Dossier
Ne pas se planter sur les toxiques (2/5)
Cueillir des plantes sauvages, avoir recours aux huiles essentielles pour se soigner, ajouter un complément végétal à son traitement allopathique… Ces pratiques nécessitent de la vigilance et impliquent de respecter certaines règles si l'on ne veut pas risquer de s'intoxiquer. Le point sur ces principes de précaution pour un usage en toute sécurité.
Cueillir sans danger
Mises à l’honneur même à la table des grands chefs, les plantes sauvages ont fait un retour triomphal sur la scène, et de plus en plus d’adeptes veulent s’essayer à la cueillette. Quel plaisir gratifiant, en effet, que de savourer le fruit de sa propre récolte ! Ceux d’entre vous qui ont déjà eu l’occasion d’aller glaner quelques pissenlits, fleurs d’acacias ou fruits des bois le savent bien. Non seulement la cueillette sauvage permet de renouer avec la nature, mais elle présente aussi des avantages écologiques et économiques. Sans compter que les plantes sauvages, bien plus riches en minéraux et en nutriments que nos légumes cultivés, présentent de réels atouts santé. Cependant, la pratique comporte aussi des risques, dont il faut avoir conscience. En mai 2019, un communiqué publié par l’agence régionale de la santé Grand Est alerte sur ces dangers à la suite d’une recrudescence de cas d’intoxication. Ces derniers étaient dus à une confusion entre l’ail des ours (Allium ursinum) et le colchique (Colchicum autumnale), dont l’ingestion peut induire des troubles graves, voire mortels. l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a estimé la fréquence de ces accidents à près de 250 cas par an entre 2012 et 2018.
Or, quelques conseils permettent de se prémunir des risques éventuels et de profiter sereinement de sa cueillette. Commençons par un repérage en douceur, dans notre environnement immédiat, voire nos jardins. Le plantain, au goût agréable de champignon, est un apaisant inégalable des piqûres. Le pissenlit, guérisseur du foie, est excellent en salade. L’ortie, savoureuse et reminéralisante est impossible à confondre avec ses poils urticants ! Citons aussi, la pâquerette, la mauve, la stellaire…
Ces plantes sont faciles d’accès et simples à reconnaître. Tournez-vous vers elles ! Ne cherchez pas la complexité, familiarisez-vous avec ces vieilles amies en éveillant vos sens. Observez-les, notez la forme de leurs feuilles, touchez-les, découvrez leur texture et décrivez leur odeur. Ces exercices sont utiles pour progresser et prendre confiance en portant attention aux petits détails qui font parfois toute la différence. Par exemple, les feuilles de la consoude officinale sont rêches contrairement à celles de la digitale. Sachez aussi que les plantes sont plus reconnaissables lorsqu’elles sont en fleurs, ces dernières ne subissant que peu de variations, contrairement aux feuilles qui diffèrent parfois selon les conditions ou le stade de développement. Soyez patients et réguliers : l’expérience s’acquiert avec la pratique. Et lorsque ces plantes communes n’auront plus de secrets pour vous, il sera temps d’élargir vos horizons.
Néanmoins, veillez toujours à appliquer certains principes de base. Surveillez le lieu de cueillette, évitez les bords de route, les champs traités et...
demandez l’accord du propriétaire en cas de propriété privée. Récoltez uniquement les parties vertes des végétaux et évitez ceux qui paraissent vieux ou abîmés. Aussi, ne cueillez pas trop près du sol pour éviter certains risques infectieux, puis triez et lavez toujours votre récolte. Ensuite, ne cueillez que les plantes clairement identifiées, et apprenez à reconnaître les principales plantes toxiques à l’aide d’un ouvrage dédié. Dans notre flore, peu sont susceptibles de causer une intoxication mortelle par l’ingestion de petites quantités, mais les connaître vous évitera tout danger. Vous pourrez aussi éduquer vos enfants à la reconnaissance de ces végétaux afin d’éviter tout risque d’intoxication.
Enfin, cueillez avec conscience et respect. Si les plantes sauvages constituent une incroyable richesse, dont il serait dommage de se passer, c’est une erreur de les considérer comme une ressource inépuisable à notre entière disposition. Veillez à ne pas cueillir de plantes rares ou protégées en regardant les listes rouges disponibles sur le site des conservatoires botaniques de la région ou même de votre département. Dans les milieux montagnards, les cueillettes de gentiane jaune (Gentiana lutea) ou de génépis (Artemisia sp) sont souvent réglementées, voire interdites. Prélevez les plantes que vous trouvez en suffisance. Laissez celles qui vous semblent isolées, surtout lorsqu’il s’agit de récolter des racines. Cantonnez-vous aux quantités dont vous avez besoin, et ne prélevez qu’un tiers de la plante au maximum : il ne s’agit pas de piller, mais de partager ces ressources avec nos congénères non humains qui en ont besoin. Pour aller plus loin, des formations et stages existent en France sur la reconnaissance et l’usage des plantes sauvages.
Ne pas confondre la ciguë et la carotte sauvage
Homologue de nos carottes cultivées, la carotte sauvage (Daucus carota) nous offre également sa racine (plus petite, mais savoureuse), ainsi que ses fleurs et ses graines pour parfumer nos plats. Toutefois, sa ressemblance avec la grande ciguë (Conium maculatum), n’apparaît pas rassurante. De simples critères morphologiques permettent de distinguer aisément ces deux plantes.
- La tige de la grande ciguë (Conium maculatum) est glabre, souvent lavée de pourpre, et son odeur, peu agréable, est souvent comparée à de l’urine de chat. Ses feuilles sont divisées trois fois et ses ombelles portent de petites bractéoles qui pointent vers le sol.
- La tige de la carotte sauvage (Daucus carota) est velue et ses feuilles dégagent au froissement une fragrance caractéristique. Ses feuilles sont divisées de nombreuses fois et ses ombelles sont dotées d’un involucre de bractées dressé vers le ciel.
Que dire aux enfants ?
Dans son ouvrage, Les plantes sauvages comestibles, destiné aux enfants, le botaniste François Couplan évoque des moyens amusants d’initier les plus jeunes à la botanique. Apprendre à observer une fleur, son calice, sa corolle, ses étamines, son pistil, analyser les formes de ses feuilles… Sont-elles ovales, lancéolées (en forme de lance), dentées ? Ce premier pas vers l’identification des différentes espèces végétales vous permettra d’inclure des règles de sécurité à respecter : ne jamais cueillir seul, ne pas goûter des baies sans avoir vérifié leur identité auprès d’un adulte expert, ne pas arracher les racines si l’on a besoin seulement des feuilles et des fleurs, et se laver les mains en rentrant de balade…
Ne pas confondre la morelle noire et la belladone
La morelle noire (Solanum nigrum), dont les baies noires sont comestibles, se distingue par sa taille (10 à 60 centimètres) de la belladone (Atropa belladonna) qui peut atteindre 1,5 mètre de haut. La tige de la morelle noire, devenant parfois ligneuse, porte des rameaux plus ou moins dressés, rudes au toucher. Ses feuilles de couleur vert foncé, molles, ovales avec une marge sinuée ou dentée se différencient de celles de la belladone, qui sont pointues et pétiolées. Quant aux fruits des deux plantes, les baies peuvent se confondre. Cependant, ceux de la belladone sont plus brillants et entourés d’un large calice vert en forme d’étoile, contrairement aux fruits de la morelle noire. Rappelons que les baies de la belladone sont toxiques, car elles contiennent des alcaloïdes.
Ces toxiques du jardin
Des plantes ayant des vertus médicinales ornent nos jardins et nos parcs, sans que l’on ne connaisse leur toxicité potentielle. Si certaines ne provoquent que des démangeaisons, d’autres peuvent se montrer plus dangereuses.
- Le chèvrefeuille (Lonicera caprifolium), utilisé comme barrière végétale, est pourtant entièrement toxique et ses petits fruits rouges peuvent tenter les enfants. Leur ingestion est à l’origine de vomissements, de douleurs abdominales, de convulsions, voire de dépression respiratoire et de décès.
- Les pieds-d’alouette (Delphinium spp.) peuvent provoquer des troubles digestifs ou des irritations simplement par contact.
- Le datura (Datura stramonium) dans son ensemble peut provoquer des troubles digestifs, cardiaques, respiratoires et visuels, accompagnés de délires et d’hallucinations intenses et prolongées.
- La digitale pourpre (Digitalis purpurea) peut être mortelle en cas d’ingestion importante.
Les risques infectieux à connaître
Un des principes de la cueillette sauvage consiste à ne pas cueillir trop proche du sol et de préférer les zones où il y a peu de passage. Pourquoi ? Car on peut tomber sur des végétaux portant l’échinococcose, le parasite transmis par un ténia via les excréments du renard, mais aussi par ceux du chien ou du chat. On ne cueille pas trop près des ruisseaux et des zones de pâturages afin d’éviter la douve du foie, parasite transmis par les excréments des ruminants et qui contamine les végétaux aquatiques, tels que le cresson de fontaine (Nasturtium officinale). Si ces cas de parasitose restent rares, sachez que le seul moyen d’éliminer complètement ce risque est de bien laver et de cuire sa cueillette. Enfin, n’oubliez pas de vous protéger contre les tiques dans les zones et les périodes à risques.
Ne pas confondre l'ail des ours et le muguet
Les ombelles de l’ail des ours n’ont rien en commun avec les clochettes blanches du muguet ! Malheureusement, leur floraison n’a pas lieu au même moment. Ainsi, au début du printemps, nous nous trouvons face à des rosettes de feuilles semblables en apparence pour ces deux espèces qui fréquentent le même habitat. Certes, l’odeur de l’ail des ours est caractéristique, mais seule l’observation rigoureuse des feuilles permet de ne pas se tromper. Celles de l’ail des ours possèdent un long pétiole et sont souples au toucher, tandis que le muguet a deux ou trois feuilles plus rigides, insérées sur une même tige.