Le bonheur de relire le docteur Henri Leclerc
Au début du siècle dernier, Henri Leclerc fut un phytothérapeute exceptionnel qui fit accomplir d’immenses progrès à la connaissance des plantes médicinales. Parmi ses livres figure le passionnant Précis de phytothérapie. Très agréable à lire, l’ouvrage brille par sa richesse encyclopédique, le grand sérieux de ses observations… mais aussi son humour ! Un classique à redécouvrir.
Je découvris un jour chez un libraire un petit ouvrage à la couverture vert sombre et au titre a priori un peu rébarbatif : Précis de phytothérapie, du Dr Henri Leclerc. Le sous-titre me parut plus clair : Essais de thérapeutique par les plantes françaises. L’éditeur en était Masson et Cie, dont le catalogue comportait surtout des publications scientifiques de haut niveau. Tout cela ne me rebuta pas et je me lançai dans sa lecture.
Henri Leclerc commence par situer les plantes médicinales dans la société de son époque (la première édition du livre date de 1927). Depuis près d’un siècle déjà, la médecine occidentale moderne, fondée sur des remèdes de synthèse, avait pris le dessus sur les traditions médicales populaires qui faisaient la part belle aux végétaux. Pour l’auteur, cette situation résultait de l’exagération que l’on faisait jadis des vertus des plantes, en se hâtant d’élever au rang de panacée toute variété un tant soit peu active. Cette attitude excessive avait de quoi mécontenter les esprits rationnels. « C’est souvent que l’enthousiasme des pères engendre le scepticisme des enfants », écrivait-il joliment. Pourtant, Henri Leclerc estimait que ces deux points de vue n’étaient pas mutuellement exclusifs. Dans sa préface, il précise : « Il est d’une importance capitale de concilier, de façon à former un édifice inébranlable, les données fournies par l’empirisme, cette arche sainte de la médecine […], et les notions que nous devons aux progrès incessants des méthodes de la science expérimentale. »
Élégance et humour
Fort d’une connaissance approfondie des textes anciens, suivant les progrès de la chimie et utilisant les médicinales depuis plus d’un demisiècle, Henri Leclerc prônait l’« empirisme scientifique » : « [À] côté des conquêtes les plus récentes de la chimie, de la bactériologie, de la radiothérapie, [la médecine actuelle] n’a pas fait difficulté de faire siennes les découvertes des vieux “simplicistes”, de les scruter soigneusement pour en séparer l’ivraie du froment et de remettre en honneur, ainsi émondée, la thérapeutique par les simples dont le mot Phytothérapie […] est devenu le vocable scientifique. » Sans doute péchait-il par excès d’optimisme, car l’histoire ne lui a guère donné...
; raison. Mais il n’était pas dupe non plus, anticipant le fait que l’homme ne s’intéresse guère à ce qui est trop commun : « À beaucoup […], la phytothérapie n’apparaît que comme une branche de la matière médicale consistant à administrer de l’eau chaude dont on a altéré la pureté en la salissant avec des herbes plus ou moins inactives. »
Quoi qu’il en soit, Henri Leclerc continua d’accumuler une expérience considérable en utilisant la médecine par les plantes. L’intérêt du Précis de phytothérapie tient justement au fait qu’il s’appuie sur les cas cliniques vécus par son auteur. S’il présente d’abord un historique de l’usage de chacune des plantes décrites, il tire ensuite les leçons de sa pratique. La langue de l’ouvrage, d’une grande clarté, est superbe d’élégance et ne manque pas d’humour. Il nous raconte ainsi la méprise d’une de ses patientes : « [J]’avais conseillé à une bonne femme de se procurer des semences de courge pour en fabriquer une pâte ténifuge : je la trouvai toute démontée et jetant des regards où se peignaient la tristesse et le doute : “Vous m’aviez ordonné des semences de courge, gémissait-elle, et voilà que le pharmacien m’a vendu des graines de citrouille !” »
Ce livre évoque de nombreuses plantes rarement traitées dans les ouvrages de phytothérapie classiques. L’auteur décrit ainsi les vertus antispasmodiques de la mélitte (Melittis melissophyllum), de l’onagre bisannuelle (Oenothera biennis) et du lotier corniculé (Lotus corniculatus), dont il découvrit par hasard les propriétés calmantes en soignant une fermière atteinte de conjonctivite.
À sa mort, l’historien Eugène-Humbert Guitard lui rendra hommage en ces termes dans la Revue d’histoire de la pharmacie : « Leclerc […] ne séparait pas la science du passé de celle du présent : il appliquait à ses malades, après les avoir prudemment expérimentées et amendées, les recettes de botanique médicale recueillies par lui dans les vieux arbolayres (herbiers). Au Moyen Âge, qu’il connaissait comme s’il y avait vécu, il n’empruntait pas seulement ses formules, mais encore l’étourdissant vocabulaire qui faisait le charme de ses oeuvres universellement connues. »
Alors, n’hésitez pas à vous plonger dans son Précis de phytothérapie. Cet ouvrage reste fondamental pour tous ceux qui s’intéressent aux plantes médicinales, et c’est un plaisir que de le lire et le relire.
Une vie au service des hommes et des plantes
Henri Leclerc est né à Paris en 1870, pendant le siège de la capitale. Au cours de ses études de médecine, il se lie d’amitié avec Huysmans et Verlaine, qui lui donnent le goût de l’écriture. Il devient médecin de campagne et acquiert une grande expérience dans l’utilisation des simples. En 1909, il revient à Paris et se fait connaître pour ses qualités de médecin et son approche alliant modernité et tradition. S’il ne tarde pas à fidéliser une clientèle des plus huppées, il continue de soigner des personnes plus modestes dont il n’accepte aucune rémunération. Il accumule ainsi une expérience considérable dans le domaine de la médecine par les plantes, qu’il consigne dans son Précis de phytothérapie. Peu après cet ouvrage majeur, il publie trois autres livres sur les plantes et leurs usages, qui se lisent comme des romans : Les Légumes de France, Les Fruits de France et Les épices, plantes condimentaires de la France et des colonies. Henri Leclerc est aussi le fondateur, en 1937, de la Revue de phytothérapie. Il meurt d’une crise cardiaque à Paris en 1955, à 84 ans.
Extraits choisis
Dans son Précis de phytothérapie, Henri Leclerc alimente son propos de nombreuses références montrant qu’il considérait sa discipline comme une science, tout en la mettant sans cesse à l’épreuve de la pratique.
L’herbe à Robert, Geranium robertianum
« La réputation de l’herbe à Robert dans la médecine populaire, comme remède du diabète n’a rien que de justifié. J’ai recueilli cinq observations de glycosuries qui bénéficièrent d’une façon remarquable de son emploi […] : l’un d’eux vit se cicatriser, au bout de 10 jours de traitement, une large ulcération de la main, consécutive à un ecthyma. Le meilleur mode d’administration est l’extrait mou qu’on prescrit à la dose quotidienne de 0,30 à 0,60. »
L’aubépine, Crataegus monogyna
« L’expérimentation que j’ai faite de l’aubépine, basée sur une observation clinique de plus de 30 ans, m’a prouvé que son manque de toxicité permet d’en continuer l’usage pendant longtemps, même chez les malades dont la fonction rénale est entravée, sans crainte d’accumulation dans l’organisme […]. Sa propriété principale est de tonifier le coeur et d’exercer en même temps sur les vaisseaux une action régulatrice par l’équilibre qu’elle établit entre la pression sanguine et la force de l’impulsion cardiaque […]. »