Les lichens, gardiens de la qualité de l’air
La pollution de l’air est une préoccupation qui agite la communauté scientifique. Or la bio surveillance permet aujourd’hui de mieux l’évaluer pour mieux la prévenir. Les lichens en particulier se révèlent être des organismes très sensibles, capables de capter de nombreux polluants et de nous alerter sur l’état de notre environnement.
Dans la zone industrielle du Havre, non loin des incinérateurs, les lichens sont l’objet de toutes les attentions. Air Normand, une association agréée de surveillance de la qualité de l’air (AASQA), les étudie pour évaluer l’impact des fumées chargées de polluants (métaux lourds, dioxines, furanes...). Leurs observations étalées sur vingt ans ont montré que la zone est passée d’une qualité mauvaise (indice 5) à moyenne (indice 3).
Concrètement, les lichens, issus d’une symbiose entre algue et champignon, absorbent facilement les métaux lourds, les furanes issus des plastiques et les éléments azotés rejetés dans l’air par les industries et les véhicules. En plus de cela, «ils ont une activité continue [grâce à la photosynthèse de l’algue et l’activité du champignon], l’hiver comme l’été, le jour comme la nuit » ajoute Jonathan Signoret, ingénieur d’étude à l’AASQA Air Lorraine, l’association la plus en pointe dans ce domaine.
Un premier indicateur moins coûteux
Utiliser des organismes vivants pour jauger la qualité de l’environnement est une pratique de plus en plus courante appelée biosurveillance. Cette technique a un rôle différent des capteurs qui mesurent précisément et en temps réel la concentration des éléments dans l’air. Lors d’épisodes de pollution, ces mesures physico-chimiques permettent de lancer l’alerte rapidement sur toutes les zones à risques et de réagir en réduisant la vitesse sur les routes, par exemple. Les lichens, très sensibles à la pollution, permettent quant à eux d’intervenir en amont grâce à la surveillance des espèces présentes et leur densité sur le site étudié. Une méthode dite de bio-indication. « Les lichens donnent une notion d’exposition et de risques biologiques, précise Jonathan Signoret. Ils servent de premier indicateur global et permettent, si besoin est, de mettre en place une surveillance physico-chimique », voire d’aider les législateurs à prendre des décisions contraignantes.
Un article paru dans Nature a fait grand bruit en 1997. Deux chercheurs italiens ont établi une corrélation entre le nombre de cancers dans la région de...
Vénétie et la biodiversité des lichens. Même chose en France, où une thèse parue en 2014 a repris des données réalisées en 2002 sur le littoral de Calais et de Dunkerque. «La plus forte contamination indiquée par les lichens correspondait à l’endroit où existait le plus de problèmes pulmonaires », conclut Chantal Van Haluwyn, ancienne chercheuse de l’université de Lille, une référence en lichénologie.
En résumé, les lichens servent de signal d’alerte. Signal qui reste moins coûteux que d’installer sur tout le territoire des appareils de mesure. Certaines collectivités s’emparent donc de cet outil, comme la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement d’Auvergne, qui travaille avec Air Lorraine pour réaliser un inventaire des lichens de la région. Avant elle, le Parc naturel régional des Vosges avait fait la même démarche.
Une discipline encore mal exploitée
Les lichens peuvent aussi faire l’objet de prélèvements qui sont analysés pour évaluer les retombées des polluants au sol. «Associés aux mousses et aux ray-grass, ils permettent de savoir ce qui va être absorbé par les légumes à proximité», note le chargé d’étude d’Air Lorraine. Cette pollution, détectée par la technique de bioaccumulation, a en effet des impacts sur toute la chaîne alimentaire. À Rouen et à La Hague, Air Normand réalise ce type de mesures en parallèle des mesures physico-chimiques. « Les industriels ont une obligation de surveiller l’environnement, et pour cela, ils peuvent utiliser la méthode qu’ils souhaitent», explique Anne François, chargée d’étude chez Air Normand. Certains choisissent donc de payer des études en utilisant les lichens.
La zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer – qui possède pas moins de douze sites classés Seveso, c’est-à-dire présentant un risque d’accident majeur – a fait l’objet d’un suivi lichénique entre 2011 et 2013. À chaque fois, la méthode a fait ses preuves. Les spécialistes sont d’ailleurs intégrés à toutes les démarches de surveillance. Pour autant, l’étude de ces organismes n’est pas encore généralisable. En France, contrairement à d’autres pays européens, la biosurveillance de la qualité de l’air n’est pas réglementée : aucun seuil contraignant n’a été fixé. Autre frein: «La lichénologie est un peu le parent pauvre des groupes taxonomiques. Jugée peu attractive, elle obtient peu de subventions », regrette le lichénologue d’Air Lorraine. En outre, « on compte de moins en moins de spécialistes dans la recherche, et même chose dans l’enseignement », confirme Chantal Van Haluwyn.
Or étudier les lichens nécessite des spécialistes. «En France, on recense plus de 3 000 espèces ! », reprend Sébastien Leblond, président de la commission Afnor. Pour contrer ce problème, Jonathan Signoret mise sur des enquêtes participatives. « Celle que nous avons lancée cet été sur les lichens forestiers de la région Auvergne [jusqu’à fin 2016] connaît un vrai engouement, s’enthousiasme-t-il. Plus de 600 données ont déjà été récoltées. Cela aide à surveiller la pollution, mais aussi le changement climatique.» Si le public semble facile à convaincre, sensibiliser les décideurs publics risque de prendre plus de temps.
Jouez au détective environnemental
Grâce au travail d’Air Lorraine, il est possible d’observer les lichens près de chez soi. La plaquette « Lichens, sentinelles de l’environnement » décrit quatorze espèces et propose de jouer au détective. « Dans une zone rurale, un tronc d’arbre complètement jaune, colonisé par un lichen nitrophile comme la parmélie des murailles, montre un excès d’azote lié au trafic et à l’apport agricole », décrit Jonathan Signoret, d’Air Lorraine. Et cette observation est valable pour l’ensemble du nord de la France. Pour ceux qui veulent perfectionner leur connaissance, des formations sont mises en place par l’Association française de lichénologie, la station universitaire du Limousin (Sulim) et certains centres permanents d’initiatives pour l’environnement (CPIE). la plaquette est à télécharger sur le site www.air-lorraine.org
Une sentinelle pour le changement climatique
Étudier les lichens qui aiment la chaleur donne aussi des renseignements sur les changements de milieux liés au réchauffement climatique. « On se rend compte que les lichens réagissent au changement climatique. On voit apparaître, dans le Nord-Pas-de-Calais par exemple, des espèces dont la répartition est plutôt le sud de la France. Les Belges et les Néerlandais ont aussi constaté l’apparition d’espèces qui n’étaient pas là avant », remarque la lichénologue Chantal Van Haluwyn.