Remède : le «Grand repos»
Élaboré au XIIe siècle, cet antidouleur médiéval est un mélange de plantes sédatives et analgésiques. Au regard de la science moderne, on comprend apujourd’hui ce qui faisait son efficacité en même temps que sa dangerosité.
Peste noire, invasions, Croisades, guerre de Cent Ans... Le Moyen Âge a connu de multiples fléaux! Les corps étaient soumis à rude épreuve, quand l’idéal chrétien valorisait la douleur. Épreuve envoyée par Dieu, punition divine, n’était-elle pas le meilleur moyen de racheter ses péchés? Les plantes antidouleur trouveront néanmoins peu à peu leur place dans l’arsenal thérapeutique des médecins, notamment au sein des hospices. Le Grand repos (Requies magna), remède dont l’usage thérapeutique exclusif était la sédation et l’analgésie, fut un précurseur. On trouve sa recette originale dans l’Antidotaire Nicolai, une bible de la pharmacie au Moyen Âge.
Compilé au XIIe siècle à Salerne, traduit et recopié dans les différentes langues européennes au cours des siècles, puis imprimé à la Renaissance, l’ouvrage trouve son prestige dans la présentation de dosages très précis. La composition du Grand repos associait près de quinze plantes couramment utilisées en médecine médiévale (santal, cannelle...
, muscade, rose, laitue vireuse, plantain...), dont trois particulièrement puissantes: le pavot, la jusquiame noire et la mandragore. Une boule de « la taille d’une noisette » de cette pâte suffisait. On l’accompagnait de jus de rose ou de sirop de violette pour faire passer l’amertume.
Des effets anesthésiques avérés
On peut lire dans l’Antidotaire des mises en garde très explicites concernant la force du remède, ses propriétés « froides » et « mortifères ». Mais quelle était son efficacité réelle ? En analysant la recette et les posologies, des chercheurs ont évalué en 2014 que le Grand repos, contrairement à Spongia somnifera, induisait des effets sédatifs et anesthésiques efficaces pendant 15 à 20 heures chez la personne. L’étude pharmacologique permet d’identifier les principes actifs. Les effets analgésiques et sédatifs de la morphine et de la codéine issues du latex du pavot se combinaient aux propriétés « désorientantes » de l’hyoscyamine contenue dans la mandragore, ainsi qu’aux effets d’amnésie temporaire, d’euphorie et de dissociation mentale propres à la scopolamine de la jusquiame noire. Malgré des effets bien réels, Ambroise Paré, père de la chirurgie moderne, lui préfère au XVIe siècle alcool et opium pour soulager les opérés et les amputés des champs de bataille. L’opium et ses dérivés (codéine, morphine), qui figurent encore parmi les molécules majeures de la médecine de la douleur.
Spongia somnifera, les premiers pas hésitants de l’anesthésie par inhalation
On trouve la première mention en Occident de l’éponge soporifique dans l’Antidotaire de Bamberg au IXe siècle, recette reprise et modifiée dans différents recueils. Spongia somnifera contenait aussi de l’opium, de la mandragore et de la jusquiame noire sous forme de jus dont on imbibait une éponge mise ensuite à sécher. Pour l’utiliser, on la faisait tremper une heure dans l’eau chaude avant de la mettre sous les narines du patient à endormir. Elle est mentionnée jusqu’au XIXe siècle (dans le journal de Toulouse, le médecin Dauriol dit avoir endormi des patients grâce à elle), mais son efficacité n’a pas été prouvée.