Un festin de mauvaises herbes
Au printemps, ortie, pissenlit, égopode, galinsoga pointent le bout de leurs jeunes pousses. À cette période de l’année, la nature nous offre une multitude de plantes sauvages, trop souvent négligées. Elles présentent pourtant, outre leur large palette de saveurs, un grand intérêt nutritionnel dont il serait dommage de ne pas profiter.
Il n’est pas si lointain le temps où, dès les premiers beaux jours, les campagnes s’emplissaient d’hommes, de femmes et d’enfants qui partaient, leur panier au bras, récolter dans la nature les herbes du printemps. Les gens de la ville regardaient avec condescendance ces pauvres paysans récolter ce qui leur paraissait une maigre provende. Et ce sont eux qui ont façonné la mentalité urbaine, base de notre société actuelle. Rapidement, le modernisme s’est répandu avec les tracteurs, la télévision et le Formica. La cueillette est devenue marginale, presque honteuse et réservée à ceux qui n’étaient pas capables de suivre le progrès.
Pourtant, cette tradition vieille comme le monde n’était pas dénuée d’intérêt. Les récoltes sauvages venaient en complément des céréales et des légumineuses qui formaient la base de l’alimentation et dont elle rompait la monotonie et relevait la fadeur. Les saveurs variées, souvent étonnantes, des plantes sauvages sont la raison principale pour laquelle elles retiennent de plus en plus souvent l’attention des chefs cuisiniers créatifs. Mais elles présentent surtout un énorme avantage nutritionnel sur notre nourriture habituelle, notoirement carencée. Après le régime un peu lourd imposé par la période hivernale, il était souhaitable d’alléger l’organisme en le purgeant de ses humeurs délétères. Ainsi rencontre-t-on partout où prévaut la saison froide la coutume d’avoir recours aux herbes printanières pour retrouver une santé un peu malmenée.
Pourvoyeuses de bonnes choses
C’est que, n’en déplaise aux partisans du « tout humain » et de la vie civilisée, les plantes sauvages sont, de loin, les meilleures pourvoyeuses de vitamines, de minéraux, d’oligo-éléments, d’antioxydants et de tous ces micronutriments qui se révèlent indispensables au bon fonctionnement de notre corps. Étonnant ? Pas vraiment si l’on se donne la peine d’y réfléchir un peu, à condition de se montrer capable de laisser tomber ces œillères néolithiques, vieilles maintenant de quelque 10 000 ans (500 générations seulement…), qui nous font croire qu’il n’est possible de se nourrir qu’avec les produits de la culture. En fait, les plantes sauvages sont les aliments pour lesquels est fait l’être humain : pendant la plus grande partie de sa vie sur Terre, plusieurs centaines de milliers d’années, ce sont elles qui nous ont nourris en nous apportant tous les éléments dont nous avons besoin pour vivre. La révolution agricole s’est manifestée par des carences notoires. Ce que confirment les données archéologiques qui mettent en évidence la bonne dentition et les os solides de nos ancêtres. Nous nous rendons compte aujourd’hui de la problématique, au point de conseiller systématiquement le recours aux compléments alimentaires. Il y a pourtant plus simple, moins onéreux, plus savoureux et d’une variété inépuisable : les plantes sauvages. Il n’est d’ailleurs pas besoin d’aller au fond des bois pour les cueillir : nombre d’entre elles s’invitent spontanément dans votre jardin. Si vous les nommez « mauvaise herbes », c’est que vous ne savez pas encore quels bienfaits elles peuvent vous apporter.
Analysées par la FAO
Depuis une cinquantaine d’années, des analyses nutritionnelles de ces plantes ont été entreprises, mais nous ne disposons encore que de très peu de données : elles ne concernent guère que quelques centaines d’espèces sur les 80 000 qui sont connues pour avoir été consommées par l’être humain sur la planète. Nombre de ces analyses ont été réalisées par la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) dans les pays du tiers-monde, car les responsables savent pertinemment qu’il s’agit là d’un moyen efficace de lutter contre la faim dans le monde… à condition, bien sûr, d’en avoir réellement la volonté. En tout cas, toutes les analyses existantes vont dans le même sens : dans tous les nutriments, les plantes sauvages sont de loin supérieures aux légumes et aux fruits cultivés.
Champions en vitamines
Prenons l’exemple d’une plante bien connue et répandue partout, l’ortie. Outre les soupes traditionnelles, on la cuit « comme les épinards », selon l’expression consacrée, on peut même la manger crue (hachée, elle ne pique plus !) sous forme de pesto, de canapés, de smoothies, voire de sorbets. Une portion de 100 g de cette bonne plante renferme environ 630 mg de calcium, soit autant que du fromage ; 8 mg de fer, près de trois fois plus que les épinards ; 410 mg de potassium ; 71 mg de magnésium, un minéral important qui tend à manquer dans les légumes cultivés sur des sols de plus en plus carencés en cet élément.
Côté vitamines, relevons une teneur remarquable de près de 350 mg en vitamine C, sept fois plus que les agrumes ! Et, pour ceux qui pensent que les protéines ne peuvent être fournies que par la viande ou les produits animaux, notons que l’ortie en renferme entre 6 et 9 g par 100 g en poids frais, ce qui revient, en poids sec, à une teneur supérieure à celle du soja. Et il s’agit de protéines complètes, équilibrées en acides aminés essentiels.
Le pissenlit est l’une des plantes sauvages le plus souvent récoltées dans la nature. On l’accommode principalement en salade, mais c’est également un excellent légume cuit. Sa teneur en calcium, pour 100 g, est de 475m g, ce qui est beaucoup. Il renferme en outre d’importantes quantités de vitamines du groupe B, 120 mg de vitamine C et, surtout, autant de provitamine A que les carottes (14 000 UI), ce qui en fait l’un des champions de cet élément. Parmi les nombreuses plantes sauvages de nos régions, la plupart mériteraient une mention pour un élément ou un autre. N’oublions pas qu’au-delà de leur apport nutritionnel, la plupart de ces « mauvaises herbes » sont bénéfiques pour notre santé. L’ortie, pas exemple, est préconisée contre les douleurs rhumatismales, l’arthrite et l’inflammation des voies urinaires. Elle possède une action anti-inflammatoire avérée. Le pissenlit est remarquablement efficace contre les problèmes de foie et il augmente le volume de la sécrétion biliaire. La mauve, riche en mucilage est adoucissante et c’est un excellent laxatif.
Les exemples pourraient être multipliés à l’infini. Il n’est sans doute pas nécessaire d’insister davantage : plus que la théorie, c’est le résultat qui compte et c’est à chacun d’en faire l’expérience. Finalement, ce n’est pas bien compliqué : nous sommes faits pour manger des feuilles. Et tant mieux, car c’est bon !
Aller plus loin : « Guide nutritionnel des plantes sauvages et cultivées », de François Couplan. Éd. Delachaux et Niestlé. Pour une mise en perspective précise des qualités nutritionnelles des herbes sauvages.