Le périlleux voyage des plantes sur les mers
Au XVIIIe siècle, les grands navigateurs ont ramené de véritables trésors végétaux sur pied. Des conditions de voyage difficiles qui très vite posèrent la question de leur préservation.
Son navire immobilisé sous les tropiques, le capitaine Gabriel de Clieu doit se résoudre à partager sa ration d’eau avec… des pieds de caféier. Nous sommes au début du XVIIIe siècle, et les précieux plants sont sur le point d’atteindre la Martinique pour la première fois, ouvrant la voie au développement de la culture des champs de caféier dans les Antilles françaises. À cette époque de grandes explorations, toutes les plantes « exotiques » n’ont pas eu cette chance. « Les voyages pour les Antilles duraient sept à huit semaines, et plus de sept mois pour l’Extrême-Orient. À peine 1% des plantes arrivait à destination », explique Yves-Marie Allain, ancien responsable du Jardin des plantes de Paris. Une des grandes difficultés était l’approvisionnement en eau douce. Bien sûr, il y avait les barriques chargées à bord pour l’équipage, mais cela ne suffisait pas. En pleine mer, il fallait parfois des miracles ou une sacrée ingéniosité pour trouver l’eau nécessaire à l’arrosage des végétaux. En 1836, le...
chimiste Peyre tenta d’accoler un alambic à la chaudière du navire afin de permettre la désalinisation de l’eau de mer. Pour protéger les plantes des embruns salés, elles étaient enfermées dans des caisses en bois fabriquées avec les moyens du bord. Et bien souvent, avec des bois précieux ! La mise au point par l’Anglais Nathaniel Ward de la caisse en verre, en 1830, fut à cet égard un réel progrès. Enfin, il fallait former les marins à la préservation de ces végétaux rares. En 1752, Henri Duhamel du Monceau, un des fondateurs de l’Académie de marine à Brest, y pourvoit avec un livre dédié au transport des végétaux par mer. Une fois à terre, l’aventure n’était pas terminée. Toute plante inconnue sur le territoire français devait être amenée au Jardin du Roi à Paris (l’actuel Jardin des plantes) pour des études botaniques et agronomiques. Ce fut le cas du liquidambar, aussi appelé styrax, rapporté du sud des États-Unis et cultivé à l’époque pour ses vertus diurétiques.
Avant de rallier la capitale, les végétaux faisaient une pause dans cinq jardins botaniques créés près des ports comme Brest, Rochefort, Toulon, Lorient et Nantes. Jusqu’au XIXe siècle, beaucoup de naturalistes pensaient en effet que toutes les plantes s’acclimatent n’importe où si on leur en laisse le temps. Ce n’est qu’après plusieurs échecs que les agronomes européens décidèrent de déplacer leurs essais de culture sous des latitudes plus adaptées, en l’occurrence dans les colonies. La canne à sucre par exemple, originaire de Nouvelle-Guinée, ne fut pas tout de suite cultivée en Martinique. À la fin du XIXe siècle, le transport des plantes s’améliore grâce aux navires à vapeur. Il faudra toutefois attendre le XXe siècle et l’amélioration des connaissances sur les végétaux pour développer le transport des graines et laisser les plantes dans leur habitat originel.
Un lieu de repos
Les jardins botaniques créés dans les ports permettaient aux pharmaciens de se former et de préparer la trousse médicale des navires, surnommée « coffre de mer », qui contenait essentiellement des remèdes à base de plantes. Ces lieux étaient également dédiés à l’acclimatation des plantes arrivantde lointaines contrées par bateau. On parle de « jardins reposoirs », où les plantes récupéraient de leur long voyage avant de rejoindre le Jardin du Roi à la capitale.