Eco-lieux solidaires, l'inventaire des possibles

Ils sont des milliers en France à partager sur les réseaux sociaux et dans les médias leur quête d'une vie plus collective, plus solidaire et plus naturelle : « Famille avec deux enfants en bas âge cherche à créer ou rejoindre un éco-lieu », Julie. « Création en cours d'un éco-lieu collectif en Aveyron pour développer la permaculture et l'autonomie alimentaire… Installation prévue fin 2020 », Michel. « Recherchons une neuvième famille pour notre habitat intergénérationnel près de Rouen », Dominique.

Ces derniers mois, cette mouvance s'amplifie avec le confinement et la pandémie mondiale. La demande est telle que même des promoteurs immobiliers franciliens commencent à proposer des habitats participatifs. Significative aussi, l'inscription de 20 000 personnes au premier Sommet des Oasis, organisé en ligne en juin par Murielle Lekien de l'Oasis des 3 chênes : « À la fin du sommet, qui proposait une vingtaine de conférences sur la création d'éco-lieux, beaucoup de gens m'ont dit qu'ils avaient eu un déclic et qu'ils voulaient se lancer ». Benjamin Lesage, cofondateur en 2016 de la communauté végane Eotopia, située à Cronat, en Saône-et-Loire, constate aussi une hausse des demandes de résidents temporaires : « Nous sommes sollicités par des urbains, de 25 à 35 ans, aux métiers orientés vers l'informatique, le design, en tout cas des personnes connectées aux réseaux sociaux. Nous sommes ouverts tout en privilégiant ceux qui sont déjà engagés dans une démarche de changement de mode de vie. »

Un mode de vie plus simple

Changer de vie, une belle idée… mais pour quel modèle ? Loin des communautés ­hippies des années 1970, la tendance néo­communautaire s'incarne sous diverses formes et il peut ­s'avérer assez complexe de s'y retrouver. « Beaucoup de modèles coexistent entre éco-lieux, oasis, lieux spirituels, immeubles participatifs citadins, fermes collaboratives, en propriété privée, en location… », résume Gabrielle Paoli, administratrice de la coopérative Oasis, issue du mouvement ­Colibris de Pierre Rabhi, « mais le socle est commun avec l'envie de vivre plus sobrement, en mode collectif et autonome, en se relocalisant ». Les moteurs du changement sont variés : tisser des liens intergénérationnels, chercher l'autonomie alimentaire en cas d'effondrement économique, limiter son empreinte carbone. La motivation est aussi économique, car mutualiser des espaces de vie revient moins cher à plusieurs. Certains partagent seulement un terrain, un jardin potager avec des habitats individuels, d'autres mettent aussi en commun la cuisine, la buanderie, des chambres d'amis. Les plus engagés vivent dans la même maison avec un espace personnel réduit au minimum. Si les formes de coliving sont multiples, une forte aspiration les relie : un besoin matriciel de se reconnecter à la nature. La prise de conscience s'ancre avec l'envie de coopérer avec la terre plutôt que l'épuiser, d'appliquer les principes de la permaculture aux potagers, aux forêts nourricières mais pas seulement : « Quelle inspiration pour l'humain de voir une plante en jachère chercher la lumière, trouver sa place. La permaculture nous déconditionne de l'idée que nous sommes séparés de tout l'écosystème naturel », s'enthousiasme Loona de la communauté Eotopia. La nature qui nourrit le corps et l'esprit : « Les jeunes générations sont en quête d'un rapport plus équilibré à la terre, avec une vraie conscience écologique, c'est ce qui les guide. Nous, lorsque nous avons commencé à vivre en collectif avec mon compagnon, il y a plus de vingt-cinq ans, c'était en réponse à une problématique aussi sociétale qu'environnementale. Nous apprenons beaucoup de nos jeunes résidents passionnés de permaculture. Nous leur montrons aussi combien l'écologie intérieure et le travail sur soi sont essentiels pour vivre ensemble », ­analyse Dane ­Charrier qui a cofondé avec Alain Rebaud l'éco-lieu de Sainte-Camelle, à Saint-Victor-Rouzaud, en Ariège, un centre où beaucoup de porteurs de projets viennent chercher l'inspiration.

De l'utopie à la réalité

Évoluer sans se couper de la société, tendre vers l'autonomie, mais non pour vivre en autarcie, être en collectif sans oublier l'individu, un équilibre complexe à trouver pour nombre de collectifs. Car passer de l'utopie à la réalité passe par certaines étapes essentielles et présente des écueils… Jean-Philippe a vu sa motivation mise à rude épreuve depuis le début de son projet en 2011 : « Nous étions dix au départ, bien motivés. Puis, au fil des déboires juridiques successifs avec des lieux, des ruptures sentimentales et des clivages sur nos valeurs respectives, aujourd'hui nous ne sommes plus que deux, prêts néanmoins à reformer un groupe, forts de nos erreurs. » Et, même lorsque le groupe est soudé, vivre ses idéaux dans le monde réel demande un temps d'adaptation. Elsa est arrivée l'an dernier avec son petit Liri, 5 ans, dans la communauté Eotopia. Elle a bâti ses yourtes en pleine nature, à 50 mètres de la maison commune et lorsque l'hiver est arrivé : « Tous les deux jours, je devais chercher du bois de chauffage, dix litres d'eau pour la cuisine, nous laver et vider les toilettes sèches. C'était très lourd pour moi seule avec mon fils surtout lorsque je suis tombée malade. J'ai fini par louer une petite maison en ville tout en restant en contact avec le groupe. » Quant à vivre en autonomie alimentaire totale, c'est un objectif encore inaccessible. La ferme des Amanins de Pierre Rabhi, installée dans la biovallée de la Drôme, vit sur ses ressources seulement neuf mois de l'année. Mais l'idée en motive beaucoup : « Avec mon compagnon, nous avons séjourné dans plusieurs éco-lieux pour nous former au maraîchage bio, à la permaculture et à la traction animale », raconte Fanny qui travaille son projet d'habitat et de ferme collective depuis deux ans.

Des outils de financement citoyens

Ce qui conduit bien entendu à la question financière. Il faut des moyens autant pour acquérir ou louer un lieu que pour se nourrir, subvenir à ses besoins même quand on a bien réfléchi à tout ce dont on peut se passer et finalement asseoir un modèle économique viable sur place. La coopérative Oasis a développé un système de prêt solidaire : « Nous incitons les citoyens à placer leur épargne chez nous avec des défiscalisations possibles. Des fonds que nous ­prêtons ensuite aux porteurs de projets d'éco-lieux, explique Gabrielle Paoli. « En échange, ils nous versent 1,5 à 2 % du montant prêté et nous les accompagnons au niveau technique sur tout leur projet. » Ils bénéficieront aussi du réseau Oasis qui recense un millier d'éco-lieux en France. Réseauter, c'est l'une des forces de la génération actuelle qui sait habilement utiliser les nouvelles technologies pour servir ses idéaux. La mutualisation des ressources commence souvent sur Internet avant de se concrétiser sur le terrain : « Pour réussir son projet, il faut se constituer un réseau solide afin d'échanger des informations fiables. Un moyen aussi de trouver des cocréateurs de projets », conseille Siham, administratrice du site Vivre en habitat participatif, qui compte 9 000 membres. Toutefois, si les échanges virtuels peuvent aider, rien ne remplacera jamais l'expérimentation réelle. De plus en plus de collectifs accueillent des résidents temporaires. Histoire de sentir, goûter un nouveau mode de vie et, qui sait, se préparer à sauter le pas…

Adresses des éco-lieux cités : 

• Oasis des 3 Chênes (Portugal)
• Eco-village de Saint-Camelle 
• Etopia (Saône-et-Loire)
• Coopérative Oasis