Symbiose Aurore et cardamine, une relation explosive !
Quoi de plus naturel qu'une petite chenille dévorant le feuillage d'une herbacée ? Observant la scène, nul ne pourrait se douter que se déroule sous ses yeux une véritable guerre chimique entre l'insecte et son hôte !
Contre-attaquer ou… être mangé ! Il en va ainsi du sort des végétaux qui doivent faire face aux attaques de multiples agresseurs, en particulier les insectes. En conséquence, la plupart ont développé un arsenal de défenses sophistiquées qui leur est propre. C'est le cas de la cardamine des prés (Cardamine pratensis) aussi appelée cresson des prés et plus généralement de toutes ses cousines de la famille des brassicacées (chou, moutarde, wasabi). Ces dernières détiennent une redoutable arme de répulsion anti-insectes, que les scientifiques nomment à juste titre Mustard Oil Bomb, littéralement « la bombe à l'huile de moutarde ». Nous en faisons nous-mêmes l'expérience chaque fois que nous consommons l'une de ces plantes : notre palais est alors emporté par une caractéristique saveur soufrée et piquante !
Pourtant, celles-ci ne sont pas épargnées par la voracité des insectes, en particulier celle des chenilles de la famille des piérides, bien connues des jardiniers. La cardamine des prés constitue le garde-manger privilégié de la progéniture du papillon joliment désigné sous le nom d'aurore (Anthocharis cardamine). À travers cet exemple, découvrons en quoi consistent l'armement des brassicacées et la parade des chenilles pour y échapper.
La cardamine des prés, est une plante vivace qui se développe dans les milieux frais et humides (prairies, berges des eaux, allées forestières). Elle se présente au début du...
printemps sous forme de rosette de feuilles composées de six à douze folioles arrondies. Sa floraison précoce intervient dès le mois d'avril. Ses fleurs, constituées de quatre pétales disposés en croix, sont rassemblées en grappe au sommet d'une tige dressée. Ses fruits sont de courtes siliques qui apparaissent à partir du mois de juin. Elles éclatent lorsqu'elles arrivent à maturité, dispersant ainsi les graines de la plante. Les feuilles de la cardamine fournissent d'excellentes salades sauvages, dont la saveur évoque celle du cresson (d'où son surnom de « cressonnette »). Celles-ci sont riches en vitamines A et C, ainsi qu'en minéraux. Elles contiennent également des composés chimiques soufrés (nitriles, sinalbine, isothiocyanates), responsables de cette sensation de piquant et de chaleur en bouche. Certaines de ces molécules, reconnues excellentes pour la santé humaine, sont cependant redoutables pour de nombreux insectes. Contenues comme à l'état de « latence » dans les organes végétaux, ces dernières ne sont sécrétées que lorsqu'un intrus vient à en grignoter tout ou partie. C'est alors que les chenilles entrent en scène !
L'assaillant assailli
Avec sa jolie parure, tout de vert marbrée, l'aurore est l'un de nos plus beaux papillons indigènes. Les imagos (adultes) émergent tôt au printemps, dès le mois de mars. Ce sont surtout les mâles que l'on remarque à leur grande tache orangée à l'extrémité des ailes. Les chenilles de l'aurore se nourrissent essentiellement des inflorescences et des fruits de leur plante hôte. Ainsi la période de floraison de la cardamine convient parfaitement à ce papillon précoce, dont les femelles doivent pondre rapidement afin que leur progéniture puisse se sustenter de ses mets favoris. Lorsque les jeunes chenilles lancent l'assaut, elles enclenchent la « bombe » par la mise en contact de deux substances compartimentées dans les vacuoles des cellules végétales : les glucosinolates et les enzymes myrosinases. Cette réaction chimique provoque la libération des redoutables composés soufrés, en particulier les isothiocyanates et la sinigrine, très toxiques. D'autres molécules peu offensives comme les nitriles sont également sécrétées. La parade de ces chenilles astucieuses pour pouvoir grignoter en paix, consiste à « prendre la main » sur la composition du mélange, en favorisant les substances non nocives. Pour ce faire, ces dernières possèdent dans leur salive une protéine particulière, fabriquée au niveau du tube digestif, qui inhibe la production des molécules toxiques au profit des nitriles ! L'existence d'un tel mécanisme de détoxification, aussi complexe et sophistiqué pour de « simples » chenilles en apparence, témoigne d'un long procédé d'adaptation et du lien ancestral qui unit les insectes et leurs plantes hôtes.
À chacun son astuce !
Comme la chenille de piéride de la cardamine, celle de la teigne des crucifères (Plutella xylostella), minuscule papillon nocturne, se nourrit de brassicacées, en particulier de feuilles de chou ! Cette dernière utilise cependant un mode de détoxification bien différent, en produisant une enzyme capable d'inhiber l'action des myrosinases sur les glucosinolates ! Elle s'épargne ainsi la formation des composés soufrés.