Le maceron, le céleri des Romains
Dans la grande famille des cousines de la carotte, les ombellifères, le maceron tient une place à part pour son abondance, sa facilité d’identification et les possibilités qu’il offre. Pourtant, il reste trop souvent méconnu.
À peine arrivé en Corse, où je devais servir la patrie pendant une année, je me mis en devoir d’explorer la végétation insulaire, encore bien présente en cette fin d’automne. Je remarquai rapidement de grandes colonies d’une plante que je n’eus pas trop de difficulté à classer dans la grande famille des ombellifères (ou apiacées) – parmi lesquelles je connaissais déjà la carotte, la berce et le panais sauvage. Ce qui me frappa, ce furent les grosses « graines » (en fait des fruits…) noires et dodues, groupées au sommet des rameaux desséchés.
L’hiver passa. Lorsqu’il toucha à sa fin, je vis poindre au sein de la colonie de jolies pousses d’un vert tendre, que je me hasardai à goûter. J’avais bien vu en effet, à leurs larges folioles, que je n’avais pas affaire à quelque ciguë. Sa saveur me plut : un goût de céleri en plus doux, un peu sucré. Et quand se développèrent de souples tiges, dont la rapidité de croissance me surprit, je fus aux anges : croquantes et juteuses, elles étaient délicieuses crues et formèrent une alternative bienvenue aux tristes repas de la cantine.
C’est un ouvrage anglais, Food for free, de Richard Mabey, qui me livra l’identité de la belle inconnue : Alexanders (Smyrnium olusatrum en latin), ce qui me mena au nom français de « maceron ». J’y appris que la plante provenait d’Asie Mineure et avait été introduite par les Romains dans le monde méditerranéen, voire plus au nord… Ils l’appréciaient comme plante potagère et en consommaient la racine, les pousses, les jeunes tiges, les inflorescences en boutons et les feuilles. Le maceron, surnommé depuis lors « céleri des Romains », était encore un légume répandu à la Renaissance. Ensuite, sa popularité diminua sans que les raisons de son déclin soient bien claires.
Si j’étais sédentaire, certainement planterais-je quelques pieds de maceron dans mon jardin. Mais je préfère le récolter dans la nature. Lorsque j’ai la chance de le rencontrer au printemps, je me précipite sur ses jeunes pousses aromatiques qui viennent agrémenter mes salades. Plus tard, j’apprécie autant ses feuilles que celles de la berce ou de l’égopode. Les quiches et les gratins de maceron font partie de mes plats préférés. Quant aux tiges, si je me contente généralement de les peler et de les déguster telles quelles, j’ai déjà essayé de les confire comme celles de l’angélique avec un succès certain. J’ai préparé avec les fleurs un sirop pour parfumer du yaourt et confectionné une liqueur en les faisant macérer dans de l’alcool avec du sucre. Le résultat ne m’a pas laissé, je l’avoue, un souvenir impérissable, mais je recommencerai volontiers, pour vérifier. Les fruits moulus comme du poivre forment un condiment intéressant. Je préfère les mélanger à d’autres aromates sauvages tels le genièvre ou, si je suis dans le Midi, les « baies roses » du Schinus molle.
Le maceron n’est pas dépourvu de vertus médicinales. Comme c’est souvent le cas chez les apiacées, les fruits facilitent la digestion et aident à expulser les gaz intestinaux. Les racines passent pour diurétiques, à l’instar de celles du céleri, et la plante a été créditée de propriétés anti-asthmatiques qu’il vaudrait la peine de vérifier.
Herbier
Le maceron est une grande herbacée bisannuelle pouvant dépasser le mètre, qui naît d’une racine pivotante. Ses feuilles forment de grosses touffes à la base de la plante et sont divisées en larges folioles dentées. Sa tige robuste est creuse. Elle porte quelques feuilles dont les supérieures ne possèdent que 3 folioles et un pétiole engainant. Les petites fleurs vert-jaunâtre sont réunies en ombelles à 6-15 rayons sans involucre, à involucelles formées de courtes bractées caduques. Elles s’épanouissent d’avril à juillet, puis donnent de larges fruits, noirs à maturité, très aromatiques lorsqu’on les écrase.
Le maceron forme de belles colonies au bord des chemins, dans les haies et les décombres, surtout dans l’Ouest et le Midi, en particulier près du littoral. Deux autres espèces se rencontrent en France, sur la Côte d’Azur et en Corse, principalement le maceron à feuilles perfoliées (Smyrnium perfoliatum).
Recette sauvage
Pain farci au maceron
Ingrédients 5 oignons • 4 cuillères à soupe d’huile d’olive • 200 g d’oseille des prés • 600 g de feuilles de maceron • 6 gousses d’ail • Sel • Piment • 800 g de pâte à pain à l’huile d’olive
1. Faites revenir les oignons dans l’huile d’olive. Ajoutez-y l’oseille et, dès qu'elle est fondue, les feuilles de maceron coupées en morceaux. Joignez-y l’ail écrasé, le sel et le piment, à votre goût. Laissez cuire cinq minutes.
2. Étalez au rouleau la pâte à pain à l’huile d’olive et déposez la dans un moule huilé de façon à en recouvrir le fond et les côtés, en laissant pendre à l’extérieur une partie qui devra recouvrir le tout.
3. Garnissez avec de la farce aux légumes. Rabattez les bords de la pâte par dessus et soudez à l’eau en un ourlet. Laissez lever 2 heures dans un endroit tiède, puis faites cuire 1 heure 45 environ à four modéré.
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