Henri Leclerc, défenseur de la cause végétale
Au début du XXe siècle, Henri Leclerc, médecin et homme de lettres, chercha à systématiser de façon crédible l'emploi des médicinales. Retour sur un parcours dédié à soigner, mais aussi à transmettre et valoriser un savoir imposant.
Henri Leclerc naît à Paris en 1870, dans une famille bourgeoise. Son père est négociant et il a pour parrain laïc Onésime Dupont, professeur de lettres, mais surtout proche ami du botaniste Auguste Soins. Il semble que ce soit ce dernier qui transmit à Henri, dès l'enfance, la passion des plantes, lors des vacances que le jeune garçon passait chez lui, à Samois : Auguste Soins avait en effet pour habitude de tenir des causeries sur les plantes en forêt de Fontainebleau, causeries que le jeune Henri tenait pour particulièrement captivantes ! Il y rencontre aussi des paysans guérisseurs, et même des médecins qui soignent avec des « simples ». Élève au lycée Henri IV, il devient bachelier ès sciences et ès lettres et entre en faculté pour étudier la médecine, tout en continuant d'être passionné de littérature et de poésie. Il rencontre d'ailleurs Verlaine et Huysmans, ses aînés de vingt ans – peut-être même les soigna-t-il ?
Un médecin libéral qui soigne les indigents
En 1896, il devient médecin, affecté à la gendarmerie de Chaumont-en-Vexin (Oise) et à l'assistance médicale gratuite. En 1908, il revient s'installer comme médecin libéral à Paris, où il reçoit, dit-on, « une clientèle huppée, tout en continuant de soigner gratuitement les plus indigents ». Il utilise alors déjà des traitements à base de plantes, même s'il ne leur trouve pas encore toujours de validation scientifique. « Point n'est besoin d'avoir pâli sur de volumineux in-folio, inhalé l'atmosphère des laboratoires ou sondé les arcanes de l'organisme humain pour connaître et appliquer les vertus émollientes de la mauve, les effets carminatifs de l'anis, l'action diurétique du chiendent », écrit-il dans le premier article qu'il consacre à la phytothérapie (1920), en soulignant que « les médecins auraient tort de se désintéresser des ressources de la pharmacopée, si humbles soient-elles »…
Le père de la phytothérapie ?
En 1898, un ouvrage est publié par un médecin militaire berlinois, le Dr Carl Kahnt, intitulé Phytothérapie. Qualifié de « remarquable » par le journal The New York Herald du 26 juin 1900, Phytothérapie donnait les indications médicinales de 197 plantes. En 1901, les journaux relaient la création d'un...
Institut de phytothérapie, à Paris, au 77, rue des Petits-Champs, à l'initiative de jeunes médecins soignant gratuitement les plus démunis. Mais Henri Leclerc ne semble pas avoir fait partie de leur équipe – il exerce alors à Chaumont, dans l'Oise –, et ne serait donc pas non plus l'inventeur du mot !
Naissance d'une discipline
La Première Guerre mondiale lui donne l'occasion d'expérimenter ces remèdes à une plus grande échelle : engagé comme médecin d'état-major auprès du maréchal Foch, il soigne les poilus. Il témoignera plus tard avoir administré volontiers « une potion composée d'hydrolats de tilleul, de fleur d'oranger et de laitue » à ceux « dont les émotions de la guerre titillaient trop le système nerveux », ou encore avoir traité avec succès un officier d'administration de son régiment « dont les fatigues de la campagne avaient manifestement réduit les fonctions rénales » au moyen d'une tisane de fenouil, légume bien connu pour ses effets diurétiques.
De retour du front, il écrit des articles sur l'histoire et les vertus des plantes pour de nombreuses revues médicales (Janus , La Presse médicale, Le Concours médical, Le Bulletin de la Société française d'histoire de la médecine, etc.). Collectionneur de livres anciens, maîtrisant parfaitement le latin et le grec, il apprécie autant les écrits de l'Antiquité que ceux du Moyen-Âge, qui regorgent de descriptions de remèdes et de légendes autour des plantes. Mais aussi, sur le terrain, il n'hésite pas à questionner les guérisseurs et cueilleurs d'herbes qu'il rencontre pour découvrir les secrets de leurs remèdes. Scientifique de son époque, il s'intéresse enfin aux découvertes des chimistes sur les principes actifs des plantes. Il fait ainsi passer ces remèdes traditionnels, comme il l'écrit lui-même, « de la paléontologie médicale à la pratique journalière ». Il traite ses patients tuberculeux avec de l'ail, constatant ses « effets bénéfiques sur la toux, la fièvre et l'état général », ou les brûlures avec des compresses imbibées de thé. Il souligne les vertus de la grande consoude pour réparer les crevasses sur les mamelons des femmes allaitantes, des gouttes de passiflore pour traiter l'insomnie ou du bouillon de citrouille pour redonner des forces aux victimes de dysenterie.
Inventeur du pâté végétal
En 1935, Henri Leclerc, fervent défenseur de la cause végétarienne, publie dans le journal Je sais tout une recette de pâté végétal. Cette préparation à base de beurre de cacahuètes, olives noires et cèpes agrémentée de concentré d'oignon, poivre, sarriette et fenouil, est destinée à remplacer plus sainement le pâté de foie garnissant les sandwichs.
Livres, revues et conférences…
Dans la France de l'entre-deux-guerres, le héros de la nation se fait donc l'ardent défenseur des remèdes végétaux en tous genres : ses articles qui paraissent dans les revues médicales sont de petites monographies rappelant l'histoire, les propriétés populairement admises ou encore les recherches qui ont été menées sur les plantes médicinales, mais aussi sur les fruits, les légumes et toute la flore. Il rassemble ces connaissances dans des livres délicieusement écrits, avec autant de sérieux que d'humour, où la poésie enjolive les données scientifiques et les citations latines ! Son célèbre Précis de phytothérapie paraît en 1922 et sera réimprimé sept fois par Masson, la dernière édition datant de 1999 ! (voir P&S n° 182). Puis c'est En marge du Codex (1924), Les Fruits de France (1925), Les Légumes de France (1927), Les épices de France et des colonies (1929)… Sans oublier d'innombrables conférences sur la phytothérapie données à la faculté de médecine, les conseils médicaux mais aussi alimentaires dont il émaille les rubriques médicales de la presse grand public, les interventions brillantes qu'il fait devant la Société d'histoire de la pharmacie et les cours qu'il donne à l'éphémère École nationale d'herboristerie, créée en 1927 et qui sera fermée en 1941 par Pétain, faisant disparaître avec elle le diplôme d'herboriste. Chevalier puis officier de la Légion d'honneur (1935), médaillé du mérite agricole, Henri Leclerc présidera la prestigieuse Société française de thérapeutique (1935) avant de fonder l'École française de phytothérapie (1937) ainsi que la Revue de phytothérapie, ayant toujours eu à cœur de former des médecins à cette spécialité. Les deux s'éteindront avec lui, en 1955.
L'homme, qui ne pouvait, selon ses amis et confrères, écrire une ligne sans fumer une cigarette (il accordait au tabac de grandes vertus pour le système digestif !), est mort d'une crise cardiaque. Seuls subsistent ses écrits, épuisés depuis longtemps, mais qui sont largement cités dans les ouvrages du Dr Jean Valnet ou du Pr. Jean-Marie Pelt, et de tous les phytothérapeutes d'aujourd'hui !