Le botryche lunaire a-t-il
des pouvoirs magiques ?
Le botryche lunaire, petite fougère poussant dans les Alpes depuis l’ère glaciaire, a, dès l’époque préchrétienne, été associée à la Lune. Sous l’influence de cet astre, il fut accrédité de nombreux pouvoirs magiques. Retour sur cette étrange réputation.
Osmonde lunaire, ou tout simplement lunaire : ce sont sous ces noms que le botryche (Botrychium lunare) a longtemps été connu. L’aspect en croissant des extrémités de sa fronde stérile (les feuilles, pour certaines plantes comme les fougères) l’explique en partie. Mais on attribuait surtout au botryche une relation particulière et fusionnelle avec l’astre – le nombre de ses folioles était supposé augmenter ou diminuer en fonction de la lune croissante ou décroissante, celle-ci leur donnant dans tous les cas une luminosité particulière.
Jean Wier, grand artisan de la chasse aux sorcières au XVIe siècle, la décrit ainsi dans ses Cinq livres de l’imposture et tromperie des diables (1563) : « L’herbe communément nommée Lunaire, que aucuns appellent l’estoile de terre, qui porte sa semence en une petite graine ronde, s’ouvre de nuict et reçoit tellement les rayons de la lune qu’il semble que ce soit une étoile luisante. Les habitants des lieux ou telle herbe se trouve, voyans cette clarté la fuyent, estimans que ce soit un fantome dangereux. »
Des vertus extraordinaires
Un écrit médiéval espagnol liste les propriétés magiques de l’erba lunatica à laquelle ont recours les alchimistes : elle permettrait de trouver un trésor ou de fabriquer or et argent, de conjurer esprits et malédictions, de résoudre les discordes entre conjoints, de prévoir le décès d’une personne et d’influencer autrui en...
toutes circonstances… Cette plante était censée, au Moyen Âge, rendre invisible si on la ramassait les soirs de pleine lune. Elle était aussi utilisée pour lire l’avenir.
En Suisse romande, on la nommait Déferra-tsao (déferre-cheval) et en Italie, Sferra cavallo, car on croyait que si le fer d’un cheval la touchait, il tomberait et se briserait instantanément. «Vos chevaux ont marché sur une herbe que nous appelons Sferra cavallo, qui éclaire la nuit comme une chandelle ; tous ceux que nous nourrissons pendant ’été dans cette montagne, nous avons soin de les faire déferrer auparavant que de les mettre en pâturage, sans cela nous perdrions tous les fers, quand même nous les ferions ferrer tous les jours », écrit Benoît Voysin, médecin et professeur de chirurgie à Annecy, dans son livre Le Médecin familier et sincère (1741).
Il était aussi dit qu’elle ouvrait les serrures rouillées et faisait entrer les vaches en rut : on la surnomme alors « Taure », nom que l’on retrouve dans des traités de pharmacie du XVIIIe siècle – à cette époque, on lui attribue d’ailleurs la capacité de régler les problèmes de stérilité chez la femme.
Un usage thérapeutique à la marge
L’utilisation médicale ancienne du botryche témoigne en partie de la Théorie des signatures (où la forme des plantes indique leur rôle). Il était en effet souvent employé pour les douleurs abdominales des femmes liées aux cycles menstruels, eux-mêmes associés aux cycles lunaires. Inscrit dans la pharmacopée jusqu’à la fin du XVIIe siècle comme adoucissant, vulnéraire et astringent, le botryche était préconisé en cas de diarrhées, de pertes blanches et d’hémorragies de la femme.
Il entrait également dans la composition de poudres destinées à lutter contre les « squihrres » (tumeurs cutanées). On l’appelait « lange de cerf » et il était supposé guérir les plaies – une propriété à laquelle les Vaudois ont toujours recours pour cicatriser des blessures et arrêter saignements de nez ou hémorragies, en usage externe ou interne (tisanes).
En Chartreuse, c’est une plante vedette de la médecine populaire, notamment pour apaiser les coliques des bêtes et des gens. Dans les alpages, on ramasse en juin cette « herbe de mal au ventre », encore appelée « herbe de bon raisin » en référence à l’aspect en grappe de sa fronde fertile. En revanche, les habitants des Écrins n’y touchent pas, tandis que ceux du Haut-Jura, eux, la consommeraient comme plante alimentaire.
Toujours aussi magique de nos jours ?
De façon assez étonnante, l’aspect extraordianire de la plante perdure encore dans certains milieux. Le botryche apparaît aujourd’hui dans l’archimarmite du jeu Dragon quest comme « remède lunaire » au côté de l’orpin rose. On le trouve aussi sur Internet sur des sites ésotériques liés au mouvement wicca, une secte new age néopaganiste, parfois associée au satanisme, et qui révère Hécate, déesse grecque de la Lune. Le botryche fait partie d’une recette « d’huile de shabbat », où il est précisé que les plantes doivent être broyées et mises à macérer entre la nouvelle et la pleine lune…
L’aura « magique » de cette fougère est donc toujours, bien que marginalement, d’actualité, alors même qu’elle reste une inconnue pour la science qui ne lui a encore consacré aucune étude pharmacologique.