Le jardin du Flérial, la nature prend ses aises
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Oubliés, les jardins à la française, tirés au cordeau. Ici, dans l'Yonne, sur un hectare et demi s'égaillent dans un joyeux désordre toutes sortes de végétaux. La présence de nombreuses mares nous fait appréhender la spécificité des plantes aquatiques, qui contribuent énormément à créer cette réserve de biodiversité, à la personnalité un peu subversive…
« Je voulais créer un jardin expérimental et implanter une pépinière de plantes aquatiques ». L'envie d'Éric Lenoir, jardinier paysagiste et auteur, prend forme en 2011, quand il achète un terrain en jachère au sommet d'un plateau venteux où ne poussaient que du rumex, des chardons ainsi que quelques graminées. La première année, l'auteur du Petit et du Grand Traité du jardin punk*, décide d'observer comment la végétation se comporte sur le site. Il constate rapidement que plus il laisse faire la biodiversité, plus la végétation se porte bien. Ainsi, les adventices bénéficient à d'autres végétaux avec lesquels elles évoluent le plus souvent en symbiose. Éric Lenoir prend l'exemple du chardon : « Ses racines pénètrent profondément dans la terre pour en extraire, en association avec des champignons, de l'eau et des nutriments, explique le jardinier. Ce faisant, ils les rendent accessibles au système racinaire moins développé d'autres plantes. Le sol est aussi rendu plus habitable pour la microfaune, tandis que les chardonnerets se nourrissent des graines ». Si le jardinier ne fait pas disparaître les plantes spontanées, il surveille tout de même leur expansion, comme cette dizaine de pieds de coquelourde à fleurs de coucou, qui ont conquis 150 mètres carrés.
Des haies d'espèces locales protègent le terrain des caprices du vent
Mais pour que ce jardin fonctionne comme un écosystème autonome, il a fallu relever de nombreux défis. Comme celui de trouver des solutions concernant le sol argileux, qui retient beaucoup d'eau. Pour éviter qu'il reste inondé l'hiver et se transforme en béton en été, une petite pente s'est avérée utile afin de drainer l'eau de pluie. Des fossés et des mares ont aussi été creusés. La terre mise de côté a permis de créer des buttes où des haies d'espèces locales ont été plantées. Celles-ci protègent le terrain des caprices du vent. « J'ai fait au plus simple et au moins onéreux en récupérant des arbres ici là », se souvient Éric Lenoir. Selon leur type de croissance, ces végétaux ont pris la forme de haies, de bosquets ou de massifs. Et au fil des années, le jardin s'est enrichi de 250 variétés, parmi lesquelles des amélanchiers, des bouleaux, des saules, des pins et des ifs ainsi que des cerisiers, pêchers de vigne et cognassiers et des aromatiques comme le thym et la lavande. Sous une butte en terre consolidée avec des poutres et divers matériaux en bois, un cellier, où la température reste constante à 12 degrés, abrite pendant l'hiver des plantes exotiques comme le gunnera du Brésil.
La visite du jardin, guidée par Éric Lenoir, commence par la mare de démonstration. Son fond a été bâché, ainsi nous pouvons découvrir comment poussent in situ les nymphéas, les pontédéries, les laîches… D'autres aquatiques, tels le trèfle d'eau et le souchet, cousin du papyrus, ont trouvé place dans les autres mares. Éric Lenoir cultive toutes ces plantes, en tout 450 variétés, dans sa pépinière, qui fait partie du jardin. En y pénétrant, le visiteur peut être désemparé devant son aspect désordonné, laissant toutes sortes de plantes se côtoyer dans un joyeux mélange de caisses. « Cette diversité de placement, explique le jardinier, permet de créer des nano-climats avec une exposition qui a plus de chance de profiter aux plantes et d'éviter la propagation des maladies et des ravageurs sur une espèce. »
La bugle rampante (Ajuga reptans)
Cette plante vivace au feuillage persistant, aussi nommée petite consoude, porte des fleurs bleu violacé au printemps. On la trouve en massifs, à l'orée des bois et au bord des cours d'eau. Ses feuilles peuvent se consommer crues en salade, ou cuites pour une sauce verte. La bugle est utilisée en phytothérapie pour son action anti-inflammatoire, antiseptique et antirhumatismale.
La tondeuse au placard
En quittant la mare, la sensation d'immersion dans la nature s'accentue. Pour favoriser la biodiversité, seules quelques allées sont tondues. On se perd un peu, et nous voilà à nouveau devant le cellier. On découvre une rangée de saules avant d'arriver à la grande mare. Éric Lenoir fait découvrir les espèces locales, dont beaucoup sont comestibles comme le plantain, l'ortie, l'églantier, la bugle rampante et la menthe cervine qui nourrissent le sol, les herbivores, granivores et butineurs. Les mares attirent d'ailleurs toute une faune. Parmi les nénuphars, on peut distinguer des tritons alpestres, des grenouilles et parfois des couleuvres à collier. « J'ai commencé un inventaire, et la variété d'espèces est assez époustouflante », commente Éric Lenoir.
La menthe cervine
Preslia cervina (ou Mentha cervina) est une menthe non envahissante, contrairement à la menthe aquatique. Elle pousse dans les zones humides. Elle forme une touffe et se développe grâce à de petits stolons. Ses feuilles très fines rappellent celles de la sarriette ou du romarin. Elles dégagent un parfum épicé qui aromatise les plats en sauce. Ses fleurs en forme de pompon bleu, très mellifères, apparaissent de juillet à août.
Ainsi, en été, les papillons, sauterelles et mantes religieuses pullulent dans le jardin. Ces dernières sont des marqueurs de biodiversité et d'excellents auxiliaires du jardinier. Quand celui-ci trouve des escargots et des limaces, il les prend et les dépose à un bout du jardin où ils seront repérés par les hérissons et les oiseaux. « Au final, ce lieu a très peu besoin d'entretien : cinq jours par an suffisent. Quant à l'arrosage, il peut s'en passer », précise le jardinier. Il en va ainsi d'un « jardin punk » ! à la fin de la visite, on prend conscience que c'est beau de laisser les plantes s'exprimer, et qu'une pelouse non tondue donne une très belle prairie.
Infos pratiques
Comment y aller : Depuis Paris, prendre l'autoroute A6. à la sortie 18, prendre la direction de Joigny (D943) puis la D89 jusqu'au lieu-dit « la Pautenotte » (5 minutes de la sortie). Compter 1 h 30 de trajet. Même durée depuis Orléans, Troyes ou Dijon.
En train : Gare SNCF de Joigny. Le jardin est à 10 km.
Adresse : Le Flérial est situé à Volgré, 89710 Montholon. Ericlenoirpaysagiste.com
Horaires : Les visites guidées (environ 2 heures) ont lieu d'avril à octobre, uniquement sur rendez-vous. Par mail : pepiniere.ericlenoir@orange.fr ou par tél. : 06 15 09 28 45. Tarif indicatif : 8 euros. La visite peut se poursuivre par celle du jardin potager adjacent.
Événements : Journées portes ouvertes les 28 et 29 mai. Rencontres du Flérial le deuxième dimanche de juin. Des stages de formation sont régulièrement organisés, ainsi que des balades ornithologiques.
Se loger : Gîte et chambre d'hôtes « La Terre se crée », à Montholon, 52 euros la nuit. Tél. : 03 86 91 52 77 ou 06 40 38 99 66.
A lire
* Petit Traité du jardin punk et, plus récemment, Le Grand Traité du jardin punk, par Éric Lenoir, éd. Terre vivante.