Symbiose
Trolle d'Europe et chiastochètes, une rencontre périlleuse
L'acte de pollinisation est à l'origine d'interactions réciproques, profitables à la fois aux plantes et aux insectes. Ces protagonistes nous prouvent que l'histoire ancestrale de la fécondation par transport du pollen des étamines au pistil peut aussi s'apparenter à un jeu dangereux.
La pollinisation est un sujet sérieux chez les plantes : sans elle, pas de fécondation, et sans fécondation, pas de graines pour assurer la descendance (et donc la survie) de l’espèce. Alors tous les moyens sont bons pour s’attirer les grâces des pollinisateurs tant attendus, principalement les insectes ! La plupart des plantes ont donc développé des organes attractifs, vous savez, les jolies fleurs colorées et à la fragrance subtile ? Certaines portent même sur leurs pétales des graphismes ultraviolets que seuls les insectes savent percevoir. Ces dessins, souvent de forme spiralée, les guident vers le centre de la fleur, autrement dit, directement vers le pollen ! D’autres plantes moins passives, vont jusqu’à séquestrer leurs visiteurs, tandis que d’autres encore sacrifient leur bien le plus précieux au péril de leur existence… C’est le cas du trolle d’Europe (Trollius europaeus) qui sert un véritable buffet à ses pollinisateurs, les mouches du genre Chiastocheta, que nous appelleront simplement « mouches chiastochètes ».
Une drôle de fleur…
Le trolle d’Europe est une herbacée vivace, exclusivement montagnarde qui se rencontre de préférence dans les endroits frais tels que les prairies humides, les marais ou berges des ruisseaux, etc. Il fait partie de la grande famille des Renonculacées, célèbre pour les fameux « boutons d’or », dont il est le...
cousin. La chose est assez simple à deviner lorsqu’on observe ses fleurs jaune vif, dont les pétales refermés sur eux-mêmes, donnent à l’organe une forme presque sphérique, ce qui lui a d’ailleurs valu le surnom de « trolle globuleux », ou encore de « boule d’or ». Ses jolies fleurs solitaires sont portées par une tige dressée, généralement peu ramifiée. Selon les régions, elles s’épanouissent naturellement de fin mai à juillet. Leur parfum subtil et leur teinte vive attirent alors diverses espèces de mouches chiastochètes, qui assurent la pollinisation du trolle en échange du couvert, mais également du gîte pour leurs larves voraces…
… dévorée par les mouches !
À l’intérieur de la corolle, bien cachés sous les pétales recroquevillés, se trouvent plusieurs « nectaires » (sorte de réservoirs à nectar), de nombreuses étamines, ainsi qu’une trentaine de carpelles (organes femelles renfermant les ovules), dont la fécondation aboutira à la formation des graines. Les mouches chiastochètes, sont attirées en premier lieu par le nectar, dont elles se délectent juste après avoir réussi à s’introduire dans la fleur. Si elles avaient auparavant visité un autre trolle, elles y déposent des grains de pollen, qui pourront féconder les ovules. Jusqu’ici, voilà un comportement digne d’un pollinisateur, rien de plus banal en somme. Mais ce n’est pas tout, car les mouches utilisent également les fleurs comme logis pour leur progéniture, au détriment cette fois-ci de la plante ! Une fois bien repues, elles en profitent pour pondre directement dans les carpelles. Les larves naissantes, se nourrissent alors des graines pour subsister. Selon les espèces, la larve dévore une seule graine dans un carpelle avant de se métamorphoser, ou migre de carpelles en carpelles, et peut alors détruire plusieurs graines. Un tel mode de pollinisation apparaît très risqué. En particulier pour le trolle, car les mouches doivent avoir fécondé un nombre d’ovules supérieur à celui des graines qui seront consommées, pour que sa descendance soit assurée. Néanmoins, la plante n’est pas sans recours, puisqu’elle produit une toxine, dont la concentration augmente en fonction du nombre de larves gloutonnes qui l’ont investie. Par ailleurs, si les mouches venaient à « l’emporter », en consommant toutes les graines, le trolle finirait par disparaître, et il n’y aurait plus assez de ressources pour nourrir les prochaines générations de chiastochètes… Cette relation d’interdépendance si vulnérable, illustre avec brio « l’intelligence » de la nature, et la force qui résulte d’un long processus d’adaptation réciproque (ou coévolution) entre les deux partenaires.
Des mouches meilleures que les abeilles ?
En altitude, les abeilles sont moins nombreuses. La reproduction des plantes dépend alors d’autres insectes, mais lesquels ? En 2014, une étude menée par des chercheurs du muséum national d’Histoire naturelle de Paris dans les Alpes françaises, a démontré l’importance et l’efficacité des syrphes (mouches pollinisatrices appartenant à une autre famille que les chiastochètes). En évaluant la fréquence des visites d’insectes sur différentes fleurs, les chercheurs ont découvert que plus de 50 % d’entre eux étaient des syrphes du genre Empididae ! Ces derniers jouent donc un rôle essentiel dans ces écosystèmes fragiles, en assurant la pollinisation.