Une figue dans le poirier : La permaculture au sommet
À 640 mètres d'altitude, dans le sud du massif des Vosges, une association de passionnés a créé un lieu où esthétique et pédagogie du vivant vont de pair. Dans leur jardin baptisé « Une figue dans le poirier », la permaculture est magnifiée et les visiteurs repartent riches d'idées aussi bien écologiques qu'artistiques.
« Une figue dans le poirier, c'est l'impossible qui devient possible », explique Lilian Didier, jardinier paysagiste permaculteur, évoquant cette prouesse qui a consisté à apporter une très grande diversité végétale – plusieurs centaines d'espèces différentes – dans un jardin d'altitude. Cet impossible devenu possible, c'est aussi le fait de parvenir à sensibiliser le plus grand nombre à la permaculture en faisant du beau une priorité. « La dimension esthétique est un bon support de dialogue avec le grand public sur les pratiques permacoles », justifie Lilian Didier.
Quand on arpente ce jardin d'un hectare, force est de constater que le pari est réussi ! Les formes et couleurs végétales sont innombrables, contrastant avec les paysages environnants, plus sobres. En effet, à l'étage montagnard où nous nous trouvons, la hêtraie-sapinière, forêt naturelle la plus répandue du massif vosgien, domine. Les quinze panneaux didactiques sur la pratique et la philosophie permacoles, à suivre comme un jeu de piste, n'enlèvent rien au charme du lieu ; ils sont même la preuve que l'urgence écologique n'est pas incompatible avec la recherche du beau.
Un jardin comme un labo
Au cœur du projet lancé en 2015, on trouve aussi la création d'un jardin-forêt c'est-à-dire un jardin permacole couplé à une forêt comestible. Dans ce lieu, 500 espèces d'arbres, arbustes et lianes ont ainsi été installées, bon nombre d'entre elles étant comestibles : des essences locales (pommiers, cerisiers, mirabelliers, myrtilliers…) et des « exotiques » (kakis, ronces de Chine, kiwis de Sibérie…) « À cette altitude, la biodiversité comestible naturelle est limitée (myrtilles, mûres mais aussi hêtres, dont on peut manger les faines, et sapins aux bourgeons parfumés). Nous avons donc eu besoin de nous tourner vers des plantes d'ailleurs qui poussent dans des régions au climat similaire voire plus rude, explique Lilian Didier qui entend répondre à la problématique du changement climatique. Un jardin en 2023, je l'envisage comme un laboratoire : j'expérimente des plantes tolérantes à de grandes amplitudes thermiques, résistantes à la sécheresse, etc., afin d'en faire un lieu ressource pour les agriculteurs de la région ».
Kiwaï (Actinidia arguta)
Aussi appelé mini-kiwi ou kiwi de Sibérie, ce cousin du fruit poilu est délicieux, mais il affiche aussi de belles vertus nutritionnelles (riche en vitamine C et polyphénols). Assez facile à cultiver, la plante grimpante qui le porte est très résistante au froid et donne une récolte en septembre et octobre.
Le parcours fléché qui conduit d'une pancarte didactique à la suivante donne différents enseignements sur la permaculture (la gestion de l'eau, la place des animaux, les méthodes de régénération des sols, etc.). Mais il ne faut pas hésiter à sortir de ce chemin tracé et à se laisser guider par d'autres éléments, comme les nombreuses œuvres d'art et de land art qui jalonnent les allées. Parmi elles, observez les algues de fer forgé particulièrement mises à l'honneur. « Ces plantes marines sont une solution d'avenir car ce sont les forêts d'algues qui séquestrent le plus de carbone. Et nutritivement, elles compensent les carences nutritionnelles que beaucoup de personnes connaissent actuellement », explique Lilian Didier qui a lui-même forgé ces algues. Si l'océan s'est retiré des Vosges depuis des millions d'années, de nombreuses installations aquatiques offrent à l'oreille le doux bruit de l'eau. Une des allées s'enfonce dans la forêt de pins située en contrebas, où un spectacle onirique attend les visiteurs, celui d'un théâtre perdu au milieu des bois composé d'une scène traversée par plusieurs arbres. S'asseoir sur ces gradins, c'est la promesse d'humer les parfums résineux jusqu'à l'ivresse.
À l'université du vivant
La réalisation d'un jardin permacole implique de dessiner au préalable un plan : c'est ce qu'on appelle le « design » en permaculture. Généralement, cinq zones sont circonscrites. La première, proche de l'habitation, est la plus fréquentée (atelier, point d'eau, potager…). À l'opposé, la cinquième zone est un espace où l'on ne se rend jamais ou presque, réservée au vivant sauvage, qu'il soit végétal ou animal : c'est ce qui distingue vraiment la permaculture du jardinage classique. « Cette dernière est une zone témoin où nous n'intervenons pas, commente Lilian Didier. Nous pouvons nous y rendre occasionnellement, avec le plus grand respect, afin d'observer nos impacts sur ce milieu et constater le maintien de l'écosystème, les apparitions ou disparitions de nouvelles espèces. C'est en quelque sorte notre université ! ».
La dynamique des forêts
Ici, les visiteurs font aussi l'expérience, grandeur nature, de la succession végétale naturelle, c'est-à-dire des étapes permettant d'aller d'un sol nu à un écosystème mature. « Il me semblait important d'expliquer la dynamique forestière à celles et ceux qui voudraient concevoir un jardin-forêt. » C'est ainsi qu'a germé chez Lilian Didier l'idée de planter des arbres au feuillage pourpre (prunus, arbre à perruque, érable…) au milieu de plantes sauvages pionnières (ronces, genêts…), afin que les visiteurs puissent visualiser la succession des végétaux qui s'opère dans le temps par un simple contraste de couleur. « Actuellement, la forêt pourpre est à un stade juvénile et on a donc encore une majorité de vert, puis dans cinq à dix ans, on atteindra un équilibre de couleurs avant d'obtenir une majorité de rouge, symbolisant une forêt adulte ». Cette expérience est un support pédagogique, mais aussi une œuvre d'art vivante, comme le reste du jardin. « À terme, les visiteurs pourront s'immerger sous une canopée rouge avec des lumières intéressantes à observer », se plaît à imaginer Lilian Didier.
Infos pratiques
Comment y aller ?
- En voiture : Le jardin se trouve à 1 h de Nancy, sur un itinéraire touristique, la fameuse Route des chalots (les chalots sont de petites dépendances de fermes vosgiennes à l'architecture particulière).
- En train et vélo : rendez-vous à la gare de Remiremont (2 h 45 de TGV depuis Paris), puis direction l'office de tourisme de la ville qui loue des VTT électriques. Un Figuier dans le Poirier se trouve à 12 km.
Horaires et tarifs : Du 1er mai au 31 octobre, du jeudi au dimanche, 10 h à 17 h 30, visite libre 6 €, visite guidée entre 8 et 10 €.
Adresse : 11, Les Envers, 88340 Girmont-Val-d'Ajol. Tél. : 06 10 42 44 92. Unefiguedanslepoirier.fr
Hébergement : Hôtel-restaurant La Vigotte, 131, lieu-dit La Vigotte à Girmont-Val-d'Ajol. Tél. : 03 29 24 01 82. À partir de 72 € la chambre double. Lavigotte.com
Office de tourisme Remiremont Plombières dans les Vosges : tourisme-remiremont-plombieres.com