu...
régulés des grands systèmes médicaux mondialisés, tels ceux de la médecine tibétaine et surtout chinoise.
La nouvelle génération valorise les savoirs anciens
L’État mongol démocratique reconnaît rapidement la médecine traditionnelle et l’intègre dans tous ses établissements hospitaliers. Des cliniques privées spécialisées voient le jour et une nouvelle génération de médecins, dont nombre de femmes, reprend le flambeau, actualisant les savoirs anciens. Ils publient des traités modernisés associant les dernières données de la botanique et souvent de la chimie, ils participent à des échanges internationaux. Cette démarche est distincte du chamanisme mongol, lui aussi en pleine reviviscence – avec de nombreux néo-chamans répondant aux fantasmes occidentaux.
Entre médecine et chamanisme
Médecin le jour, chaman le soir, Urginkhand est aussi cueilleuse de plantes et éleveuse ; elle allie ces métiers sans état d’âme. Praticienne dans un petit hôpital du Khenti, elle ramasse dans la taïga, à la frontière mongolo-russe, le cassis sauvage, le thym de la steppe, l’épilobe, le delphinium, l’ortie, etc. Elle les revend sous forme de tisanes. Constatant la raréfaction de certains végétaux, elle réfléchit à en cultiver près de sa maison d’été.
Les Mongols sont friands de massages énergiques (réalisés avec de la graisse de mouton, parfois agrémentée de plantes), d’acupuncture pratiquée selon des règles particulières, de poses de ventouses, de soins de moxibustion (on applique sur des points d’acupuncture précis un bâton d’armoise en feu), de diètes incluant souvent du lait de jument et, bien sûr, de préparations complexes à base de végétaux et de minéraux. Comme dans les temps anciens, les thérapeutes participent eux-mêmes aux campagnes d’été de ramassage des plantes pour la pharmacopée de leur service ou de leur clinique. Et ils constatent avec inquiétude que nombre d’entre elles tendent à disparaître. Réchauffement climatique et sécheresse se combinent, en Mongolie, à l’augmentation de la pression humaine sur les ressources sauvages, qui plus est sur des variétés biologiquement très spécialisées. Bien que la médecine traditionnelle prévoie le remplacement d’une plante par une autre considérée comme équivalente, l’intensité du phénomène a fini par faire admettre la nécessité de mises en culture dès que c’est possible.
Cultiver les médicinales, c’est tout un art
Ainsi, une clinique traditionnelle s’est dotée d’un terrain proche de la capitale mongole, Oulan-Bator, pour cultiver certaines plantes et sécuriser ses approvisionnements. Il s’agit là d’une compétence nouvelle pour une société encore récemment totalement nomade, qui n’a donc que l’expérience de quelques monocultures alimentaires et de potagers. Or, la culture des médicinales de la steppe requiert des savoirs très spécifiques.
Ces dernières années, des collectifs de femmes se sont organisés pour produire des légumes, des petits fruits et des plantes médicinales afin d’assurer à leurs familles quelques revenus. Et certains cueilleurs travaillent à la mise en place de pratiques d’écocueillette, toutefois difficiles à contrôler dans l’immensité de la steppe. Aujourd’hui, la situation de la Mongolie illustre la nécessaire réflexion à mener sur la façon dont nous pouvons sauvegarder les ressources végétales. Dans un monde globalisé où l’attrait est très vif pour des pharmacopées exotiques, ces dernières, de plus en plus menacées, sont à protéger.
Menace sur la réglisse de l’Oural
Glycyrrhiza uralensis est une réglisse recherchée à la fois par les médecines traditionnelles mongole, chinoise (qui la nomment gan cao) et japonaise. Considérée comme une bet présente dans une multitude de compositions, elle est désormais en danger de disparition, bien que cultivable. Elle figure d’ailleurs sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN).