Ida Bost « Le savoir des herboristes a toujours été remis en cause »
Quelle a été la place des herboristes dans la société française depuis le début du XIXe siècle ? Les recherches d’Ida Bost mettent en avant les évolutions et les crises d’une profession aux multiples facettes, en quête d’identité et, depuis longtemps, de reconnaissance.
Plantes & Santé Votre thèse sur les herboristes commence en 1803. Pourquoi avoir choisi cette date comme point de départ ?
Ida Bost 1803 est la date de création du certificat d’herboriste par la loi du 21 Germinal An XI. La profession accède en théorie à une forme de reconnaissance officielle, déjà réclamée par le passé. Mais en réalité, cette loi est a minima. Le statut de l’herboriste, ainsi que sa définition même, n’y figure pas. Aucune formation spécifique n’est créée. Il est seulement stipulé que pour vendre des plantes médicinales en dehors du monopole de la pharmacie, il faut être titulaire du certificat, lequel est délivré par les écoles et les facultés de pharmacie. En fin de compte, la loi de 1803 semble avoir été conçue plus pour permettre aux pharmaciens de contrôler l’expansion des herboristes que pour reconnaître la profession.
P & S La concurrence entre pharmaciens et herboristes fait-elle déjà rage à cette époque ?
I. B. Ce sont des frères ennemis. L’herboriste est considéré comme un acteur de soins, une alternative moins onéreuse au pharmacien et au médecin. Dans les milieux populaires, on fait appel à lui en automédication ou pour des conseils de santé. Dans les classes aisées, c’est le dernier recours, lorsque le docteur a échoué à soigner. Avec la création du certificat de 1803, le nombre d’herboristes croît de manière exponentielle. À Paris, on compte en 1852 près de 400 herboristeries, soit autant que des pharmacies. La concurrence s’exacerbe à par- tir des années 1870. Sous l’influence des syndicats, l’herboriste porte la blouse blanche, modernise sa boutique. L’opposition prend une tournure de guerre et les procès se multiplient. Il est reproché aux herboristes l’exercice illégal de la médecine et de la pharmacie, notamment via les mélanges de plantes, pouvant être considérés comme des médicaments.
P & S Vous montrez que la profession d’herboriste présente de multiples facettes au XIXe siècle, du simple marchand de plantes à l’empoisonneur...
I. B. En effet, l’herboriste a plusieurs visages. Il est celui qui connaît et soigne avec les plantes, mais il peut aussi être celui qui les cultive et les cueille, ou bien encore il est un simple marchand de plantes, un « épicier » à la réputation parfois douteuse de en 1803 à aujourd’hui ». charlatan. Nombre d’entre eux vendent dans leur boutique bien autre chose que des plantes, comme du matériel d’optique, d’orthopédie ou de photo- graphie, ou parfois des remèdes présentés comme miraculeux. Leurs échoppes ont des allures pittoresques, avec des guirlandes et des bouquets de fleurs séchant devant les vitrines. Cette figure ambivalente se retrouve dans les romans de l’époque. L’herboriste est tour à tour présenté comme camelot, guérisseur, faiseur de miracles, empoisonneur. C’est un personnage mystérieux, à la fois craint et décrié. À cette galerie de portraits contrastés s’ajoute celui de la sage-femme herboriste, laquelle se mue parfois en avorteuse, comme en témoignent plusieurs procès retentissants de l’époque. Cette perception évolue ensuite fortement à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, l’herboriste apparaissant alors comme un acteur de santé au savoir scientifique.
P & S Vous expliquez que la création de l’école nationale d’herboristerie (ENH) en 1927 a joué un rôle décisif dans ce changement d’image.
I. B. Le savoir et les compétences des herboristes sont fortement remis en cause dès la n du XIXe siècle. Les pharmaciens mettent en avant l’insuffisance du certificat, lequel sanctionne uniquement des connaissances botaniques. Face à ces attaques, les herboristes se regroupent au sein de syndicats et d’une fédération nationale, laquelle crée notamment l’ENH, à Paris, dont l’objectif est de doter la profession d’une formation d’excellence à caractère scientifique. Les études durent un an, puis deux, avec un enseignement très riche, des cours d’anatomie, de physiologie, de chimie végétale... L’idée est d’accompagner les changements, le début du XXe siècle étant marqué par l’épanouissement de l’industrie et de l’innovation pharmaceutique moderne. Ceci dit, malgré les demandes de la fédération, le certificat délivré par l’ENH ne sera jamais reconnu officiellement. Pour prétendre au métier d’herboriste, il faudra toujours passer par les facultés de pharmacie.
P & S En 1941, une loi votée sous Pétain supprime le certificat d’herboriste et ce, dans la quasi indifférence générale, alors que la profession connaît un certain âge d’or. Que s’est-il passé ?
I. B. La question n’est pas tant de savoir pour- quoi le certificat d’herboriste a été supprimé en 1941, mais pourquoi il ne l’a pas été avant ! Face à la pression constante exercée par les pharmaciens pour cette suppression, et ce dès la fin du XIXe, les syndicats d’herboristes font un intense lobbying politique, organisant à Paris de somptueux banquets. En 1929, le projet de loi Frot & Soulier, qui prévoyait une formation reconnue par l’État, a ainsi failli être adoptée. Mais en 1941, en pleine guerre, la désertion des syndicats a permis la suppression du certificat. Étrangement, peu d’herboristes s’en inquiètent. Pour eux, cette loi, votée sous l’Occupation, sera forcément abrogée à la Libération. Mais ce ne fut pas le cas ! Après la suppression du certificat, beaucoup d’herboristes vendent prématurément leur boutique par peur de ne pas avoir de repreneur. Avec en toile de fond l’avènement des médicaments chimiques, la profession disparaît progressivement.
P & S Aujourd’hui, dans quelle phase se trouve l’herboristerie selon vous ?
I.B. Dans une phase de renouveau et de restructuration dynamique. Je fais le pari que le monde de l’herboristerie a un avenir plus prometteur que du temps du certificat. Depuis les années 70/80, une nouvelle génération est apparue. Quantité d’écoles offrent un large choix de formations. Depuis 2013, le Congrès national des herboristes constitue un espace de fédération important. La libération de la vente de 148 plantes en 2008 et l’autorisation de 640 plantes dans la fabrication de compléments alimentaires en 2014 ont créé des premières brèches juridiques dans le monopole pharmaceutique, même si des tensions persistent sur fond de cadre juridique complexe. La proposition de loi Fichet de 2011 sur le rétablissement d’un diplôme d’herboriste [qui n’a pas abouti, ndlr] est aussi un signal fort. Enfin, et c’est certainement le plus important : l’herboristerie a conquis le grand public, qui l’associe, au-delà du soin, à un mode de vie alternatif, en lien profond avec la nature.
Les grandes dates de l’herboristerie
1803 La loi du 21 Germinal An XI crée le certificat d’herboristerie. Il est délivré par l’École supérieure de pharmacie sur la base d’un examen de connaissance purement botanique.
1876 Création du premier syndicat d’herboristes, la Chambre syndicale des herboristes de la Seine.
1927 L’Écolenationale d’herboristerie (ENH) voit le jour à Paris.
1941 Loi-décret supprimant le certificat d’herboriste. La vente des plantes médicinales retombe dans le monopole pharmaceutique.
1982-1984 Trois grandes écoles d’herboristerie contemporaine voient le jour : Association pour le renouveau de l’herboristerie (ARH), l’École des plantes de Paris (EDP) et l’École lyonnaise de plantes médicinales (ELPM).
2008 Un décret libère 148 plantes pour la vente libre.
2011 Proposition de loi du sénateur Jean-Luc Fichet sur le rétablissement d’un diplôme d’herboriste, qui n’a pas abouti. 2014 Un arrêté autorise l’utilisation de 641 plantes dans la fabrication de compléments alimentaires.
Avril 2015 Annonce de la création d’un syndicat des métiers de l’herboristerie.
La grande époque de l’herboristerie syndicale
De la fin du XIXe siècle jusque dans les années trente, le milieu des herboristes, très dynamique, se structure autour de syndicats. Le premier à voir le jour est la Chambre syndicale des herboristes de la Seine en 1876, suivi en 1880 du Syndicat des herboristes du Rhône. D’autres regroupements leur emboîtent le pas, dans le Sud-Ouest, le Centre, l’Ouest, le Limousin... En 1910, l’Association amicale des herboristes à Paris, future Association générale des herboristes de France (AGHF), voit le jour. Elle édite l’Herboriste, qui deviendra l’Herboristerie Française, revue de grande influence dans le milieu. En 1924, les syndicats régionaux s’unifient sous la bannière de la Fédération nationale des herboristes de France et des colonies, afin de défendre les intérêts de la profession. La Fédération va ainsi jouer un rôle central dans la formation et la défense des herboristes face aux nombreuses attaques des pharmaciens. Très actif jusque dans les années trente, le syndicalisme herboriste disparaît progressivement, malgré une tentative de relance dans les années quarante. Clin d’œil de l’histoire, le dernier Congrès annuel des herboristes d’avril 2015, à Toulouse, a permis de poser les bases d’un syndicat des métiers de l’herboristerie. Le renouveau est bien en marche !