La phytothérapie aux bons soins des animaux
Teckels nains, hamsters ou perruches seront-ils demain soignés grâce à la phytothérapie ? La médecine vétérinaire n’échappe plus à l’engouement général pour les médecines naturelles, moins chères et souvent plus efficaces. Des vétérinaires engagés, encore marginaux dans la profession mais dont les rangs grossissent chaque année, sortent de l’orthodoxie allopathique et retissent le lien profond qui unit l’animal et la nature.
On m’a amené un lévrier espagnol atteint de la maladie de Carré, un virus très contagieux et parfois mortel. Il avait été traité deux fois sans succès et on le considérait comme condamné. Grâce au cyprès et à l’échinacée, on a chassé le virus en un mois. C’est ce genre des petits miracles qui rendent heureux de faire ce que l’on fait », relate avec fierté la docteure Anne Bardavid. Installée à Paris depuis dix ans, la vétérinaire associe dans sa pratique ostéopathie, homéopathie, acupuncture et phytothérapie. Indéniablement, les résultats sont là. « Pour tout un ensemble de pathologies, les médecines alternatives ont fait leur preuve, raison pour laquelle je les propose souvent en première intention, et les propriétaires sont généralement partants. » Pour les problèmes fréquents de dermatites chroniques, par exemple, elle préfère aux crèmes corticoïdes, qui n’auront qu’une action symptomatique, un drainage des émonctoires grâce à la pensée sauvage ou au chardon-Marie, pour une action de fond certes moins rapide mais tout aussi efficace et surtout beaucoup plus durable. Pour l’asthme du chat, l’homéopathie, la phytothérapie ou l’acupuncture s’avèrent aussi souvent valables. « Je travaille par ailleurs en cancérologie avec l’extrait de gui, ce qui est encore assez rare en France, bien que cela commence à faire son chemin », ajoute la spécialiste.
Des maladies de civilisation
L’usage de la phytothérapie vétérinaire n’est pas nouveau : durant des millénaires, les hommes ont soigné leurs animaux à l’aide des plantes. Si l’émergence d’une médecine allopathique a pu leur faire oublier cette évidence, les animaux ont pour leur part gardé cette mémoire vivante. Mais les modes de vie modernes et les fameuses « maladies de civilisation » semblent également toucher les animaux aujourd’hui. C’est le constat que fait Gilles Grosmond, vétérinaire et formateur spécialisé en phytothérapie: « Les animaux sont malades aujourd’hui car on a oublié quelles étaient leurs conditions de vie d’origine. On castre les chats, supprimant toute imprégnation hormonale. On les garde enfermés et ils manquent de lumière. Ils passent leur vie sur des radiateurs, ce qui favorise les lithiases... Ils sont soumis à une monodiète de croquettes qui génère des déséquilibres et l’accumulation de molécules de synthèse. Je ne parle même pas des antiparasitaires – comprimés antipuces, gouttes contenant du fipronil déposées sur le dos – qui sont surtout conçus pour le confort d’usage des propriétaires mais ne sont absolument pas anodins pour la santé des animaux. Je constate également que le taux d’aluminium et de baryum, deux neurotoxiques, monte de manière inquiétante chez les animaux », fustige-t-il.
Une démarche empirique
L’effet délétère des traitements allopathiques à outrance est également dénoncé par Jacqueline Peker, vétérinaire pionnière des médecines alternatives pour animaux qui a commencé à pratiquer il y a maintenant plus de quarante ans. Passionnée d’homéopathie, elle contribue à diffuser son utilisation dans le monde entier, notamment au Brésil où quatre instituts de formation vétérinaire portent aujourd’hui son nom : « Les propriétaires d’animaux en ont marre de gaver leurs bêtes de médicaments. Ces derniers laissent toujours des traces et des résidus. Comment expliquer qu’il y ait aujourd’hui tant de chats...
diabétiques ou avec des cancers ? », s’interroge-t-elle. Si la phytothérapie vétérinaire retrouve aujourd’hui ses lettres de noblesse, c’est grâce au travail de ces passionnés qui ont contribué par leurs expérimentations quotidiennes à adapter cette science à la pratique animale, parfois par tâtonnements. « Au début, on avait des ressources limitées en phytothérapie, en termes de galénique, et on passait beaucoup par les tisanes, mais ce n’était pas adapté pour tous les animaux, explique Jacqueline Peker. C’est pour ça que l’homéopathie était si pratique, et aussi sans risque, car c’est une médecine avant tout énergétique: pour une souris comme pour un éléphant, c’est toujours trois granules ! Les résultats sont là, mais il y a toujours une dimension expérimentale dans la pratique vétérinaire : on observe, on touche, on tripote, on évalue les effets, on interroge le propriétaire, on adapte les soins.»
Depuis une dizaine d’années environ, cette démarche empirique s’est considérablement étoffée et standardisée, notamment grâce à une connaissance plus fine des mécanismes d’action des plantes et à la multiplication des formes galéniques sous lesquelles elles peuvent être prescrites. D’ailleurs, de plus en plus de laboratoires, certains déjà réputés, proposent des gammes phyto à destination des animaux. D’autres vétérinaires préparent eux-mêmes leurs remèdes, ce qui ne va pas sans complications tant les contraintes réglementaires sont draconiennes. Plantes fraîches, infusions, teintures mère, extrait sec, gemmothérapie, aromathérapie, élixirs oraux, macérat huileux : aujourd’hui, de nombreuses possibilités existent pour traiter ses animaux.
Encore faut-il connaître la forme et la posologie adaptée à chaque problème de santé... et surtout, à chaque espèce ! Comme nous l’explique Christian Gaudron, vétérinaire formateur au sein de l’Institut des médecines alternatives et ostéopathie vétérinaire (IMAOV), «chaque galénique a son intérêt mais doit être adaptée au problème, à l’espèce et à l’animal pour des raisons à la fois métaboliques ou psychiques. Les chiens, les NAC [nouveaux animaux de compagnie, ndlr] et plus généralement les herbivores sont accommodants avec les plantes, tandis qu’avec les chats, c’est plus compliqué. Avec des animaux au tempérament très terre comme les bovins, on choisira une utilisation directe de la plante, comme la plante broyée à manger ou en onguents. Même au sein d’une même espèce, il faut tenir compte de la race : on ne donne pas la même chose à un pur-sang et à un canasson, à un chat de gouttière et à un siamois ! » Et de rassurer en précisant que «c’est l’animal qui va nous dire si on s’est trompé dans le choix de la plante et de la galénique.» On peut ainsi proposer un bouquet de romarin à un cheval pour booster son cycle hépatique, mais s’il ne le mange pas, c’est qu’il n’en a pas besoin.
Un intérêt ambyvalent
Le renouveau de la phyto vétérinaire fait des émules et le bouche-à-oreille fonctionne à plein pour dénicher les spécialistes, encore trop rares en France. Fort heureusement, des organismes de formation se développent, qui mettent à disposition des annuaires de professionnels compétents en la matière. L’École nationale vétérinaire d’Alfort propose désormais une formation diplômante en nutrition et phytothérapie. Faut-il s’attendre pour autant à un changement de paradigme dans la pratique de demain ? Pas certain, selon Christian Gaudron : «L’intérêt des vétérinaires pour la phytothérapie est ambivalent. Après un engouement initial, ils réalisent vite que ça implique une vraie formation. Souvent, ils voudraient juste pouvoir remplacer un médicament par un produit pratique à base de plante. Or c’est évidemment plus complexe.» Par ailleurs, les vétérinaires, qui sont aussi des pharmaciens, ont peu d’intérêt financier à vendre des produits à base de plantes, encore moins à les fabriquer eux-mêmes. Ceux qui font le choix exigeant de la phytothérapie le font donc par passion, par attachement profond aux liens qui ont toujours uni l’homme à l’animal.
Des gammes de produits prêts à l’emploi
À l’instar des compléments de micronutrition et de préparations à base de plantes pour leurs propriétaires, on trouve des gammes à destination des animaux domestiques de plus en plus étendues et de plus en plus sophistiquées. Certains laboratoires connus en phytothérapie ou micronutrition humaine ont d’ailleurs désormais leur gamme dédiée, à l’image de Pilèje (Wamine) ou Phytofrance (Gam’animal). On y retrouve souvent peu ou prou les plantes réputées en phytothérapie humaine : plantes émollientes comme la mauve pour les troubles gastriques, harpagophytum ou cassis anti-inflammatoires pour les articulations, ginseng et éleuthérocoque pour la vieillesse, bardane ou pensée sauvage pour les problèmes de peau, griffonia, passiflore ou valériane pour les troubles de l’humeur ou du comportement, et même thé vert antioxydant contre le vieillissement cellulaire. Si certaines marques sont uniquement à destination des vétérinaires, les particuliers peuvent aussi se procurer des produits clefs en main et des conseils pour les maux du quotidien auprès de plusieurs laboratoires sérieux.
Les animaux spécialistes de la phyto
Les animaux, lorsqu’ils sont livrés à eux-mêmes dans la nature, n’hésitent pas à aller s’automédiquer dans les pharmacies naturelles que constituent champs, forêts ou bosquets. C’est d’ailleurs ainsi que l’on a découvert les propriétés médicinales de plusieurs plantes. Ainsi, les Amérindiens, dit-on, constatèrent les propriétés immunostimulantes de l’échinacée en observant ce que consommaient les wapitis malades ou blessés. Dans nos campagnes, les éleveurs attentifs ont pu constater de longue date qu’au l des saisons, les herbivores privilégiaient telle ou telle plante et qu’une vache avec des spasmes ou des ballonnements allait spontanément se coucher dans les renoncules acres. C’est dans cette optique que des vétérinaires comme Christian Gaudron proposent aux agriculteurs d’augmenter la biodiversité de leurs champs et de leurs haies pour favoriser l’automédication des animaux.
Des éleveurs convaincus par l’aromathérapie
Si une recommandation de l’Anses de 2013 continue de proscrire l’utilisation par les éleveurs des huiles essentielles et des plantes à visée thérapeutique sans ordonnance du vétérinaire, leur utilisation se développe néanmoins de manière exponentielle. Le vétérinaire Gilles Grosmond a par exemple formé près de 20 000 éleveurs à son approche holistique de la santé animale au sein de son institut de formation Hippolab. La raison de cet engouement est simple : ça marche ! C’est ce qu’a confirmé une récente étude de l’Adage (Agriculture durable par l’autonomie, la gestion et l’environnement) qui présentait les résultats de six ans de recherches sur la mammite bovine : « Il y a une attente, même du secteur conventionnel, car les problèmes de mammites sont fréquents et ils se rendent compte que l’aromathérapie marche très bien », confirme Catherine Experton de l’Institut technique de l’agriculture biologique. Face aux phénomènes d’antibiorésistance et d’explosion des frais vétérinaires, les formations, échanges d’expériences et initiatives en faveur d’une autre approche de la santé animale se multiplient aujourd’hui au sein de chambres d’agriculture, d’associations ou de groupes d’éleveurs (Itab, Avem, Aver, collectif drômois Plantes libres, GIE zone verte, Adage...).