Intégrer les huiles essentielles dans la prise en charge psychiatrique
Au centre hospitalier Henri-Laborit, à Poitiers, l'infirmière Julie Bellanger a réussi à introduire des protocoles aromatiques à destination de patients dépressifs, bipolaires et psychotiques. L'objectif ? Limiter leur anxiété, voire diminuer leur consommation de médicaments relaxants tels que les benzodiazépines. Immersion.
Construit à la fin des années 1950, l’hôpital Henri-Laborit est l’établissement public de référence en psychiatrie et santé mentale de la Vienne. Plus de 20 000 patients y reçoivent des soins (dont près de 2 000 malades hospitalisés à temps complet). Dans cet établissement aux murs blancs bordés de verdure, un projet de soins naturels a vu le jour il y a sept ans et s’est depuis largement développé : certains patients adultes et adolescents ont la possibilité de compléter leur traitement médicamenteux par de l’aromathérapie.
À l’origine du projet, l’infirmière Julie Bellanger et sa collègue Aurélie Mariano. « Nous nous sommes rendu compte que nous utilisions chacune l’aromathérapie un jour où, enrhumée, j'utilisais de l’huile essentielle de ravintsara », confie Julie Bellanger. Peu de temps après, les soignantes sont conviées à une réunion de projet de recherche paramédicale au sein de l’unité de recherche clinique de l’établissement. Cette dernière est ouverte à l’ensemble des infirmiers, aides-soignants, médecins et psychiatres. Les deux soignantes évoquent alors l’aromathérapie comme soin de confort supplémentaire en santé mentale. « On s’est regardés en se disant que c’était le moment d’en parler. On nous a tendu une perche qu’il fallait saisir », poursuit l’infirmière. Afin de répondre à l’aspect clinique attendu, les infirmières proposent des protocoles dont l’objectif à long terme est aussi de diminuer la consommation de benzodiazépines. Ces médicaments à l’effet tranquillisant, largement prescrits en psychiatrie, génèrent des dépendances. Or certaines huiles essentielles (HE) possèdent des propriétés anxiolytiques et sont dépourvues d’effets secondaires.
Un marathon administratif
Le projet est favorablement accueilli par le personnel soignant, mais développer ce type de pratique n’est pas une mince affaire au sein d’un hôpital. Un marathon administratif commence alors pour les deux infirmières, qui travaillent en collaboration avec le Dr Cécile Baudin-Hajri, pharmacienne hospitalière. « On a dû valider le projet auprès de multiples instances : le comité du médicament, la commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques et la commission médicale d’établissement », énumère-t-elle. Enfin, toutes deux se forment au DU d’aromathérapie scientifique à visée clinique afin d’être aptes à réaliser des protocoles aromatiques sécurisés au sein de l’établissement. Les médecins et psychiatres sont également mis au parfum : quelle que soit la pathologie du patient, le protocole aromatique devra être validé au préalable et prescrit par leurs soins, avant d’être formulé par un pharmacien hospitalier.
Depuis, sept protocoles sont employés au sein de 14 unités d’Henri-Laborit, et tous les patients peuvent en bénéficier. Il peut leur être proposé une diffusion atmosphérique lors d’ateliers de relaxation ; des sticks inhalateurs anxiolytiques à destination des patients dépressifs, bipolaires ou en sevrage tabacologique ; une synergie calmante vaporisée dans des espaces mis à disposition des patients psychotiques (schizophrènes ou atteints de psychose hallucinatoire chronique). Pour mettre au point ces protocoles, les infirmières se sont heurtées à des problématiques propres au milieu psychiatrique : « Il a fallu réfléchir à des modes sécurisés d’utilisation de l’aromathérapie, car le matériel en verre et les cordons sont interdits dans les chambres et couloirs, pour empêcher tout passage à l’acte suicidaire ». D’où les sticks inhalateurs en matière plastique. Quant aux diffusions, elles se font à l’aide de diffuseurs à ventilation à froid, en dehors de la présence du patient.
Et pour les patients en consultation
Ces protocoles aromatiques s’adressent aussi bien aux patients hospitalisés à temps plein qu’à ceux suivis en ambulatoire par le biais de consultations (ces derniers représentent 80 % des patients de l’hôpital). Le médecin psychiatre prescrit dans ce cas le protocole aromatique sur ordonnance et les sticks inhalateurs sont ensuite formulés à l’extérieur de l’hôpital. « Nous avons trouvé plusieurs officines partenaires dont les pharmaciens acceptent de faire les synergies, ce n’est pas si courant » remarque Julie Bellanger. De quoi permettre au plus grand nombre de profiter des bienfaits psychiques des huiles essentielles.
Agrumes, lavande et camomille
Ces sticks inhalateurs à destination des personnes dépressives, bipolaires ou en sevrage contiennent notamment des HE d’agrumes et de lavande. « Par voie olfactive, elles apaisent l’anxiété, la tachycardie ou l’agitation nerveuse. En revanche, on évite la lavande dans les sticks destinés aux adolescents, qui détestent cette odeur ! », a constaté l’infirmière.
Aussi, au sein des unités d’hospitalisation pour les personnes psychotiques stabilisées (avec des symptômes moins intenses), une synergie à base d’HE d’agrumes et de camomille noble mélangée à un solvant sans alcool est diffusée dans des espaces dits d’apaisement. Ces salles, dont la porte reste ouverte, sont équipées de poufs, matelas, musique douce, d’un variateur d’intensité lumineuse et de livres. Elles permettent aux patients de s’isoler et de retrouver leur calme en cas de signes de perte de contrôle. « La diffusion d’HE contribue à les apaiser, confirme Julie Bellanger. Hélas, beaucoup ne peuvent bénéficier de ce protocole car ils sont épileptiques. Quant aux patients extrêmement délirants, leurs sensations corporelles et olfactives sont différentes des nôtres. Introduire des odeurs peut parfois alimenter leurs idées délirantes ». Afin que les protocoles puissent bénéficier aussi à ces malades, les infirmières réfléchissent à l’introduction d’hydrolats, exempts de contre-indications.
Satisfaction patients-soignants
Depuis la mise en place des protocoles, des questionnaires de satisfaction sont distribués aux soignants et aux patients. « Dans 90 % des cas, ces derniers souhaitent poursuivre l’aromathérapie à la fin du protocole, se félicite la professionnelle. Ils s’approprient le rituel d’humer les huiles essentielles. Ma collègue Aurélie Mariano a aussi remarqué une diminution des tics et de l’agitation : ils rongent moins leurs ongles, bougent moins les jambes, se touchent moins les cheveux ». D’après le retour des soignants, « l’aromathérapie semble adoucir leur relation avec les patients, notamment en cas d’hospitalisation sous contrainte où il y a parfois de la confrontation ».
Quant à l’objectif de diminution des benzodiazépines, il est trop tôt pour savoir si les HE le permettent, d’après l’infirmière. « On manque de temps pour analyser l’évolution des ordonnances, mais on constate déjà que l’aromathérapie permet de ne pas augmenter le dosage de ces médicaments ». De ce côté-là aussi, l’emploi des huiles essentielles change la donne.
Diminuer l’anxiété et favoriser le sommeil des patients dépressifs
Le protocole mis au point par les deux infirmières utilise un stick inhalateur préparé par la pharmacienne hospitalière (en médaillon) avec des huiles essentielles (HE) aux propriétés relaxantes reconnues. Il prévoit trois séances d’olfaction par jour.
Une formule simple, un rituel efficace
Dans un flacon de 50 ml, la pharmacienne en charge des formulations verse 5 gouttes d’HE de lavande officinale ou d’orange douce, 35 gouttes d’HE de petit grain bigarade et 60 gouttes d’HE de mandarine verte. Puis 6 gouttes du mélange sont versées sur un stick inhaleur. Ce dernier est respiré par les patients dans un environnement calme et agréable, environ 1 heure par jour (20 minutes matin, midi et soir). Ce rituel qui s’étale sur 3 semaines permet de prévenir les crises d’angoisse et induit un état de calme chez les patients sujets à une forte anxiété.