Ces élixirs floraux qui transforment l’ennui
Et si les moments de désœuvrement n’étaient plus de pures pertes de temps, mais des occasions rêvées pour se ressourcer ? Changer de regard sur l’ennui et sur le sentiment de vide qui l’accompagne permet de mieux se connaître et de développer sa créativité. Voici quelques clés pour apprendre à en faire une force.
Dans une file d’attente, en réunion, en transit à l’aéroport, devant un spectacle… L’ennui guette partout. On trouve le temps long, on a l’impression de n’avoir rien à faire d’intéressant, on devient maussade. Contrairement à la paresse ou à la contemplation, que l’on choisit, nous subissons l’ennui et sa vacance d’action.
Dans un monde où nous avons pris l’habitude d’optimiser la moindre minute (jusqu’à répondre à nos e-mails dans la rue), où dégager quelques heures de disponibilité relève de notre choix, être « obligé » à l’inactivité est vite insupportable, car on s’y sent emprisonné.
Pourtant, il est possible de faire de l’ennui un allié. Comment ? En observant le mal-être qui nous assaille lorsqu’on s’y confronte, et en analysant nos ressorts psychologiques. Cette première phase va nous permettre, en effet, d’identifier les élixirs floraux les plus adaptés à nos ressentis. Car le « temps perdu » a des messages à nous délivrer…
Se défaire du qu’en-dira-t-on
Il nous invite, par exemple, à ne pas nous soumettre à la pression sociale. On a tôt fait d’être traité d’empoté, de fainéant ou d’être jugé insipide ou de culpabiliser lorsqu’on reste là, « sans rien faire ». La menthe pouliot, dont l’étymologie renvoie à son pouvoir de chasser les puces (pulex, en latin), éloigne ces idées parasites. Son élixir peut même être pulvérisé dans l’air pour nous départir du qu’en-dira-t-on. Utilisée en phytothérapie pour, notamment, équilibrer le système nerveux, cette plante libère des schémas mentaux sclérosants en florithérapie.
Derrière le réflexe d’attraper notre smartphone ou un journal dès que pointe un moment potentiellement ennuyeux, se cache souvent une peur du vide, héritée de l’époque où, enfant, nous entendions « tu n’as rien d’autre à faire ? ».
Comme le tremble, dont les feuilles aux pétioles aplatis frissonnent au moindre souffle d’air, nous comblons l’inaction, animés d’une vague inquiétude. L’élixir issu des fleurs de ce peuplier donne le courage d’affronter notre univers intérieur et de se laisser porter par le vent, sans anxiété, telles les graines à l’abri dans leur enveloppe cotonneuse.
Quant à l’élixir d’impatiente, il est d’un bon secours à ceux qui ne...
supportent pas de perdre une minute. Pourquoi ne pas en garder sur soi au cas où ? Ce sentiment pénible de désœuvrement offre une belle opportunité de goûter au retour sur soi. Encore faut-il combattre le désintérêt que l’on affiche vis-à-vis des tâches monotones ou des moments d’attente.
Notre salut peut provenir d’une plante à rhizome originaire d’Afrique du Sud, la strelitzia. Dotée d’un feuillage vert bleuté persistant indiquant une certaine ténacité, elle présente de gracieuses fleurs orange et bleu qui lui valent le surnom d’« oiseau de paradis ». En nous détachant des considérations matérielles au profit d’une certaine sensibilité, son élixir, Ave del paraiso, parvient à nous ancrer dans le présent, à nous délivrer de ce qui nous semble limitant et à nous faire découvrir la beauté et la richesse de notre monde intérieur.
Un pont entre ciel et terre
Certains élixirs ciblent d’ailleurs le déploiement de l’imagination. Celui d’iris, fleur qui évoque la déesse grecque éponyme, toujours porteuse de bonnes nouvelles, est un antidote quand le temps semble s’étirer à l’infini. À l’image de la « déesse de l’arc-en-ciel », il jette un pont entre la terre (et ses conditions étouffantes ou ternes) et le ciel, jardin de l’inspiration des créatifs, qui ont bien compris que l’ennui permettait parfois de faire émerger nos idées.
Bien sûr, ce retour sur soi ne doit pas tourner à la rumination. Le marronnier blanc aux fleurs asymétriques, fripées et parsemées au milieu des feuilles, évitera de se laisser envahir par ces mille pensées qui occupent notre espace mental.
N’avoir envie de rien… est un luxe ! Et peut-être aussi un besoin passager. Alors, ralentissons, apprenons à nous poser et à nous écouter. Arbre sacré des Indiens mapuches, le canelo aide à accéder à un état de paix profonde. Ses inflorescences de couleur blanche organisées en ombelles sont un véritable symbole de paix et de protection. Les fleurs recueillies pour fabriquer son élixir transmettent ce message de sérénité et de confiance qui nous permet de ne plus vivre l’ennui comme un fardeau. Il peut accompagner toute philosophie de vie qui propose de méditer sur la vacuité.
Pour pactiser avec l’ennui, mieux vaut ne pas y résister. Le pissenlit, très fortement ancré au sol par des racines riches en calcium, mais dont les boules blanches plumeuses essaiment des fruits aux quatre vents, incarne bien ce nécessaire détachement. Ses rosettes de feuilles, ses racines et ses tiges creuses renferment du latex dont on fait du caoutchouc, signe d’une certaine flexibilité.
Son élixir s’avère utile quand des tensions musculaires s’ajoutent à l’irritation mentale. Au lieu de trépigner, il nous invite à « être » plutôt qu’à « faire ». N’est-ce pas là le message essentiel de l’ennui ? Quand il s’impose dans notre agenda sans que nous l’ayons convié, il vient aussi nous rappeler que cet équilibre entre agir et non-agir, stimulation et repos, préserve notre santé.
Lotus zen
Fleur nationale de l’Inde, le lotus Nelumbo nucifera est sacré dans l’hindouisme ancien et le bouddhisme. Ce cousin des nymphéas s’épanouit dans les grands étangs, et ses feuilles circulaires qui peuvent atteindre un mètre de diamètre semblent chercher à occuper les espaces vides à la surface de l’eau.
La vase dans laquelle il s’enracine peut évoquer le sentiment vague d’abandon et de tristesse que provoque l’ennui. Mais, loin de s’embourber, le lotus sait en retirer de la force pour prendre de la hauteur. Sa fleur unique s’élève bien droite au-dessus de l’eau.
Son message est puissant : elle favorise le détachement matériel et ouvre à une dimension spirituelle. Celle qui nous permet de profiter des temps morts pour nous reconnecter, sans orgueil, aux valeurs qui nous habitent comme l’amour, le partage et la liberté.
Étudier l’ennui
L’étude Just think publiée par Science en juillet 2014 donne à réfléchir : deux tiers de volontaires hommes et un tiers de volontaires femmes ont préféré s’administrer un choc électrique plutôt que de rester seuls avec eux-mêmes, sans converser ni rien faire durant six à quinze minutes !
Pourtant, à une époque où l’on s’ingénie à développer des moyens pour accéder à « tout, tout de suite », où l’on parle aussi de bore-out (ennui au travail), s’embêter de temps en temps permet au moins de s’investir dans des activités qui ont du sens, estime Wijnand van Tilburg, de l’université de Limerick, en Irlande.
Son travail a montré que les personnes qui jugent leur action insignifiante sont plus enclines à accomplir des tâches désagréables et altruistes, comme donner son sang. Une autre étude, réalisée en 2013 par la British Psychological Society, confirme que l’ennui, en autorisant la rêverie, est source de créativité.
Moralité : entraînons-nous à ne pas nous occuper ! Rien de tel qu’une journée sans portable, un peu de méditation ou autre technique pour apprendre à attendre, se découvrir soi-même et laisser infuser ses pensées avant d’agir.
Avec Patricia Solon, conseillère en élixirs floraux