L’Islande redécouvre
sa biodiversité
Riche d’une flore boréale de près de mille espèces, mais aussi de volcans, geysers, sources chaudes et champs de lave, l’île nordique aux paysages spectaculaires revalorise son patrimoine végétal depuis une vingtaine d'années. Retour historique sur les plantes aux usages protecteurs et petit panorama des avancées scientifiques en la matière.
Île volcanique tardivement visitée par l’homme, l’Islande est un univers tellurique où la vie compose avec la roche basaltique et les éléments. Les plantes y semblent des intermédiaires entre monde minéral et monde animal, nourrissant les humains et leurs élevages dans les vallées et les bandes vertes et fertiles des côtes. On les imagine concédées par les hauts plateaux de lave solidifiés aux Vikings, les pionniers qui s’y installèrent au IXe siècle. Aujourd’hui, 334 000 Islandais peuplent cet étonnant biotope.
La médecine traditionnelle locale, longtemps pratiquée, tirait parti d’une flore boréale de près de mille espèces – dont beaucoup nous sont familières, car poussant dans les Alpes françaises. Elle consistait alors largement en démarches magiques impliquant les runes, ces caractères gravés sur des bois bien spécifiques et utilisés pour lancer divinations et sorts. Certaines plantes étaient particulièrement prisées, comme le botryche lunaire, petite fougère que sa réputation de lien avec l’astre lunaire et l’apparence étrange rendirent incompatibles avec nos traités modernes.
D’autres végétaux étaient privilégiés : le gnaphale de Norvège (Gnaphalium norvegicum), considéré comme un grand protecteur contre les influences néfastes, et la grassette (Pinguicula vulgaris), petite plante carnivore rare mais très commune dans l’île, censée protéger les troupeaux et les produits laitiers – qu’elle servait aussi à faire cailler. Enfin la rhodiole (Rhodiola rosea), qui abonde sous le rude climat islandais, était également considérée comme protectrice, mais on lui a depuis trouvé bien d’autres vertus.
Le renouveau de la phytothérapie
Après une éclipse de...
la médecine traditionnelle, la crise économique des années 2000 a provoqué une revalorisation des pratiques de phytothérapie. Cette renaissance plus scientifique et ouverte sur un monde globalisé est particulièrement bien incarnée par Anna Rosa Robertsdottir, auteure d’un ouvrage de référence sur les plantes du pays, ou par l’herboristerie Jurtaapotek à Reykjavik.
Beaucoup de familles islandaises rurales possèdent chez elles au moins un traité sur les plantes locales et d’ailleurs (souvent influencé par la phytothérapie anglaise) et redécouvrent leurs usages alimentaires et médicinaux. La recherche pharmacologique est en outre particulièrement active : non seulement sur la plante emblématique qu’est l’angélique, mais aussi sur la rhodiole.
Recommandée contre les troubles du sommeil ou pour les femmes ayant des problèmes de fertilité, elle a récemment fait l’objet d’intenses recherches autour de ses vertus adaptogènes, c’est-à-dire aidant à lutter contre les stress de toutes natures. Elle pousse en abondance dans les falaises ou les chaos basaltiques, avec une belle vitalité. Les Islandais veillent toutefois à ne pas piller cette ressource fragile puisque l’on utilise sa racine.
Les landes de l’île sont envahies par un lupin (Lupinus nootkatensis) importé d’Alaska pour lutter contre l’érosion des sols, mais qui s’est révélé redoutable. Il forme un tapis dense et bleuté qui s’étend toujours plus, et dont la toxicité rebute les troupeaux de moutons. Un phytothérapeute local l’a toutefois introduit dans ses mélanges de tisane dans les années 1990 avec un possible effet immunostimulant, ce qui illustre la vitalité créatrice de la phytothérapie islandaise.
Également largement présents, les magnifiques pavots arctiques (Papaver radicatum et nudicaule) ainsi qu’un thym proche du serpolet (Thymus praecox), symbole de loyauté, réputé jadis pour donner du courage aux hommes. La recherche lui attribue désormais des vertus anti-infectieuses.
Signalons aussi de vastes étendues de camarine (Empetrum nigrum ou baie de corbeau) aux remarquables propriétés antibactériennes, selon de récentes études islandaises, ainsi que des champs de myrtilles aux vertus antioxydantes.
Au milieu de ces tapis d’éricacées, des lycopodes (dont certains sont toxiques) et des mousses, telle la fameuse Cetraria islandica, qui est en fait un lichen. Elle est utilisée de longue date aussi bien comme médicinale (dans les sirops contre la toux) que pour la cuisine (dans les pains, les soupes). Les chercheurs islandais lui ont récemment trouvé des propriétés immunostimulantes par ses polysaccharides. Son biotope unique et son histoire médicale alliant magie et science ont fait de l’Islande une terre remarquable.
Magnifique angélique
Angelica archangelica est sans doute la plante emblématique de l’Islande. Abondante et somptueuse, elle est de presque tous les paysages végétaux des bandes côtières fertiles. C’est l’une de ces plantes polyvalentes qui influe sur de nombreuses sphères de notre organisme. On utilise ses racines et ses graines pour leurs propriétés digestives connues de longue date.
On lui a depuis découvert des effets anxiolytiques, stimulants de la mémoire, antimicrobiens, régulateurs du microbiote et hépatoprotecteurs, mais également immunostimulants et cytotoxiques contre des lignées cancéreuses du sein et du pancréas, in vitro et in vivo. Enfin, ses saveurs subtiles en font une source d’arômes pour certaines bières locales, et la nouvelle cuisine islandaise valorise aussi bien ses jeunes feuilles, ses bourgeons floraux que ses graines.