Nicolas Lémery, alchimiste ou chimiste ?
Médecin et apothicaire de la seconde moitié du XVIIe siècle, Nicolas Lémery était convaincu que les plantes doivent leur efficacité thérapeutique à leurs propriétés chimiques. Adepte de la vulgarisation, il a écrit de nombreux ouvrages médicaux qui ont fait référence jusqu'à plus d'un siècle après sa mort.
Nous sommes en 1672. Nicolas Lémery a 27 ans quand il s'installe comme apothicaire rue Galande, à Paris. Il s'est formé au métier très jeune, d'abord dans l'apothicairerie de son oncle, à Rouen où il est né, puis au laboratoire de Christophe Glaser, apothicaire et démonstrateur de chimie au Jardin des Plantes du Roi et, pour finir, à la faculté de Montpellier. Son arrière-boutique parisienne, ou plutôt son laboratoire, « ressemble à un antre magique, éclairé de la seule lueur des fourneaux », comme l'écrit Fontenelle dans son éloge funèbre, avec ses pots de faïence et mortiers de marbre, fours et étuves, alambics et cornues. Lémery y reçoit le Tout-Paris – même les dames ! –, la mode étant alors aux conférences de savants. Tous s'émerveillent devant les expériences spectaculaires qu'il imagine pour reproduire des phénomènes naturels tels les éruptions volcaniques ou le bruit du tonnerre. Son Cours de chymie, qu'il publie en 1675, sera traduit en latin, allemand, anglais, néerlandais, italien et espagnol, et réglièrement réédité pendant près d'un siècle. Lémery, grand vulgarisateur, décrit avec méticulosité les propriétés des différentes « matières » des trois règnes (minéral, végétal et animal) et des remèdes qu'ils servent à fabriquer.
Un ardent défenseur de la méthode expérimentale
Comme d'autres savants de l'époque, Lémery ne fonde ses connaissances que sur des observations éprouvées. C'est un ardent défenseur de la méthode expérimentale. À l'époque, la confection des « remèdes » est souvent argumentée par des considérations philosophiques. Lémery les réfute, persuadé que la chimie est la seule voie possible pour fabriquer des remèdes efficaces. Il recourt abondamment à l'« analyse à la cornue » : la substance à étudier, introduite dans ce récipient à col étroit et légèrement courbé – on le nomme aussi cucurbite –, est placée sur un feu nu, dans un fourneau ou encore dans un bain de vapeur ou un bain-marie. Le chimiste observe alors comment elle se comporte sous l'effet de la chaleur, évaluant la proportion des différents principes qu'elle recèle.
Selon la chimie du XVIIe siècle – qui englobe alors l'alchimie, dédiée à la transmutation des métaux –, cinq principes constituent la matière : trois « principes actifs » – l'esprit (le mercure), l'huile (le soufre), le sel – et deux « principes passifs » – le phlegme (l'eau) et la Terre. Lorsqu'ils sont...
chauffés, les principes actifs peuvent être récupérés dans un autre récipient, permettant d'obtenir ainsi des « esprits » (volatils) et des « essences », des « huiles » et des « sels ». L'eau, que l'on peut toujours rajouter, ou la Terre, qui désigne le résidu carbonisé restant au fond de la cornue, ne comptent pas. Ce procédé de distillation permet de déterminer la composition des substances. Lémery détaille ainsi le nicotiana (tabac), qui contient « beaucoup d'huile et de sel fort âcre, volatil et fixe », le pavot, qui fournit « beaucoup d'huile, de phlegme et de sel essentiel », ou encore l'opium, caractérisé par « beaucoup d'huile et de sel volatil ». Le procédé permet aussi de traquer… les faux remèdes, qui à l'époque sont légion. Bon nombre d'apothicaires se font escroquer sur les foires par des marchands peu scrupuleux, avides de bénéfices.
Malgré sa grande popularité, Lémery n'échappe pas aux nouvelles persécutions contre « ceux de la religion prétendument réformée », ravivées par Louis XIV. Calviniste, il est forcé d'abandonner sa charge d'apothicaire en 1681. Il part étudier la médecine à Caen, avant de revenir diplômé à Paris., où il se convertit au catholicisme pour pouvoir rouvrir boutique. L'infatigable chimiste, apothicaire et désormais médecin, entame la rédaction d'un autre monument : La Pharmacopée universelle, qui paraîtra en 1697.
L'eau d'arquebusade
L'eau d'arquebusade est un remède dont on attribue souvent la paternité à Nicolas Lémery. Le savant présentait cet alcoolat de plantes vulnéraires dans son cours de chimie. Il est pourtant plus probable qu'elle ait été élaborée par des moines du Vercors, à la demande de François Ier. La recette de Lémery est spécifique et ne contient que 24 ingrédients, alors que certains laboratoires suisses qui fabriquent encore de nos jours cette « eau des arquebusiers » affirment que 75 ingrédients entrent dans sa composition !
Aux sources de la pharmacopée française
D'autres pharmacopées existent déjà à l'époque, mais celle de Lémery est beaucoup plus vaste. Dans sa préface, il annonce un « ouvrage auquel personne n'a encore travaillé ». Sur plus de 1 200 pages, il y recense tous les remèdes en usage « tant en France que dans les autres parties de l'Europe », afin que chaque apothicaire puisse y trouver son compte. Méthodiquement, il décrit leurs vertus, les doses préconisées, les recettes de fabrication et, bien sûr, la forme sous laquelle ils doivent être administrés : décoction, tisane, infusion, émulsion… À cette époque, on préconise aussi les robs (le suc tiré du fruit), les cucuphes (un bonnet à double fond que l'on remplissait d'herbes) ou les juleps (boissons sucrées servant d'excipients à des préparations médicinales)… Certains remèdes datent de l'Antiquité, telle la thériaque d'Andromaque, le médecin de Néron, qui compte 64 ingrédients ! Lémery en présente une version réformée en enlevant 12 ingrédients, qu'il juge inutiles ou dangereux. Figurent aussi d'autres remèdes plus inattendus : gelée de coings, ratafia de cerises, hypocras ou sirop d'orgeat, listés au même rang que les autres. Il accompagne sa pharmacopée, d'un Dictionnaire alphabétique des drogues simples, qui paraît séparément un an plus tard.
Un dictionnaire sur les drogues
« Toutes les matières minérales, végétales, animales qui entrent dans les remèdes et comme il y en a peu qui n'y entrent, ce recueil est une bonne partie de l'histoire naturelle ». Ainsi se présente le Dictionnaire alphabétique des drogues simples (1698), l'autre grand ouvrage de Lémery. Les définitions, souvent critiques, vont à l'encontre de nombreuses idées reçues de l'époque : « le véritable opium n'est pas une larme », « le café n'est pas une fève ». S'y trouvent des ingrédients étonnants tels le cranium humanum (crâne humain), la mandragore d'Italie, l'hydrargyrum ou vif-argent (mercure). Le premier, râpé et réduit en poudre, traite l'épilepsie, la seconde lutte contre les tumeurs et le dernier, ingurgité liquide, contre les maladies virales !
Lémery finit sa vie avec tous les honneurs : entré comme associé chimiste à l'Académie des sciences en 1699, il en sera vite pensionnaire et y restera presque jusqu'à sa mort en 1715. Ses ouvrages traduits dans toute l'Europe lui survivront longtemps, faisant figure de références pour les apothicaires. Ce n'est en effet qu'en 1818 que l'État publiera la toute première pharmacopée française.