Les quatre piliers de la pharmacopée chinoise
Du haut de ces cinq millénaires, la médecine traditionnelle chinoise n’a quasiment pas pris une ride, conservant au fil des siècles ses traditions et ses principes de base qui permettent au corps de retrouver équilibre et harmonie grâce aux plantes. Sa pharmacopée s’appuie sur quatre théories, que nous passons ici en revue.
Depuis ses débuts, la médecine traditionnelle chinoise est restée fidèle à ses théories de base. Que ce soit Shennong dans son traité intitulé « Shennong Bencao Jing » (herbier classique de Shennong) ou encore les matières médicales modernes, toutes ces pratiques utilisent une théorie identique afin d’expliquer l’action des ingrédients de la pharmacopée chinoise, riche d’une quantité impressionnante de plantes. Contrairement à nous, la Chine a toujours tenté de conserver son savoir traditionnel tout en avançant vers le monde moderne.
La pharmacopée chinoise repose sur des concepts qui sont similaires à ceux utilisés en diététique chinoise nommée Yaoshan (mets médicinaux). Chaque ingrédient, que ce soit un fruit, une viande, un légume ou une plante médicinale répond à ces théories.
Une question de nature
La première d’entre elles est la notion de Wuwei (cinq saveurs). Toutes les substances médicinales ou alimentaires sont ainsi rattachées à une des cinq saveurs : Suan (l’acide), Ku (l’amer), Gan (le doux), Xin (le piquant) et Xian (le salé). Par exemple, l’acidité est spécifique au citron, l’amertume se retrouve dans l’endive, le doux est présent dans les dattes et le salé est une caractéristique des fruits de mer.
Une seconde théorie appelée Siqi (quatre énergies) est composée de quatre variantes principales. Ainsi, les ingrédients seront soit Han (froid), Liang (frais), Wen (tiède) ou Re (chaud) – parfois aussi Ping (équilibré) – en fonction de leur nature intrinsèque et égale- ment de leur capacité à réchauffer ou à refroidir le patient. Nous pouvons donc classer ces quatre catégories en deux groupes : le froid et le frais dans un premier groupe, le chaud et le tiède dans un second. La différence qui existe entre ces deux groupes est de nature qualitative. Or celle qui existe entre le froid et le frais est quantitative (idem entre le chaud et le tiède). Ainsi, la pastèque en été permet de nous rafraîchir car elle est de nature froide. Nous pouvons dire la même chose pour le thé, de nature...
fraîche, qui permet de nous désaltérer même bu chaud en plein désert. Et qui n’a pas fait l’expérience de manger des aliments relevés comme le piment ou le poivre et de devoir se dévêtir pendant le repas ? Rien d’anormal, puisque le piment est chaud, tout comme le poivre!
La troisième théorie spécifique à la pharmacopée de la médecine traditionnelle chinoise est celle que l’on nomme Guijing (tropisme), c’est-à-dire les zones d’action de prédilection d’une plante. Elle utilise également la théorie des méridiens et ramifications comme support à l’acupuncture, au massage et à la pharmacopée. Ces méridiens sont des trajets énergétiques qui permettent de relier les différentes parties du corps. Ils sont encore utilisés pour diriger une action thérapeutique dans une zone spécifique (la zone malade). Ainsi, avec l’expérience, les anciens médecins chinois ont répertorié les zones d’action de l’ensemble des substances médicinales. Par conséquent, une douleur localisée sur tel méridien sera traitée par telle substance car celle-ci s’y dirige. Par exemple, l’ingrédient Sheng Jiang (gingembre frais) a un tropisme avec le poumon, la rate et l’estomac. Il peut à la fois être utilisé pour des syndromes grippaux avec rhinorrhée claire, crainte du froid (méridien du poumon) et dans des gastralgies (méridien estomac).
Existe également la notion de Qiji (mécanisme du Qi) comme étant, dans bien des cas, une réponse à un certain nombre de processus pathologiques que la pharmacopée chinoise peut résoudre. Faire circuler le Qi (énergie, souffle) dans l’ensemble du corps en est un des premiers principes. Un proverbe chinois illustre bien ce concept : « Ce qui ne circule pas engendre de la douleur, en circulant la douleur disparaît ».
Les quatre directions du mouvement
La vie est mouvement, la stagnation est la mort. Ces mouvements de Qi dans le corps s’effectuent principalement dans quatre directions qui sont Chu (extériorisation), Ru (intériorisation), Sheng (montée) et Jiang (descente). Le mouvement Chu (extériorisation) est souvent recherché lors d’atteinte de la superficie du corps, comme lorsqu’un agent pathogène pénètre dans le corps et génère de la fièvre, de la crainte du froid dans un syndrome grippal. Il sera bon, dans ce cas, de générer une transpiration afin d’évacuer l’agent pathogène par les voies de sortie les plus proches : les pores de la peau. Pour cela, nous pouvons utiliser soit l’ingrédient Cong Bai (ciboulette), soit Gui Zhi (rameaux de cannelle) ou encore Sheng Jiang (gingembre frais). Le mouvement Ru (intériorisation) sera quant à lui utilisé dans des cas de perte liquidienne, comme dans des diarrhées, afin de les stopper. Nous pourrons alors employer des ingrédients astringents comme Fu Xiao Mai (Triticum aestivum), Wu Wei Zi (Schisandra chinensis) ou Wu Mei (Prunus mume). Lors d’excès de mouvements ascendants comme la toux, l’éructation ou les nausées, il nous est possible d’utiliser le mouvement Jiang (descente) afin de rétablir l’équilibre avec Sheng Jiang, Zisuzi (Perilla frutescens) ou Kuan Dong Hua (fleur du tussilage).
L’ensemble des processus de la vie est lié aux mouvements du Qi, que l’on peut voir transparaître non seulement dans le fonction- nement de notre corps, mais aussi quand on contemple les peintures chinoises, ou en observant un maître en art martial lorsqu’il se met à «danser» avec son épée tranchante.
L’armoise et la malaria
L’ingrédient Qinghao (Artemisia annua), plus connu sous son nom vernaculaire « armoise annuelle », incarne une des fiertés de la pharmacopée chinoise. Cette plante est utilisée pour traiter le paludisme grâce à l’artémisine qu’elle renferme. Aussi, elle agit sur ce que l’on nomme « chaleur vide », c’est-à-dire des manifestations de chaleur dans le corps dues à une insuffisance de Yin du corps. Cet ingrédient a pour fonction « d’extraire » la chaleur interne afin que celle-ci trouve une voie d’évacuation, notamment les pores de la peau.
La moxibustion et les moxas
L’une des thérapeutiques de la médecine traditionnelle chinoise rattachée à l’acupuncture est l’utilisation de la moxibustion avec l’aide de moxas. Ces moxas sont fabriqués avec l’ingrédient Aiye (Artemisia vulgaris) que l’on trouvera sous différentes formes soit à l’état de poudre en vrac, soit en bâtonnet ou cigare d’armoise, soit en cônes préparés. Ils ont la particularité de venir réchauffer des zones douloureuses précises lorsque celles-ci sont soulagées par la chaleur.