Sur la trace des endémiques crétoises
Les Crétois ont gardé un lien privilégié avec la nature. Les herbes demeurent très présentes dans leur vie quotidienne, et pas seulement dans leur célèbre régime. Il faut se rendre dans le village traditionnel de Krasi pour s’en rendre compte. Sillonné de ruelles étroites et de maisons blanches, il est notamment réputé pour son magnifique spécimen de platane âgé de plus de 1 000 ans qui trône sur la place, départ de notre balade. Son caractère insulaire – la Crête s’est séparée du continent il y a 5 millions d’années – lui confère une biodiversité unique au monde : 10 % de sa flore serait endémique.
À la sortie du village, la petite piste serpente à travers les jardins, où l’on peut observer la sauge à trois lobes, aussi appelée sauge de Grèce ou de Crète (Salvia fruticosa). Cette espèce est proche de la sauge officinale mais s’en distingue par ses feuilles souvent lobées en trois parties. Puissamment aromatique, elle dégage un parfum dans lequel on décèle des notes de camphre et d’eucalyptol, deux molécules contenues dans son huile essentielle. Les utilisations populaires de la sauge restent nombreuses, en particulier pour lutter contre les troubles digestifs, la fièvre et les infections. On en trouve des bouquets dans les échoppes de plantes aromatiques, et les cafés la servent en tisane sous le nom de faskomilo, souvent accompagnée de miel pour masquer sont amertume.
Un thym unique au monde
Sur les rochers pousse un thym à toutes petites feuilles et aux rameaux piquants (Thymus capitatus). Exposé au soleil et à la sécheresse, il développe ici un arôme extrêmement intense. Mâcher quelques feuilles laisse sur la langue un goût piquant d’huile essentielle.
Il contient majoritairement du thymol et du carvacrol, qui lui confère des propriétés antiseptiques et immunostimulantes. Préparé en alcoolature avec l’alcool local, le raki, il fait office d’un remède de choix contre les infections hivernales. Son nom, Thymus, vient du grec thyô (sentir bon, embaumer). Les Égyptiens l’utilisaient d’ailleurs pour la préparation des morts. Un thym 100 % crétois ? C’est possible, car la civilisation minoénne originaire de Crète, qui a rayonné dans toute la Méditerranée de 2 700 à 1 200 av. J.-C., pratiquait le commerce des herbes médicinales.
Il donne en outre l’un des meilleurs miels au monde, épais et doré, au goût unique et aux nombreuses vertus thérapeutiques, comme son pouvoir cicatrisant.
La piste passe ensuite dans une zone plus boisée, où les broussailles sont fournies principalement de cistes de Crète (Cistus creticus). Par temps chaud, la plante exsude une résine collante et odorante, le labdanum. Cette résine était très appréciée par les Grecs antiques qui lui reconnaissaient des vertus antirhumatismale, astringente et cicatrisante. Elle était récoltée directement sur la barbe des chèvres qui broutent la plante, puis sur des lanières de peau que l’on passe dans les buissons. C’est aujourd’hui un ingrédient d’avenir pour la cosmétique naturelle pour ses propriétés antirides et régénérantes de l’épiderme.
Plantes mythiques
Le chemin se poursuit dans une zone fortement pâturée, composée en grande majorité de plantes aromatiques ou épineuses. Si la végétation paraît dégradée, elle offre des habitats naturels très riches, abritant entre autres de nombreuses orchidées et géophytes, comme le magnifique iris de Crète (Iris cretensis). Dans ces zones rocailleuses, on rencontre deux espèces d’origan. Le premier, l’origan onites (Origanum onites), porte des fleurs blanches regroupées en corymbe qui le fait ressembler à une achillée. Il est employé dans les infections respiratoires ou intestinales. Quelques feuilles mâchées facilitent la digestion, ce qui en fait un ingrédient important de la cuisine crétoise, à l’image des souvláki (grillades aux herbes). Le deuxième, l’origan à petites feuilles (Origanum microphyllum), est beaucoup plus discret et son feuillage léger et argenté fait plus penser à la marjolaine. Son parfum est d’ailleurs beaucoup plus doux. Elle donne une tisane au goût agréable, aux propriétés calmantes et antispasmodiques, mais on peut penser que cette plante endémique et peu étudiée possède d’autres vertus à découvrir.
En redescendant vers le village, on remarque plusieurs bosquets de chênes. À leurs pieds pousse une plante mythique, la mandragore (Mandragora autumnalis). Elle se reconnaît à ses grandes feuilles en rosettes et à ses petits fruits
orange qui font penser à de petites tomates, plante de la même famille, les Solanaceae. Toute la plante, et principalement la racine, contient des alcaloïdes très puissants. Il s’agit sans doute du premier anesthésiant employé pour les interventions chirurgicales et les douleurs profondes. D’ailleurs, les médecins anesthésistes grecs l’ont gardée comme emblème. Mais son utilisation est très dangereuse, la paralysie qu’elle provoque pouvant entraîner la mort.
Peu avant le village pousse la mélisse de Crète, (Melisa officinalis ssp altissima), aussi appelée mélisse orange pour son arôme, la sous-espèce indigène en Europe. La variété citronnée cultivée dans nos jardins (ssp officinalis) est, elle, originaire des régions orientales. En médecine populaire, elle est utilisée contre les maladies de cœur et les contractions douloureuses liées à l’angoisse. Cette balade des sens se termine dans les ruelles du village, où trônent sur les terrasses des pots de dictame et de basilic exhalant de riches et suaves notes aromatiques.