Agriculture urbaine,
place à la high-tech
Cultures hors sol verticales, systèmes aquaponiques, potagers intérieurs… Des fermes urbaines prennent racine au cœur des grandes métropoles. Cette agriculture futuriste prônant la consommation locale est encore en phase expérimentale, mais elle ne manque pas d'ambition. Explications.
L’art de cultiver des légumes dans les zones bétonnées, avec un maximum de rendement dans un minimum d’espace, c’est l’ambitieux défi de l’agriculture urbaine high-tech. Faire pousser des plantes dans des containers, des vitrines ou encore des membranes en laine suspendues : tous les moyens sont bons pour mettre la ville au vert. Dans un contexte d’urgence écologique où les consommateurs prennent de plus en plus conscience de l’importance d’une alimentation locale et durable, « l’agriculture intensive en ville » semble une réponse aux attentes sociétales.
Jeune actrice de ce nouveau secteur, la start-up française Agricool produit des fraises grâce à l’aéroponie, soit une brumisation d’eau et de nutriments sur des racines. L’Allemande InFarm a inauguré, elle, le plus grand potager vertical intérieur de France au sein des locaux du grossiste alimentaire Metro. Il s’agit d’une culture en hydroponie, dans des armoires vitrées, éclairées par des lampes à LED programmées selon le cycle de croissance des plantes et alimentées en circuit fermé par une eau enrichie en nutriments. De son côté, l’entreprise Sous les fraises mise sur une technologie originale : une membrane en laine de mouton et chanvre (légère pour être installée sur les toits) munie de poches dans lesquelles sont disposés compost et plantes. Équipée en capteurs météo, l’installation pilote l’approvisionnement en engrais des végétaux.
Entre technologie et écologie
Réduire les coûts énergétiques des cultures, viser l’autosuffisance alimentaire et conserver le goût et la qualité nutritionnelle des légumes cultivés hors sol : ces méthodes expérimentales ont plusieurs challenges à relever. De plus, faute d’espace de production, ces fermes doivent user d’ingénierie ultratechnologiques afin d’optimiser leurs rendements. Ainsi, les potagers hors sol d’InFarm se présentent en colonnes verticales contenant 14 plateaux de culture d’une quarantaine de plantes, répartis sur sept niveaux, où l’on distingue 14 variétés d’herbes aromatiques et quatre de microvégétaux. Leur système d’hydroponie fait appel à des lampes LED qui reproduisent le spectre visible du soleil ainsi que son intensité du matin au soir. Des microcapteurs et sondes permettent, quant à eux, de mesurer et de suivre le rendement des jeunes pousses.
Selon Florian Cointet, responsable d’InFarm France, « ce potager consomme environ 95 % d’eau en moins qu’une culture conventionnelle grâce à une alimentation en eau des plantes en circuit fermé ». Avec ses 80 m² de surface exploitée chez Metro, l’entreprise produit quatre tonnes d’herbes aromatiques par an. Le tout, sans terre et sans soleil, mais surtout sans pesticide. Impossible toutefois pour InFarm d’obtenir le label Agriculture biologique, en raison du caractère hors sol des cultures. Même ChamPerché, jeune société parisienne à l’origine de la technique en bioponie, ne peut l’obtenir. Leur système, presque identique à l’hydroponie, se démarque pourtant par l’utilisation d’un fertilisant végétal biologique issu du recyclage par compostage des déchets verts de particuliers et industriels. Une méthode d’agriculture qui s’inscrit dans une démarche à la fois écologique et technologique.
C’est aussi le cas de la start-up Agricool, qui ramène ses fraises dans d’anciens conteneurs maritimes entièrement revisités. La jeune pousse les a notamment équipés de LED, ce qui multiplie l’intensité énergétique par trois et divise son coût par deux. Pour faire mûrir les fruits, les racines sont brumisées d’eau et de nutriments, une technique appelée aéroponie. Le printemps est réinventé dans ces minilabos connectés !
À chacun sa conception
Contrairement à InFarm ou Agricool, la start-up parisienne Topager prône la culture des légumes en pleine terre. « Je crois plus au système low-tech qu’au high-tech », confie Nicolas Bel, ingénieur et fondateur de l’entreprise. « Les cultures en intérieur utilisent des LED qui, certes, consomment très peu d’énergie, mais en revanche nécessitent beaucoup de terras, des éléments minéraux dont l’extraction s’avèrerait très polluante ».
Quant à la start-up Sous les fraises, forte de ses 118 000 plantes cultivées à la verticale sur des membranes en laine de mouton et chanvre, elle se réjouit de voir ses productions cuisinées par de grands chefs et commercialisées sous forme de produits d’épicerie. L’entreprise teste désormais des modèles de fermes de plus en plus circulaires. Au programme, élevage de truites et système de culture des plantes en aquaponie (voir encadré plus bas), aux effets secondaires particulièrement intéressants. « L’élevage des poissons amène des oiseaux, des libellules et des insectes qui favorisent la biodiversité », confie Marie Dehaene, responsable d’exploitation de l’entreprise.
En jeu, dans ces nouvelles méthodes agricoles : la baisse des coûts de production (à travers l’usage de systèmes fermés et robotisés) et la commercialisation de produits frais et locaux. Ces techniques restent toutefois consommatrices d’énergie électrique et d’intrants (nourriture des poissons en aquaponie, engrais en hydroponie). Quant au goût et à la qualité nutritionnelle des végétaux produits hors terre à l’aide d’une lumière artificielle, ils semblent répondre aux attentes. Marie Dehaene assure d’ailleurs que « l’intérêt du local, c’est que les produits sont cueillis à maturité. On élimine le transport et le frigo, et cela se ressent dans les saveurs ».
Un modèle rentable ?
Si l’agriculture urbaine semble en plein essor, elle peine néanmoins à trouver son modèle économique. Les exemples de fermes urbaines pouvant prospérer sur les revenus de leurs ventes de produits sont encore plutôt rares. Main d’œuvre, contrôle de la robotique, coûts des installations, ressources énergétiques… Les investissements exigés par les cultures hors sol sont souvent extrêmement élevés, augmentant le prix des produits pour le consommateur.
Malgré tout, les recherches, prototypes et expérimentations de certaines start-up ont su convaincre et générer des levées de fonds importantes ces dernières années. Agricool a ainsi levé 25 millions d’euros en 2018. Elle projette de produire sur 30 m² la même quantité de fraises que 4 000 m² en plein champ… Un rendement 120 fois supérieur à celui d’une exploitation classique. Quant à InFarm, implantée chez Metro, elle a levé près de 22 millions d’euros et ambitionne d’exploiter 1 000 fermes verticales à travers l’Europe d’ici fin 2019.
Vers l’autosuffisance alimentaire
L’autonomie alimentaire constitue l’un des objectifs de ces jeunes entreprises agricoles. Partout dans le monde, et notamment à Paris, des femmes et des hommes cherchent à inventer de nouveaux moyens de produire de la nourriture saine.
Concernant le chiffrage du potentiel de production de l’agriculture urbaine, les études scientifiques convergent. Elle pourrait alimenter jusqu’à 10 % de la population des villes – et pas davantage, faute d’espaces et de coûts de production trop élevés par rapport à la surface cultivée. L’avancée technologique des méthodes agricoles ces dernières années laisse toutefois entrevoir la possibilité de passer à un stade plus performant, en espérant qu’elles entrent également dans une logique encore plus durable.
Les nouveaux modes d’agriculture
- L’aquaponie
Ici, la culture des végétaux passe par un écosystème constitué d’un élevage de poissons – qui fournissent l’engrais (déjections) – et de plantes qui purifient en retour le milieu aquatique.
- L’hydroponie
Système de culture où les racines des plantes sont plongées dans un substrat irrigué par une solution nutritive enrichie d’engrais liquide nécessaire aux plantes. Il peut fonctionner en circuit fermé : la solution nutritive est alors pompée, recyclée et renouvelée régulièrement. Son pH est surveillé, de même que sa concentration en sels minéraux.
- L’aéroponie
Cette méthode s’inspire de l’hydroponie, mais ici les racines sont maintenues en suspension dans le vide et pulvérisées d’une solution nutritive à intervalles réguliers. Le tout, à l’intérieur d’une chambre d’aspersion obscure pour empêcher le développement d’algues.
- La bioponie
Également dérivée de l’hydroponie, cette technique de culture de plantes hors sol utilise une solution nutritive, mais bio.
Et ailleurs…
Au cœur de Bruxelles, la plus grande ferme aquaponique du monde comprend une serre haute technologie et un potager extérieur de 2 000 m² chacun. En combinant une culture de végétaux hors-sol avec une production de poissons, la Ferme Abattoir produit chaque année 35 tonnes de bars rayés, 15 tonnes de tomates, 120 000 barquettes de micropousses et 140 000 pots de plantes aromatiques, pour des magasins ou des restaurateurs locaux. La ferme commerciale Lufa (photo) est la toute première serre sur toit ayant germé à Montréal. Elle cultive pour sa part 2 500 kg de légumes et d’herbes fraîches destinés au marché local.
L’agriculture urbaine, c’est aussi
Des villes ont opté pour une agriculture en pleine terre. Elles misent pour cela sur l’aménagement de toits, la redynamisation de parkings abandonnés, de caves et de sous-sols. Une voie qui présente de nombreux avantages : entretien de la biodiversité, rétention des eaux pluviales pour soulager les toitures, air plus sec en hauteur qui préserve les cultures des maladies, degrés supplémentaires pour démarrer plus tôt les cultures ou encore régulation de la température ambiante… Cette pratique sensibilise aussi la population à une consommation en circuit court et reconnecte les urbains au végétal. À Paris, elle représente 1 km de « murs » de houblon, 1 170 arbres fruitiers, 124 jardins partagés et 17 jardins pédagogiques. Et, d’ici à 2020, le projet Parisculteurs prévoit 30 hectares d’immeubles végétalisés.