La classification du vivant selon Linné
Peu de savants peuvent se vanter que leur nom soit devenu un adjectif. C'est le cas du suédois Carl von Linné (1707-1778) à qui l'on doit la nomenclature linnéenne. De fait, ses travaux pour classifier et nommer les espèces végétales et animales, ont encore des conséquences aujourd'hui.
Linné était issu d'un milieu assez modeste : son père était pasteur luthérien, amateur de botanique, et c'est sans doute lui qui inspira à son fils l'amour de la nature en même temps qu'une foi profonde : le naturaliste verra toute son œuvre comme un hommage à Dieu et une recherche de l'ordre divin de la Création.
Au cours de ses brillantes études de médecine à l'université d'Uppsala, en Suède, il se constitua un réseau de protecteurs parmi les figures les plus prestigieuses de la science suédoise de l'époque et put, grâce à leur soutien, entreprendre des expéditions scientifiques (notamment en Laponie en 1732) et un long voyage d'études en Europe (1733-1738). Ses travaux lui ayant valu dès cette époque une célébrité internationale, il obtint à son retour une chaire à Uppsala. Il mena ainsi une carrière prestigieuse, multipliant les publications et inspirant de très nombreux étudiants, qu'il envoya partout dans le monde étudier la faune et la flore des pays exotiques et qu'on surnomma les « apôtres de Linné ».
Bien que son œuvre en matière de classification et de nomenclature ait par la suite éclipsé tous ses autres travaux, ceux-ci furent très divers : il s'intéressa de près, par exemple, à des questions géologiques et minières, agricoles, ou à la diversité des populations humaines. Loin d'être un penseur purement abstrait, comme on le lui reprocha parfois, il fut un naturaliste de terrain et chercha sans cesse à donner à ses recherches un intérêt pratique, notamment économique ou pharmacologique. Mais il concevait indéniablement l'édification d'une classification de tous les êtres qui soit la plus naturelle possible comme le couronnement de son œuvre.
Une influence considérable
C'est en premier lieu les plantes, son domaine de prédilection, que Linné s'efforça de classer. Déjà depuis la Renaissance, à la suite d'Andrea Cesalpino (1519-1603) plusieurs botanistes avaient proposé leur système et réfléchi sur les critères à privilégier. Sans rompre avec cette tradition, le naturaliste suédois chercha à l'affiner et à hiérarchiser les caractères. Considérant que les...
pièces florales, qui jouent un rôle dans la reproduction, sont les plus importantes chez les végétaux, il établit d'après le nombre et la disposition des étamines (organes mâles) une division en vingt-quatre classes, elles-mêmes subdivisées en ordres d'après la forme du pistil (organe femelle). Linné était conscient que ce système, dit « sexuel », même s'il constituait un pas vers la découverte de l'ordre réel de la nature, était en grande partie artificiel. Mais il suscita une impulsion des recherches en systématique et, dans les décennies suivantes, d'autres auteurs, comme le français Antoine-Laurent de Jussieu, parvinrent à définir des groupes plus naturels de plantes.
Plus généralement, Linné chercha à classer les êtres vivants dans un ouvrage, le Systema naturæ, qu'il publia pour la première fois en 1735, sous la forme d'un livre d'une dizaine de pages, mais qui connut de nombreuses rééditions augmentées, jusqu'à la douzième (1766-1768), composée de trois gros volumes. Il introduisit, au fil des révisions successives, plusieurs innovations importantes : l'une des plus remarquables est la création de la classe des mammifères, en 1758, qui regroupait des animaux jusque-là séparés : les quadrupèdes vivipares et les cétacés (ces derniers étaient jusqu'alors rapprochés des poissons). En outre, Linné rationalisa la hiérarchie des catégories systématiques en imposant, pour les animaux comme pour les plantes, une organisation commune : chaque règne (animal, végétal et minéral) étant divisé en classes, elles-mêmes subdivisées en ordres, puis en genres et en espèces.
Cette hiérarchie a été affinée par la suite (notamment par l'introduction de l'embranchement, entre le règne et la classe, et de la famille, entre l'ordre et le genre), mais elle est restée à la base de toute la systématique des animaux et des plantes jusqu'à nos jours : l'avènement de la classification phylogénétique (c'est-à-dire fondée sur les relations évolutives entre espèces), à la fin du XXe siècle, a entraîné de vastes remaniements des groupes, mais les catégories linnéennes (classe, ordre, genre, espèce) sont encore couramment utilisées.
Combinaison de deux noms latins
Enfin, Linné a profondément réformé la manière de nommer scientifiquement les animaux et des plantes en créant la nomenclature binomiale ou binominale : afin de désigner chaque espèce de façon à la fois claire, précise, non ambiguë et universelle, il attribua à chacune d'elles un nom latin formé de deux parties. Il commença à appliquer ce principe à toutes les espèces connues de son temps, puis l'étendit à mesure qu'il avait connaissance de la découverte de nouvelles espèces. Ce système, à la fois rigoureux et commode, fut rapidement adopté par la majorité des naturalistes européens et est aujourd'hui encore le fondement de la nomenclature utilisée par les scientifiques, mais aussi partout où il est essentiel de nommer très précisément des espèces, comme dans les herboristeries.
La nomenclature binominale
Depuis Linné, toutes les espèces vivantes (animales et végétales) reçoivent un nom scientifique, ou binôme, en latin, composé de deux parties : la première correspond au genre, c'est-à-dire à un ensemble d'espèces jugées proches. La première lettre est toujours en majuscule. La seconde écrite en minuscule désigne l'espèce. Par exemple, le nom scientifique du chêne pédonculé est Quercus robur.
Pour que le nom scientifique soit tout à fait complet, il convient d'y ajouter (éventuellement en abrégé) celui du naturaliste qui a pour la première fois nommé l'espèce, et l'année de cette publication. Par exemple, la dénomination exacte du chêne pédonculé est Quercus robur L., 1753 : la lettre « L » désigne Linné, qui a introduit ce binôme dans un ouvrage de botanique paru en 1753, le Species plantarum. Cette publication de Linné est reconnue comme le point de départ de la nomenclature des plantes.
Aujourd'hui encore, quand un naturaliste découvre une espèce, il doit lui donner un nom linnéen, soit en la rattachant à un genre déjà existant, soit, éventuellement, en créant un genre. Ainsi, une publication de 2019 décrit un champignon médicinal chinois, parasite du bambou et jusqu'alors inconnu, pour lequel il a fallu introduire un binôme nouveau (genre et espèce) : Rubroshiraia bambusae. Leur choix est régi par des règles consignées dans des codes internationaux de nomenclature mis régulièrement à jour.