Les jardins Albert-Kahn, la mappemonde d'un humaniste
Au bord de la Seine, l'ensemble paysager du musée Albert-Kahn a rouvert ses portes cet automne. Plus beau que jamais, il offre une certaine idée de la paix dans le monde, reflétant, depuis 1893, la philosophie du célèbre philanthrope soucieux de l'interaction du monde végétal avec celui des Hommes.
Caché derrière les grands arbres et un origami architectural géant (le futur musée qui ouvrira en 2021), ce « jardin à scènes » raconte la vision d'un utopiste, Albert Kahn (1860–1940). Un idéal de paix et de connaissance des cultures du monde qui comme l'explique Michel Farris, le responsable du jardin, entre en résonance avec les besoins de notre planète d'aujourd'hui : « Il cherchait à réunir les peuples et à montrer, à travers le lien entre les différents végétaux, que les cultures pouvaient aussi se lier et non pas se combattre. Dans le jardin, l'arbre est le symbole du lien, à l'instar de l'humain. » Toute l'année, on peut sillonner le « jardin monde », propriété du département des Hauts-de-Seine depuis 1968. Cet automne, il a baigné dans les feuilles rousses des érables et dans les dorés flamboyants des grands hêtres et des ginkgo biloba. Maintenant au cœur de l'hiver, les herbes du matin sont gelées et en fin de journée, quand la nuit tombe, on peut arpenter les chemins tracés par les ampoules LED dans une ambiance féerique. En cette saison, où la nature tend à s'endormir, vous pourrez tout de même observer la floraison du camélia sasanqua, du bergenia (plante des savetiers), du garrya (arbuste à feuillage persistant), du houx couvert de fruits ou encore du nandine (bambou sacré) et du skimmie du Japon.
L'invitation au voyage
Tout ici s'entrecroise : les racines et les cultures en sept scènes paysagères liées entre elles. L'un des symboles qui relie les deux grands continents, c'est la présence des grands cèdres de l'Atlas, mêlés aux sapins du Colorado, avec leurs origines africaine et américaine. Le continent asiatique est représenté par le Japon et son « jardin-promenade » invitant à la méditation.
Dès l'entrée de ce jardin de quatre hectares, on donne aux visiteurs le plan des douze parties à découvrir. Pour commencer, on aborde le jardin anglais avec ses pelouses, son ruisseau, son bassin d'eau et son ambiance bucolique, truffée au printemps de primevères, de narcisses et de jonquilles. Le tout est légèrement vallonné, enrobé de belles pierres sculptées de mousses et de lichens, et dominé par un cottage, un pont en rocaille et des sapins et des érables.
La nature sacrée du jardin japonais
Albert Kahn a fait venir des artistes japonais pour dessiner cette œuvre botanique dans les règles de l'art, ainsi que deux maisons traditionnelles dédiées à la cérémonie du thé. À la fin des années 1980, le paysagiste Fumiaki Takano a réaménagé le tout en racontant symboliquement la vie du grand homme avec sa sagesse, ses grandeurs, ses remous : on retrouve l'agencement du kaiyûshiki, le jardin-promenade ancestral qui invite à la méditation autour d'une grande pièce d'eau habitée par des carpes Koï, les célèbres poissons blanc et rouge. Dans cet écrin de verdure où coule une rivière dans les passages secrets et souterrains du jardin, on marche sur des dessins subtils de céramique de couleurs, on croise un arbre à l'odeur de caramel, un tsukiyama-niwa (petite butte artificielle) et on traverse des ponts pour gagner des îlots poétiques. La symbolique inhérente à tous les jardins japonais s'harmonise autour des éléments de la nature représentés par les pierres, les galets, l'eau, le bois, les fleurs, les poissons et les arbres. Le bambou, très résistant, assure la permanence tout l'hiver, ainsi que les pins noir et rouge du Japon.
Roses, fruits et coccinelles
On passe ensuite au jardin français, gardé à sa droite par une splendide serre blanche qui rouvrira bientôt en même temps que le musée. Au bout de ce théâtre romantique, un espace d'exposition dans un petit pavillon montre « Les Archives de la Planète » voulues par Albert Kahn dont les maximes habillent les murs : « Ce que j'ai cherché, c'était le chemin de la vie et les principes du fonctionnement de l'univers ». Des films muets en noir et blanc ramenés du Japon, d'Espagne, de Grèce ou encore du Paris du début du XXe siècle peuvent être visionnés. Côté jardin, ce printemps vous pourrez admirer les camélias, les abricotiers du Japon, les ceanothe (lilas de Californie), les cornouillers mâles, les ifs, les magnolias étoilés, les pruniers de Pissard et les forsythias.
Ce sont les paysagistes stars de la Belle Époque, Achille et Henri Duchêne, qui ont mis en scène le verger-roseraie : les rosiers sur arceaux répondent aux roses anciennes enroulées autour des arbres fruitiers tels les pommiers et les poiriers. On trouve aussi des mirabelles et des reines-claudes à déguster à la belle saison… En effet, depuis 2013, l'écosystème a retrouvé son naturel, les pesticides étant interdits. Comme nous précise le jardinier en chef : « Quand on fait l'effort de travailler autrement, la biodiversité renaît d'elle-même et rapidement… Les parasites ne sont jamais un problème. Nous avons acheté des coccinelles il y a six ans. Elles s'occupent des pucerons avec grand succès ! En revanche, le trop-plein de chaleur est nuisible à certains de nos arbres. Le changement climatique est visible, les deux canicules de cet été ont fait souffrir beaucoup de végétaux. Nous sommes en train de réfléchir à la modification des scènes paysagères pour que les végétaux soient mieux adaptés au changement de température. » En somme, le dérèglement du climat amène aussi de la créativité ! Résultat, des végétaux plus résistants aux sécheresses tels l'olivier et le mimosa pourraient trouver leur place aux côtés d'autres invités, chouettes, écureuils, geais et perruches !
Ode aux forêts
Les arbres règnent en maîtres dans ce jardin. Les plus sages ont atteint 160 ans : hêtres pleureurs, sequoias, platanes, pins de l'Himalaya, érables et gingko biloba. On trouve aussi des raretés : un arbre aux mouchoirs blancs (Davidia involucrata), l'arbre erethia (une espèce primitive) et le torreya (un conifère japonais). Dans la forêt vosgienne, l'air y est plus frais et les essences balsamiques des pins entrent dans les poumons. À cause des deux canicules estivales, cette partie a souffert. Pour prévenir les futurs réchauffements et les zones de plein soleil, les jardiniers ont laissé les arbres pousser librement : les sous-bois, les chênes et les pins forment ainsi une immersion verte à 360 °C ! On passe ensuite dans la forêt dorée avec ses bouleaux et ses épicéas. La forêt bleue expose ensuite ses épicéas du Colorado et ses cèdres de l'Atlas.
Infos pratiques
Adresse Jardin Albert-Kahn, 1, rue des Abondances, 92100 Boulogne-Billancourt, tél. : 01 55 19 28 00, http://albert-kahn.hauts-de-seine.fr
Comment y aller ? Par le métro (ligne 10 jusqu'au terminus). Bus : lignes 160, 72, 175, 467, 52, 126 et 460, arrêt Rhin et Danube.
Tarifs et horaires 3€ tarif réduit, 4€ plein tarif. Gratuit pour les moins de 18 ans et le premier dimanche du mois. Ouvert tous les jours sauf le lundi, de 11 h à 18 h en hiver (jusqu'à 19 h à partir du 1er avril). De nombreux sentiers sont accessibles aux personnes à mobilité réduite et aux poussettes.
Hébergement Hôtel Acanthe en face du jardin, 9-11, rond-point Rhin et Danube, 92100 Boulogne-Billancourt, tél. : 01 46 99 10 40, à partir de 105 e la chambre (jusqu'à 60 % de réduction pour des réservations à l'avance), www.hotelacanthe.com