Végétalisation urbaine
Sous le bitume, la terre !
Certes la végétalisation des villes commence à bien prendre racine et on s'en félicite , mais elle ne règle pas un problème crucial : nos terres sont de plus en plus imperméabilisées. En été, le thermomètre s'affole et lorsqu'il pleut, gare aux inondations. Et si on déminéralisait les sols ? Cette solution testée de plus en plus dans les cours d'écoles, intéresse aussi les grandes villes qui cherchent à mobiliser les citoyens.
Dans la cour de l’école élémentaire Jeanne d’Arc, à Paris, les pavés cèdent la place peu à peu à un sol de terre et de copeaux de bois sous le regard enthousiaste de la directrice Brigitte Vallet. C’est elle qui porte le projet depuis un an et demi : « Notre cour était entièrement pavée avec des soucis de canicule et de sol trop imperméable à la pluie. Nous avons décidé de déminéraliser la moitié de la cour pour revégétaliser, avoir moins chaud et recréer aussi du lien entre les enfants et la nature, avec notamment un jardin pédagogique ». Il aura fallu de l’énergie à Brigitte Vallet et plusieurs réunions de concertation avec les équipes pédagogiques, les parents et les riverains pour lever certains freins : « Certains pensaient que la nature c’est salissant, d’autres craignaient une logistique plus lourde à l’école mais au final, tout le monde a adhéré au projet ». Ce projet encadré par le programme européen Feder oasis, vise à rendre les cours d’écoles parisiennes plus résilientes. Il répond aussi à l’objectif de la Ville de Paris de débitumer et végétaliser 40 % de son territoire d’ici à 2040.
En régions aussi, on a commencé à chasser le bitume des écoles. À commencer par Lille qui a rénové presque toutes ses écoles en déminéralisant plus de la moitié des surfaces des cours de récré. Metz s’y met aussi avec son projet Cassons la croûte, même idée en territoire Rhône-Méditerranée et Corse avec Un coin de verdure pour la pluie. Cyril Pouvesle suit de près le sujet pour le Cerema, le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement : « La désimperméabilisation des sols en milieu urbain est une préoccupation croissante des villes. L’expérimenter dans les écoles est à la fois emblématique et efficace car le patrimoine scolaire représente une surface foncière importante ».
Des chiffres parlants
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23 500 hectares
C’est la surface moyenne artificialisée chaque année depuis 2016, et donc largement imperméabilisée. Une surface en train de remonter, note le Cerema, alors que ces dix dernières années montraient une baisse sensible de la consommation d’espaces naturels.
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2017, l’année de l’espoir ?
C’est la première fois que le chiffre de la construction dépasse celui de l’artificialisation des sols. En d’autres termes, on commence à construire en consommant moins de terres.
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500 000 hectares
Environ 500 000 hectares de terres agricoles ont été perdues en France en quinze ans, selon l’INRA.
Sols imperméables et inondations
Preuve que ce sujet est à la mode, plusieurs vainqueurs des dernières municipales ont affiché divers projets en ce sens. Exemple à Toulouse : la débitumisation d’une dizaine d’hectares sur l’Île Ramier a été annoncée pour y planter à terme 5 000 arbres. À Nantes, on abandonne le projet de parking souterrain au profit de quatre kilomètres de rives redessinées en cassant le béton des anciennes voiries. Les élus souhaitent certes verdir leur image mais ils commencent aussi à comprendre que la bétonisation à outrance pose des problèmes majeurs.
De fait, les experts font le lien entre des sols imperméables et la recrudescence des inondations en France, classées comme premier risque naturel. On se souvient notamment des images du Sud-Est sous les eaux avec des villages dévastés en septembre 2019. Pour mesurer l’ampleur réelle du problème, il faudrait connaître la surface de terre imperméabilisée, or cet indice n’existe pas encore. La seule donnée accessible, c’est celle de l’artificialisation des terres, 25 500 hectares par an en moyenne selon le Cerema. Certes, artificialiser en construisant des habitats et surtout des zones commerciales, ne veut pas toujours dire imperméabiliser le sol. Mais le constat est là, en ville comme à la campagne l’urbanisation rime encore malheureusement trop souvent avec béton.
Pour autant, débitumer est-ce la bonne réponse pour redonner aux sols leur capacité d’absorption ? En réalité, ce n’est pas aussi simple car, selon le Cerema qui accompagne des collectivités sur ce type de projets, « il faut d’abord cartographier les sols pour voir là où cette opération est possible et efficace, vérifier si le sous-sol n’est pas truffé de réseaux sensibles (électricité, gaz…) ou pollué. Auquel cas, l’eau risque aussi de contaminer la nappe phréatique. Du fait de ces restrictions, le potentiel de sol désimperméabilisable est quand même limité ». Donc, le bon sens serait déjà d’arrêter de concevoir des nouveaux quartiers avec du béton partout. Or, ceux qui sortent de terre aujourd’hui sont toujours dans cette dynamique, ayant été validés des années plus tôt. Pour autant, les aménageurs sont appelés à rapidement changer de dogme et économiser les surfaces construites, car la France veut arriver d’ici à 2030 au Zéro artificialisation nette. Déjà, tout plan local d’urbanisme (PLU) peut imposer un coefficient de biotope, c’est-à-dire un pourcentage de surface non imperméabilisée ou éco-aménageable pour préserver la biodiversité. Mais il faut accélérer encore le virage car nous sommes à la traîne européenne : nos voisins artificialisent bien moins de sols que nous. Pour inverser la vapeur, il faudrait renaturer 5 500 hectares de terres par an. On en est encore loin…
Les citoyens acteurs du changement
Certaines villes misent aussi sur leurs citoyens pour impulser le changement. Ainsi à Strasbourg, ils sont incités à faire une demande sur Internet pour déminéraliser un bout de trottoir ou de pied de murs : « La démarche est simple, il suffit d’aller sur notre site, de cocher la case “trottoirs” ou “façades” et de décrire son projet. Une étude de faisabilité est ensuite engagée. Bien sûr, il faut certains critères : par exemple des trottoirs assez larges pour garder un passage d’au moins 1,40 m pour les poussettes ou les personnes à mobilité réduite », explique Mina Charnaux du programme Strasbourg ça pousse. Dans cette ville, 71 projets sont en cours qui permettront de « décroûter » plus de 500 m2 ici et là. Ces initiatives portées par des communes, ou par certains collectifs d’habitants comme à Caen ou Paris (lire ci-dessus), sont encore timides car elles ne sont pas si faciles à mettre en œuvre. Débitumer nécessite l’intervention complexe de divers services techniques, une opération longue et coûteuse. Sans compter l’engagement demandé aux habitants qui doivent ensuite entretenir leurs espaces renaturés avec des plantations. Aussi motivés soient-ils, ils ne s’engageront pas longtemps s’ils constatent qu’on continue dans le même temps à urbaniser sans conscience.
Oxygéner nos sols et nos espaces de vie devient pourtant urgent pour limiter les catastrophes de type canicules, inondations et perte de biodiversité. Entre débitumisation et construction plus résiliente, un cercle vertueux s’amorce. Mais pour qu’il prenne de l’ampleur, l’État, les élus et les aménageurs vont devoir œuvrer dans le même sens.
La stratégie des petits pas
Débitumer un petit bout de trottoir ou de façade peut sembler bien dérisoire dans un monde ultra-bétonné. Mais nous créons ainsi des petits espaces naturels qui jouent le rôle de corridors pour les plantes et les insectes. Les multiplier, c’est permettre à la biodiversité de revenir dans nos villes et villages. Voici trois initiatives où les citoyens peuvent agir.
Strasbourg, ça pousse
Sur le site Internet initié par la ville, chaque habitant peut déposer sa demande pour créer un espace naturel en bas de chez lui, en ville. Quelques mois plus tard, si la commission valide le projet, les services techniques viennent déminéraliser le sol et mettre de la terre. Quelques graines sont offertes pour se lancer. Après quatre ans d’existence, le programme est encore en rodage avec moins d’une centaine d’actions en cours.
Pète ton bitume
Ce collectif du 10e arrondissement de Paris a lancé le premier « permis de débitumer » en ligne dans la capitale, en 2019. Son objectif : « sensibiliser les habitants aux problèmes liés aux eaux de pluie, à la chaleur pour qu’ils deviennent acteurs de leur ville. Il ne s’agit pas seulement de débitumer un bout de rue mais de s’engager à entretenir ensuite cet espace végétalisé et ça demande de la motivation ». Ils ont choisi la rue du Chaudron pour tester leur première débitumisation : le projet a été validé par la mairie, l’équipe d’habitants volontaires est constituée, reste à discuter encore de l’espace laissé aux stationnements, quels végétaux planter, comment arroser, et prévoir un petit budget plantations. Actuellement à Paris, à peine une dizaine de « permis de débitumer » ont été acceptés, il faut dire que les démarches sur le site sont particulièrement compliquées.
Caen au pied du mur
Cette initiative portée au départ par une poignée d’habitants est un succès. Depuis plusieurs années, l’association se mobilise pour « reprendre la main sur le minéraL » en plantant des fleurs aux pieds des murs des maisons et sur les trottoirs. L’idée a essaimé dans d’autres quartiers de Caen et communes alentour donnant un petit air champêtre. Chaque habitant motivé peut devenir ambassadeur pour sa rue, s’il arrive à convaincre au moins six voisins. Ils signent ensuite chacun une convention avec la ville qui vient pratiquer une petite saignée dans le bitume et mettre de la terre. Chaque ambassadeur est responsable du suivi de sa rue, à lui de motiver son équipe pour continuer à faire fleurir les trottoirs.