Dans les pas des géants verts
Sculptures végétales de la forêt d’Argentenay
En Bourgogne, dans le Tonnerrois, la forêt d’Argentenay accueille de drôles de personnages élaborés à partir d’arbres et de mousses. Ces sculptures monumentales, sorties de l’imagination de l’artiste Alain Bresson, dévoilent leur poésie et leur mystère le long d’un parcours bucolique. À découvrir en toutes saisons.
Il faut commencer par suivre un sentier boisé, planté de part et d’autre de chênes, de charmes et d’érables champêtres. « La forêt d’Argentenay se trouve sur un plateau calcaire. Il y a très peu de terre ici, et les chênes mettent du temps à pousser », explique Alain Bresson.
L’artiste, qui s’inspire du vivant pour ses sculptures, a choisi de travailler avec des érables, car « ils grandissent assez vite et je les complète facilement avec de la mousse. » Dès les premiers pas, le regard du visiteur est attiré par des boules de mousse suspendues aux branches comme des mobiles. Elles nous serviront de guide tout au long du parcours.
« J’ai imité la technique des nids d’oiseaux pour les maintenir en sphères compactes, en y insérant de petites piques de bois. Les mousses sont des végétaux merveilleux qui changent de couleur en fonction du temps, passant du jaune en période de sécheresse à un vert éclatant en saison humide, et qui résistent très bien sur la durée. Certaines sont là depuis sept ans ! ».
Les oiseaux ne sont d’ailleurs pas les seuls à utiliser la mousse pour leur nid : les hommes le font aussi pour végétaliser leurs toits, comme engrais en agriculture et même pour calfeutrer des coques de bateaux. Traditionnellement, elles servirent de pansements hémostatiques ou de cataplasmes pour apaiser la douleur. Des laboratoires pharmaceutiques étudient aujourd’hui ses propriétés antimicrobiennes et antifongiques.
La forêt comme atelier
Rien ne prédestinait la forêt d’Argentenay à devenir un site de land art – cette « branche » de l’art contemporain qui utilise le cadre et les matériaux de la nature. En 2013, en balade dans la forêt, Alain Bresson s’inspire de la forme des arbres pour développer ses idées. Il repère alors quatre érables et débute sa première sculpture sans autre arrière-pensée.
Le résultat séduit la maire du village, qui donne son accord pour de nouvelles créations in situ. Dans la foulée, une association est montée pour financer le projet et offrir à l’artiste les moyens d’élaborer ces curieux personnages.
Laisser faire la nature
Du haut de ses 15 m, le Maramousse majestueux contemple le visiteur. Son corps est formé de deux érables parallèles habillés d’une mousse toute douce. La tête a été sculptée et peinte. Des morceaux de bois ramassés alentour symbolisent les pieds autant que de grosses racines.
« Au départ, il n’y avait pas de branche, commente le sculpteur. Celles-ci ont poussé rapidement, et forment désormais des antennes. C’est toute la différence entre les œuvres réalisées avec du vivant, qui évoluent par elles-mêmes, et celles du land art classique, destinées la plupart du temps à n’être qu’éphémères. »
Le cheminement se poursuit, parsemé de pièces malicieuses disposées ici et là pour interpeller les visiteurs, comme cette table de « désorientation » que l’on peut orienter selon ses envies. Une façon humoristique de rappeler le vertige que l’on peut parfois éprouver au contact de la nature…
Un peu plus loin apparaît l’autoportrait de l’artiste : un petit bonhomme de terre rouge, à califourchon sur un tronc, offrant un bouquet de fleurs à la vie. Les fleurs synthétiques sont d’ailleurs les seuls artifices que l’artiste s’est autorisé. Un hommage à son grand-père qui en portait souvent, et que chaque géant arbore désormais à la boutonnière.
Bateau en partance
Et si l’eau recouvrait la forêt ? À partir de cette hypothèse, Alain Bresson a construit un bateau, qui semble ici échoué au fond de la mer. La coque, construite avec des charmes et des érables, mesure 30 m de long et 4 m de haut. Pour figurer la voile, une plume immense mais toute en légèreté a été imaginée par la peintre Marie-Laure Herbigo, compagne du sculpteur, dans un textile transparent à base de fibre de verre. T
out autour, suspendus aux branches par des filins, des poissons flottent. L’effet est saisissant. Trois mois et demi ont été nécessaires pour façonner cet ensemble. « Selon les saisons, les ambiances varient, raconte l’artiste. Quand il y a du vent, les poissons bougent, la voile bouge, on navigue... »
Alors que nous revenons sur nos pas pour nous enfoncer un peu plus dans le sous-bois, la silhouette curieuse du Pachicornemousse facétieux imitant « le homard attendant le tram » se dresse. Cette drôle de bestiole de 4,5 m de haut est composée de trois chênes pour le corps et de fausses racines de 10 m de long recouvertes de mousse. Impressionnant !
Chemin faisant, un autre personnage fabuleux découvre sa silhouette hérissée de piques, étirant son bec de façon un peu inquiétante : le Dromigognone. Plus loin encore, Alain Bresson rend hommage à son institutrice, celle qui l’a poussé, il y a des années de cela, à cultiver son côté fantasque et libre : cette grande figure joyeuse, dressée vers les cimes des arbres, est entourée… d’une classe verte, bien entendu !
Enfin, pour clore la balade poétique, deux grands échassiers de bois s’enlacent tendrement comme un couple amoureux. « On ne peut faire mieux que la nature, alors autant s’en inspirer, commente, pensif, Alain Bresson. N’est-ce pas la raison d’être de l’artiste, donner forme aux choses qui échappent à la raison et changer ainsi notre regard sur le monde ? »
Infos pratiques
Pour admirer le travail de l'artiste : www.alain-bresson.com ou www.facebook.com/foretsgeantsverts
Se rendre sur les lieux : depuis la place du village d’Argentenay, suivre les panneaux « Les Géants verts ». À partir du parking, avancer sur 300 m et tourner à droite en suivant le fléchage.
Se loger : à Argentenay, chambre d’hôtes pour 2 pers, 115 € avec petit déjeuner. Tél. : 03 86 75 60 63.