En Afrique, la médecine traditionnelle se mobilise face au Covid
La planète entière vit sous la menace du Covid-19 depuis bientôt deux ans. Si les scientifiques et les dirigeants misent sur la vaccination dans la majorité des pays, la pandémie semble avoir réveillé les ambitions de la médecine traditionnelle africaine. Qui entend bien apporter des preuves scientifiques de son efficacité. Une démarche soutenue et encadrée par l'OMS.
En mars 2020, la campagne du président malgache présentant la boisson Covid Organics à base d’Artemisia comme un fabuleux remède anti-Covid avait suscité les plus vives critiques… L’Organisation mondiale de la santé avait sonné l’alerte en mettant en garde contre un remède sans preuve scientifique. Mais en quelques mois seulement, le vent semble avoir complètement tourné. Aujourd’hui, non seulement Madagascar a persisté dans sa recherche et son remède CVO+ curatif (version améliorée du Covid Organics) fait l’objet d’un essai clinique de Phase 3, mais cette démarche est officiellement encadrée par l’OMS, qui soutient d’autres recherches sur des solutions naturelles anti-Covid ! Et ce n’est pas le seul pays africain à mener de tels travaux. En réalité, l’OMS Afrique coordonne et guide désormais quatorze pays de ce continent dans leurs recherches pour mettre au point de véritables traitements anti-Covid à base de végétaux. « L’OMS a élaboré des protocoles afin de confirmer la sécurité, l’efficacité et la qualité des médicaments à base de plantes anti-Covid. Elle a aussi surveillé l’avancement des essais cliniques en organisant des formations sur la contribution de la médecine traditionnelle pour répondre au Covid-19 avec des experts et des chercheurs», précise le Dr Ossy Kasilo, conseillère régionale chargée de la médecine traditionnelle pour l’OMS en Afrique.
À Madagascar, des essais de phase 3
Madagascar est pionnier dans les essais cliniques africains axés sur la médecine traditionnelle. Depuis juin 2020, une équipe étudie un remède issu de l’Artemisia annua : le CVO+ curatif. Des extraits de cette plante aux propriétés antivirales sont dosés pour chaque capsule à 150 mg d’artémisinine, 3,3 mg d’extrait de flavonoïde, 4 mg d’extrait terpénique. Il y a aussi 7,1 mg d’huile essentielle de ravintsara. L’essai en est à la phase 3, randomisé en double aveugle, comme l’impose le protocole. Après deux semaines de traitement sur 338 patients atteints de Covid, les résultats indiquent que le CVO+ curatif est « efficace à 87, 1% pour le traitement du Covid-19 de forme légère à modérée ». L’OMS doit envoyer ses experts sur place afin d’examiner ces données et d’émettre un avis scientifique indépendant.
Une pharmacopée à valoriser
Un comité d’experts sur la médecine naturelle a même été créé. Depuis juillet 2020, il s’est déjà réuni cinq fois. La dernière réunion, qui s’est tenue via internet peu avant Noël pendant trois jours, a bien illustré les avancées de ces travaux très ambitieux, mais aussi les freins auxquels ils sont confrontés. « À cause du faible accès à la vaccination en Afrique et des variants peu sensibles aux traitements actuels, nous avons tout intérêt à développer des médicaments à base de plantes sur notre continent, sachant que la majorité de nos populations recourt à la médecine traditionnelle », a souligné le Pr Alain Tehindrazanarivelo, l’un des rapporteurs de cette réunion. Toutes les équipes de recherche ont d’ailleurs insisté sur le potentiel de leur pharmacopée (testée et régulée) et l’urgence de la valoriser dans des traitements anti-Covid. Un enthousiasme palpable chez cette quarantaine de chercheurs issus de toute l’Afrique, s’exprimant depuis le Ghana, le Congo, le Botswana, l’Afrique du Sud, jusqu’au Cameroun ou encore l’Éthiopie… Certains n’hésitent pas à donner la composition des produits naturels testés déjà brevetés ; d’autres, plus nombreux, préfèrent garder ce type d’information pour préserver les droits de propriété intellectuelle.
Difficultés à recruter des patients suffisamment nombreux
Plusieurs démarches très diverses sont en cours sur le continent : la mise au point de compléments alimentaires donnés aux populations en prévention ou traitement, des études d’observation sur l’administration de traitements à base de plantes et, ce qui est le plus marquant, le lancement de quatorze essais précliniques et cliniques. D’autant que ces derniers doivent répondre aux normes de l’OMS. « C’est la condition requise pour répondre aux critères de sécurité, d’efficacité et de qualité afin que les résultats soient validés et reconnus ensuite par la communauté scientifique internationale », justifie le Dr Ossy Kasilo. Pour compléter le sérieux de la démarche, un cahier des charges concernant la collecte des plantes jusqu’au traitement post-récolte, ainsi que leur contrôle pharmacologique a également été mis en place.
Le sérieux, c’est ce qui frappe à l’écoute de la quinzaine de présentations des recherches, qui égrènent données chiffrées et graphiques. Les premiers essais cliniques ont démarré depuis l’été 2020 et les autres ont suivi progressivement. De fait, les pays n’en sont pas tous au même stade. Si Madagascar et la Guinée équatoriale terminent leurs essais cliniques de phase 3 avec des résultats jugés encourageants, le Burkina Faso a conclu, lui, ses essais de phase 2 sur l’apivirine. Ce phytomédicament béninois à base de Dichrostachys glomerata ou mimosa clochette « confirme une efficacité virologique, avec une évolution positive au bout de trois semaines de traitement sur les patients souffrant d’une forme modérée à légère du Covid-19 », rapporte le Pr Sylvin Ouedraogo, directeur de recherche en pharmacologie. Au Ghana, c’est la plante nibima (Cryptolepis sanguinolenta), utilisée dans la lutte contre le paludisme, qui est testée dans un essai de phase 2. Au Congo Kinshasa, une équipe expérimente le Doubase C, un traitement naturel anti-VIH, et le compare aux effets de l’azithromycine et de l’hydroxychloroquine. Mais les scientifiques disent tous buter sur deux problèmes majeurs : ils n’arrivent pas à recruter assez de patients pour leurs essais et les fonds manquent cruellement pour pousser les investigations plus loin.
L’OMS, consciente qu’il faut un nombre important de patients pour valider les essais, incite les équipes à mutualiser leurs cohortes entre pays. Concernant le financement, l’institution n’a pas vocation à investir de l’argent mais elle s’efforce de mobiliser les États africains. Encore faut-il qu’ils aient les moyens de financer ces projets cliniques très coûteux ! Autre frein évoqué, le scepticisme des médecins conventionnels : « J’ai dû supplier mes confrères cliniciens pour qu’ils acceptent de donner à leurs patients nos produits stimulants immunitaires et antiviraux », déplore Francis Ndemo. Ce docteur en pharmacie kenyan espère passer bientôt aux essais cliniques après la vaste étude d’observation qu’il mène actuellement. Pour autant, la médecine traditionnelle commence à être intégrée au système de santé publique dans certains pays. C’est le cas de la Tanzanie où, au-delà du covidoscepticisme du président défunt, « les tradipraticiens ont été impliqués avec les médecins pour élaborer des médicaments et vingt de ces remèdes sont autorisés officiellement contre le Covid-19 », rapporte le Pr Hamisi Malebo, du Conseil tanzanien pour la médecine traditionnelle. L’OMS met aussi en avant le Ghana où, depuis l’an dernier, une cinquantaine d’hôpitaux travaillent avec des phytothérapeutes issus de l’université.
Hâter la guérison des malades du Covid-19
Le Mozambique est l’un des pays les plus pauvres du continent africain. Avec 1 médecin pour 25 000 habitants, on comprend que la plupart des gens se tournent surtout vers les guérisseurs. Face au Covid-19, les autorités ont donc décidé d’intégrer pleinement la médecine traditionnelle au système de santé publique en soutenant la prise de cures préventives : des sirops à base d’ail, oignon et gingembre et des tisanes de feuilles de mélisse, manguier et mûrier. L’université de Maputo et le ministère de la Santé local ont aussi développé ensemble un nouveau complément alimentaire. Lancé l’été dernier, Ekume contient des farines de banane verte, sorgho, maïs et mil et de l’arachide. Un mélange ultra-protéiné destiné à « hâter la guérison des malades du Covid-19 en complément d’autres traitements », selon la Direction de la pharmacie du Mozambique. Des recherches sur d’autres traitements naturels anti-Covid sont en cours, en partenariat avec l’université de Zambie.
Il est clair que la recherche africaine met beaucoup d’énergie à valoriser sa pharmacopée dans le contexte actuel du Covid. Il faut espérer qu’elle puisse garder ce cap. « Ce serait un véritable gaspillage de ne pas achever les études en cours alors que les scientifiques africains ont une occasion en or de contester ou de confirmer l’innocuité, l’efficacité et la qualité des médicaments issus de la pharmacopée traditionnelle africaine contre le Covid-19 », estime ainsi le Dr Kasilo. Mais le respect des normes internationales occidentales place la barre très haut, et il n’est pas certain que cet objectif soit compatible avec les moyens dont disposent vraiment bon nombre d’États africains. Mais on peut rester optimiste, les premiers résultats officiels sont annoncés pour fin 2022.
Le moringa et l’ail en observation
Au Kenya, on n’a pas encore l’argent pour faire des essais standards, mais ça n’empêche pas de prendre des initiatives. Deux produits de médecine traditionnelle ont été formulés et autorisés spécialement pour le Covid-19. L’IMB est un boostant immunitaire contenant entre autres du moringa et de l’ail, l’autre (Antivir-H) est un antiviral à la composition gardée secrète. Ils ont été administrés à cent patients infectés (forme légère à situation critique) et ce traitement en synergie a « amélioré très nettement les symptômes », selon le Pr Francis Ndemo. Cette étude d’observation va être élargie à 1 800 patients kenyans.