Symbiose
Etonnant : ces fleurs se prennent pour des abeilles !
Les plantes font parfois preuve de stratagèmes aussi incroyables qu'insoupçonnés pour assurer leur reproduction. C'est le cas des orchidées sauvages du genre, mimant dans les moindres détails l'apparence des abeilles sauvages femelles, dont les partenaires n'y voient que du feu ! Ophrys
Les orchidées ne sont pas toutes de sulfureuses beautés exotiques en vente sur les étals des jardineries ou des fleuristes. On dénombre en Europe pas moins de 500 espèces d’orchidées sauvages, dont près de 160 rien qu’en France ! Souvent moins remarquables que leurs concurrentes des commerces – bien que certaines comme l’étonnant Orchis bouc (Himantoglossum hircinum) soient de taille et d’allure imposante – celles-ci n’en sont pas moins saisissantes de finesse et de beauté. Véritables trésors de notre patrimoine naturel, les orchidées sauvages de nos contrées méritent d’être mieux connues et protégées, car elles sont aujourd’hui menacées par la cueillette des ignorants, la raréfaction de leurs habitats due aux diverses activités humaines, voire le pillage des réserves naturelles… Au printemps 2019, près de 3 000 bulbes d’orchidées furent arrachés le long du Rhin, dans la réserve franco-allemande du Taubergießen. En France, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) estime que sur les 160 espèces recensées, 27 sont menacées de disparition. Elles contribuent également à l’équilibre de la biodiversité en développant des relations complexes avec de nombreux organismes vivants, notamment les insectes, dont elles se jouent parfois d’une bien surprenante manière !
D’étonnantes fleurs
Nos orchidées occidentales sont toutes des plantes terrestres (géophytes), contrairement à leurs cousines tropicales qui préfèrent s’élever dans la canopée directement sur la cime des arbres (épiphytes). Ce...
sont des plantes herbacées, dont la tige présente un port presque toujours dressé et non ramifié. Peu ou au contraire très exigeantes selon les espèces, elles se rencontrent dans tout type d’habitat, des parcs et jardins urbains aux coteaux calcaires et aux forêts denses. Au début du printemps, ou parfois dès la fin de l’automne, les belles peuvent être repérées à leur rosette de feuilles caractéristique. Ces dernières sont habituellement longues, glabres, entières, et surtout dotées de nervures longitudinales parallèles et saillantes (bien que quelques spécimens possèdent des feuilles réduites à des gaines ou à des écailles). Il est alors aisé de guetter l’apparition des premières fleurs à partir du mois d’avril. Celles-ci sont toujours munies de trois sépales (un sépale dorsal et deux sépales latéraux, parfois assemblés en casque), ainsi que de trois pétales, dont un pétale médian à la forme souvent remarquable. Ce pétale médian ou labelle, porte parfois un éperon riche en nectar. Si la pollinisation n’a pas encore eu lieu il est possible de distinguer les organes mâles (pollinies) qui rassemblent le pollen en de petites masses « suspendues » au-dessus du labelle. L’organe femelle (stigmate), peu apparent, est confondu dans une colonne : le gynostème. Ce schéma originel concerne quasiment toutes les fleurs d’orchidées.
Savantes usurpatrices
Les orchidées sont capables, comme bon nombre de plantes, de se reproduire par voie végétative ou asexuée. Cependant, si ce procédé se révèle pratique pour assurer exceptionnellement la survie de l’espèce en cas de conditions difficiles, il ne permet pas le brassage génétique essentiel à sa pérennité au fil des générations. Pour cela, il faut l’intervention d’agents extérieurs, capables d’assurer la fécondation croisée entre différents individus : les insectes ! Ainsi les orchidées ont-elles déployé des artifices en tout genre pour attirer leurs pollinisateurs. Le plus remarquable de ces stratagèmes est probablement celui développé par les représentantes du genre Ophrys (Ophrys apifera, Ophrys araniella). Leur labelle, de forme étrange et colorée, mime en réalité le corps des femelles de bourdon, ou d’autres espèces d’abeilles sauvages, jusque dans le détail des yeux et même de la pilosité ! De plus, le phénomène s’accompagne généralement d’une émanation de phéromones sexuelles, destinée à n’attirer qu’un ou deux pollinisateurs spécifiques. Les insectes mâles de l’espèce visée, ainsi leurrés, croient reconnaître une de leur femelle. Ils se posent sur le labelle et entament une « pseudo-copulation ». En s’agitant de la sorte, ils se collent sur la tête les pollinies, avant de s’envoler, souvent pour répéter l’opération sur une nouvelle fleur. Un drôle de manège, savamment orchestré par les plantes pour s’attirer les grâces de leurs éternels compagnons à six pattes…
Un papillon dans les étoiles
Les fleurs blanc pur de l’impressionnante étoile de Madagascar (Angraecum sesquipedale), de la famille des Orchidaceae, portent un éperon si profond (plus de 30 cm), que seul un visiteur doté d’un organe aussi extraordinaire sera en mesure d’en récolter le succulent nectar et de parvenir ainsi jusqu’au pollen. L’heureux élu est le sphinx de Morgan (Xanthopan morganii), l’unique papillon de nuit à posséder une trompe de la longueur adéquate. Le décryptage de ce mécanisme fascinant, produit d’une évolution synchrone entre les deux spécimens, fut énoncé par Charles Darwin lui-même et le guida dans la conception de sa fameuse théorie de l’évolution.