Claire Poirrier « On va déguster des herbes aromatiques ! »
Claire Poirrier, néopaysanne en Bretagne, collabore avec des grands chefs comme Alain Ducasse pour apporter les saveurs inédites des plantes aromatiques et médicinales en cuisine. Monarde, thym citron, shiso ou encore menthe bergamote peuvent être valorisées de différentes façons pour sublimer les plats. Découvrons ces subtilités gastronomiques.
Plantes & Santé Dans votre ferme, en Ille-et-Vilaine, vous cultivez, avec votre mari Adrien, une cinquantaine de plantes aromatiques et médicinales. Comment cette production vous a-t-elle conduite à collaborer avec des chefs comme Alain Ducasse ?
Claire Poirrier Tous deux néoruraux, nous nous sommes installés, il y a huit ans, avec le projet de cultiver la terre et de faire de la médiation autour des plantes. Nous nous sommes d’abord formés sur le volet médicinal, à la ferme des Bonnes herbes de Kerlaoudet, dans le Finistère. Ces producteurs, qui avaient une sensibilité pour le goût, nous ont éveillés à cela. Adrien et moi étions gourmets. Mon grand-père avait aussi officié en tant que chef cuisinier. Nous avons rapidement pris la décision de nous orienter vers les infusions gastronomiques. Tout est allé vite, car il n’y avait pas d’offre dans ce créneau-là. Les chefs ont l’habitude de s’approvisionner auprès de maraîchers dont ce n’est pas la production principale. Nous avons donc développé une expertise sur la plante aromatique à destination de la restauration. Nous avons rencontré des parrains, tels que François-Régis Gaudry, présentateur de l’émission de cuisine, sur France Inter, et Alain Ducasse, chef au Plaza Athénée. Ces leviers nous ont apporté de la légitimité.
P & S Quelles plantes proposez-vous aux chefs ?
C. P. Comme ils ont une recherche globale sur la richesse des goûts qu’offre la nature, nous travaillons sur des plantes moins communes. Nous avons créé un mélange pour le cuisinier Julien Lemarié qui a 1-étoile au Guide Michelin pour son restaurant Ima, à Rennes. Avec un assemblage de trois basilics (pourpre, cannelle et citron) et de trois graines d’apiacées, il prépare son shabu shabu, une technique japonaise consistant à amener un bouillon sur une assiette dressée avec des tranches fines de poisson. Le cuisinier prépare à l’avance l’infusion et la verse au moment du service. Le poisson est nacré et s’imprègne des notes des plantes, tandis que le goût du poisson parfume le bouillon. Autre exemple avec le shiso aussi appelé basilic japonais ou périlla. On est sur des notes d’amandes, surprenantes, peu comparables à celles que nous consommons d’habitude. Les chefs l’utilisent souvent en jeune pousse et c’est dommage car son stade de maturité optimale arrive quand la plante fait ses premières fleurs, mesurant déjà un mètre cinquante ! Elle possède alors un spectre aromatique plus large et on se retrouve dans un univers japonisant. Le shiso se marie bien avec un poisson ou une salade crue de chou. Nous proposons aussi des espèces communes comme la verveine, les chefs étant demandeurs, car ils veulent les redécouvrir à travers notre savoir-faire.
Parcours
2008 Diplômée de Sciences Po Lille, Master Management de l’innovation sociale.
2009 Directrice d’un centre d’hébergement d’urgence pour migrants à Paris pour Emmaüs France.
2011 Lancement du projet l’Amante verte/Micamot, production de plantes aromatiques et librairie nature, jardinage, botanique, santé au naturel.
2013 Installation agricole et création de la marque d’infusions gastronomiques l’Amante Verte.
2017 Ouverture du café librairie et jardin La Table de l’Amante Verte, à Sixt-sur-Aff. www.amanteverte.fr
P & S Comment obtenez-vous une verveine d’une qualité gustative supérieure ?
C. P. Nous faisons un effeuillage en vert, c’est-à-dire que nous séparons les feuilles des tiges avant le séchage, afin de ne conserver que celles qui sont à pleine maturité. De plus, cet effeuillage accélère le séchage, limitant l’oxydation et la fermentation, et les plantes ne s’échauffent pas entre elles, car elles ne sont pas trop tassées. Nous avons un « dessiccateur conservateur », c’est-à-dire un séchoir à basse température (- 40 C°) afin de limiter la perte de molécules volatiles. Mais il y a auparavant une étape essentielle, liée à la vie des sols. Nous travaillons en agriculture bio, mais nous allons plus loin, car nous n’utilisons ni soufre, ni cuivre. Nous employons par contre des purins et des infusions de plantes ainsi que des préparations de bactéries vivantes pour stimuler la vie du sol. Nous conservons un enherbement car une terre à nue est une terre qui souffre. Nous travaillons dans le respect de notre terroir qui est une terre de landes, plutôt acide, et qui va donner du goût et du caractère à nos plantes.
P & S Vos variétés sont-elles particulières ?
C. P. Oui, car on n’attend pas la même chose pour cuisiner ou pour se soigner. Par exemple, un thym médicinal devra être camphré et contenir beaucoup de thymols, molécule aux vertus respiratoires. Nous allons en revanche préférer des thyms qui contiennent du linalol, des molécules citronnées et florales. Nous préférons aussi les plantes qui ont le spectre aromatique le plus large possible. De plus, les stades de récolte ne sont pas les mêmes en herboristerie et en gastronomie. Par exemple, le fenouil est récolté à pleine maturité si l’on vise un emploi médicinal : la graine devient un peu ambrée, couleur paille. Nous la récoltons en revanche encore verte, pour qu’elle n’ait ni amertume, ni ce côté réglissé en fin de bouche qui peut être désagréable et couvrir les autres saveurs. Elle a alors un côté plus piquant et frais qu’on retrouve dans le fenouil frais et qu’on aime déguster dans la tisane.
P & S Comme on a développé l’art d’associer sur le plan gustatif un plat avec un vin, peut-on en faire de même avec les infusions ?
C. P. C’est justement une partie de notre travail avec les chefs, à savoir introduire l’infusion dans le repas gastronomique. Nous parlons d’« accord met-infusion » lorsque la tisane apporte une réponse à un plat comme le ferait un vin. C’est déjà assez présent en Asie où les sommeliers sont formés aux conseils pour toutes sortes de boissons et
d’infusions. En France, je forme les professionnels de la restauration en leur montrant que cela demande du matériel, de la mise en scène et aussi des mots pour dire les goûts des plantes. Pour accompagner les desserts au chocolat ou au café, nous avons créé l’Ardente, un assemblage de basilic cannelle, de sarriette, de monarde et de graines d’angélique. Notre propos est de dire qu’elles peuvent avoir du goût, avec une intensité supérieure à un vin ou à un café. La sarriette a vingt minutes de longueur en bouche !
Préparer un sucre aux plantes
Il y a de nombreuses façons de capter le goût des plantes. On peut ainsi préparer des sucres aromatiques. La première étape consiste à réduire les plantes en poudre. « Attention à ne pas laisser fonctionner le système de lame en continu pour ne pas chauffer les plantes et volatiliser leurs principes aromatiques », avertit Claire Poirrier. Lorsque vous obtenez une poudre homogène et fine, mélangez-la au sucre en dosant une unité de plantes pour deux de sucre. Laissez reposer quinze jours à trois semaines pour que les goûts se fondent bien. « La poudre de plante est très intéressante en termes de conservation des notes aromatiques, car elle transmet les goûts aux aliments sans avoir besoin de passer par l’extraction », remarque Claire Poirrier qui recommande le thym citron, la verveine ou la menthe en sucre aromatisé à saupoudrer au-dessus d’un gâteau ou d’un yaourt.