Des animaux experts en phytothérapie
Dans la nature, le chat consomme de petites graminées – de l’« herbe » – pour se purger, tandis que l’ours, dès sa sortie d’hibernation, s’offre un festin d’Allium ursinum, cet ail sauvage réputé pour ses propriétés dépuratives. Ces exemples connus de longue date illustrent très simplement comment les animaux ont recours aux plantes pour leur santé. Mais cette automédication animale peut aussi se révéler très sophistiquée au regard d’observations scientifiques menées sur les chimpanzés depuis les années 80. Le primatologue Michael Huffman a pour la première fois étudié comment ces singes se mettaient en quête de plantes lorsqu’ils étaient malades. Ses travaux en Tanzanie ont permis d’identifier plusieurs espèces, comme par exemple le Vernonia amygdalina : les chimpanzés délaissent en général cet arbuste à l’amertume prononcée, mais en cas de diarrhée, ils en mastiquent les jeunes tiges après les avoir méticuleusement épluchées. Cette plante est utilisée par les guérisseurs de la région pour soigner les affections gastro-intestinales, et des analyses en laboratoire ont confirmé ses vertus.
Des guides vers de nouveaux médicaments
Sabrina Krief, vétérinaire et maître de conférence au Muséum national d’histoire naturelle, étudie depuis plus de dix ans les chimpanzés et les plantes qu’ils utilisent pour se soigner. Les observations de la chercheuse montrent que ces singes collectent pas moins de 150 espèces végétales différentes dont une trentaine ne semble pas servir à leur alimentation, leur consommation étant trop sporadique. De plus, Sabrina Krief a constaté que ces plantes sont soit utilisées en médecine traditionnelle locale, soit connues pour leur activité pharmacologique : tout converge donc pour montrer qu’il s’agit d’une véritable pharmacopée animale. La primatologue relate l’une de ses découvertes: «En Ouganda, nous avons suivi une jeune femelle qui présentait des troubles digestifs associés à des parasites. Trois jours après le début des symptômes, elle s’est isolée pour consommer, avec beaucoup d’efforts, de l’écorce d’ Albizia grandibracteata. Dans les jours qui ont suivi, son transit est redevenu normal et ses selles ne présentaient plus de parasites. Nos travaux ont montré que l’extrait de cette écorce avait une activité antiparasitaire. » En laboratoire, l’analyse d’Albizia grandibracteata a même révélé la présence de nouvelles molécules anticancéreuses. Sabrina Krief considère donc les chimpanzés comme des guides vers de nouveaux médicaments. D’autres chercheurs français, Adèle Mennerat et Marcel Lambrechts, se sont intéressés aux mésanges bleues et ont étudié comment les femelles disposent des petits fragments de plantes aromatiques dans leurs nids. En Corse, où ces oiseaux sont relativement faciles à observer, les scientifiques ont identifié les espèces végétales, quinze au total, les plus fréquentes étant la lavande, l’immortelle, l’achillée, la menthe et la pulicaire. Une belle pharmacie naturelle! Et, en 2005, ils sont parvenus à démontrer que la présence de ces plantes médicinales entraînait une diminution du nombre d’espèces de bactéries sur la peau des poussins, améliorant leur croissance et leurs chances de survie. Ils ont également constaté des comportements individuels différenciés parmi les mésanges bleues : chaque oiseau n’utilise en effet que quelques espèces de plantes, et il sélectionne les mêmes, années après années : « La femelle compose son propre bouquet », commente Adèle Mennerat.
Hasard, nécessité… et apprentissage
« On trouve beaucoup d’exemples quand on s’intéresse à ce sujet », témoigne la chercheuse. Et de citer plusieurs travaux réalisés au cours des dix dernières années qui l’ont particulièrement frappée. En Suisse, des scientifiques de l’université de Lausanne ont montré que les fourmis des bois utilisent des boules de résine de conifère pour protéger leurs nids contre les bactéries et les champignons pathogènes ; grâce à cette substance végétale, leurs larves sont deux fois plus nombreuses à survivre. Aux États-Unis, des chercheurs de l’université de Californie ont montré que les rats des bois collectent des feuilles de laurier Umbellularia californica, les mastiquent de manière à libérer les composés volatils, et se protègent ainsi contre les puces et les tiques. Tous les animaux ne sont pas capables de sélectionner des plantes à des fins thérapeutiques. Mais ceux qui le font pratiquent cette automédication de manière tellement élaborée et étonnante qu’on peut se demander si ce phénomène est purement instinctif. Le hasard ou la nécessité ? « Les comportements observés chez les chimpanzés sauvages laissent à penser que la sélection des plantes s’apprend », indique Sabrina Krief. Il semble par exemple que ces singes savent associer l’astringence et l’amertume à la présence de substances actives dans les plantes. De plus, lorsqu’un individu consomme une plante, d’autres membres du groupe s’approchent, observent, et essayent parfois de discerner ce qui peut être un aliment ou un remède. « Nous étudions plus précisément s’il s’agit d’apprentissage individuel ou social, les deux mécanismes entrant probablement en jeu », ajoute la primatologue. Cette question est aujourd’hui l’objet de travaux sur différentes espèces de grands singes, cependant que se poursuit la recherche de molécules actives qui seraient issues de cette pharmacopée animale.