Sécheresse, que va-t-on semer l'année prochaine ?
La baisse du volume des récoltes due à la canicule de 2022 pose la question : quelles sont nos marges de manœuvre en termes de variétés et d'espèces cultivées ? S'il n'existe pas de plante ou de gène « miracle », un mix de solutions peut être déployé.
« Cette année, la sécheresse a commencé tôt : la pluie s'est arrêtée et les grosses chaleurs se sont fait ressentir de plus en plus », se remémore Luc Suret, agriculteur bio qui cultive en Charente-Maritime une dizaine de plantes – lentilles, pois chiches, haricots, tournesol, etc. Il raconte : « Au fur et à mesure, les cultures ont été très impactées, car les fortes températures ont fait couler les fleurs, et même les pois chiches en ont subi les conséquences alors que c'est une plante méditerranéenne censée résister aux canicules ». Comme Luc Suret, de nombreux producteurs français ont connu des rendements à la baisse en 2022 à cause des conditions climatiques extrêmes : au niveau national, si la production de blé est stable, celle de maïs est l'une des plus faible de ces trois dernières décennies selon Agreste, le service de statistique du ministère de l'Agriculture. La Corab, coopérative bio à laquelle adhère Luc Suret en Charente-Maritime, constate des pertes conséquentes. « La baisse atteint 30 % sur l'ensemble des cultures collectées cet été, incluant les lentilles, les haricots secs ou encore les pois verts », déplore Jérôme Allais, responsable du pôle technique de la structure.
Sous les panneaux, les plantes
L’agrivoltaïsme, qui consiste à cultiver des plantes ou à élever du bétail en dessous de panneaux solaires mobiles, permet de fabriquer de l’électricité tout en faisant de l’ombre aux végétaux ou aux animaux. « C’est tout à fait intéressant pour des cultures que l’on veut préserver d’un éclairement trop intense », estime le chercheur François Tardieu qui cite comme exemples la laitue, que l’on préfère tendre et non durcie par le soleil, et la vigne, de laquelle on espère tirer des vins modérément alcoolisés. « C’est au moins aussi intéressant que l’agroforesterie, car les panneaux, contrairement aux arbres, ne rentrent pas en concurrence avec les cultures pour l’accès à l’eau », ajoute-t-il. Mais, une partie du monde agricole n’y est pas favorable. Dans une lettre ouverte datée du 20 septembre, la Confédération paysanne dénonce de nombreux « effets pervers » : manne financière générant des conflits d’intérêts, perte de la qualité de vie au travail, dégradation des paysages, menace pour la biodiversité… Et dans un communiqué de presse publié deux jours plus tard, le syndicat agricole Jeunes Agriculteurs demande un moratoire tant que ne seront pas déjà recensées, et le cas échéant exploitées, les terres déjà artificialisées – terrains pollués, parkings, etc. À la fois futuriste et pourtant déjà présent dans nos campagnes, l’agrivoltaïsme ne fait pas l’unanimité en tant que solution aux défis climatiques.Des plantes affamées ou assoiffées
En revanche, une culture tire son épingle du jeu : le millet, que les agriculteurs de la Corab ont également cultivé, et qui conserve son rendement habituel. Cette plante alimentaire fait partie des végétaux qui ont développé des mécanismes de meilleure tolérance au manque d'eau. En effet, dans le monde végétal, certains systèmes racinaires ont une capacité supérieure à capturer l'eau du sol. Pour le millet, cela se traduit par l'extension en continu de ses racines. Par ailleurs, il existe des espèces qui remplissent mieux leurs graines en situation de stress hydrique. C'est le cas de certaines variétés de blé et d'orge. Sont aussi impliqués les stomates, sortes d'orifices microscopiques présents à la surface des feuilles : ils peuvent s'ouvrir et se fermer, régulant les échanges gazeux (dioxygène, dioxyde de carbone…) entre la plante et l'air. Or, lorsque les stomates font entrer le CO2 qui, via le mécanisme de photosynthèse, entraîne la croissance végétale, ils font aussi s'échapper de la vapeur d'eau, phénomène appelé transpiration végétale. C'est là où le bât blesse : en situation de stress hydrique, les stomates doivent arbitrer entre affamer la plante (lorsqu'ils se ferment) ou l'assoiffer (lorsqu'ils s'ouvrent).
Faut-il alors semer davantage d'espèces à l'image du millet ? « Le problème avec cette culture, c'est que les Français la méconnaissent, ce qui fait que notre coopérative commence tout juste à commercialiser le stock de l'année passée alors que la nouvelle récolte arrive », confie Jérôme Allais. Les recettes traditionnelles comme les milhàs du pays d'Oc, les cruchades de Gascogne et le do pilaï vendéen ont été oubliées à l'après-guerre. La même difficulté se pose pour le sorgho, qui tolère la sécheresse, mais dont peu de personnes savent qu'il peut entrer dans l'alimentation sous forme de farine ou de pop-corn. La Corab compte ainsi mener une campagne d'information sur les façons de cuisiner ces plantes, en commençant par le millet.
« Il existe des plantes véritablement résistantes à la sécheresse dans le sens où elles arrivent à survivre dans des conditions très difficiles », explique François Tardieu, directeur de recherche au Laboratoire d'écophysiologie des plantes sous stress environnementaux à l'Inrae. Et de citer l'exemple du dactyle, une herbe semée dans les prairies sèches et qui a la capacité, après un fort stress hydrique, de repartir à la première pluie. Il regrette : « Ce n'est malheureusement pas en transposant les gènes de ces espèces dans les plantes alimentaires comme le blé qu'on va garantir notre sécurité alimentaire dans le futur : en effet, les processus qui permettent la survie de ces plantes n'ont presque rien de commun avec ceux qui donnent un rendement acceptable dans les conditions qu'un blé rencontre au champ, même en année sèche ». En d'autres termes, la recherche d'un gène miracle n'est pas envisagée car son pendant est le risque d'aboutir à de trop faibles rendements, ce qui ne serait pas rentable pour l'agriculteur.
Les variétés récentes mieux adaptées au stress hydrique
François Tardieu, qui a consacré toute sa carrière de chercheur à l'étude des plantes soumises aux changements climatiques, reste tout de même positif. Dans un article qu'il vient de publier dans la revue Nature Communications, il analyse 66 variétés de maïs commercialisées entre 1950 et 2015 sur 30 champs en Europe, et montre que les rendements ont augmenté, et ce, quel que soit le climat. Cela signifie que les variétés plus récentes, sélectionnées pour leur productivité, sont aussi mieux adaptées aux contraintes environnementales, notamment au stress hydrique. En 2019, ce sont 220 variétés de blé que le biologiste Gaëtan Touzy étudiait du point de vue de leur tolérance à la sécheresse : il montrait lui aussi que les variétés récentes étaient généralement plus performantes que les variétés plus anciennes en cas de sécheresses étalées sur tout le cycle de la culture.
Quels légumes au potager ?
Blaise Leclerc, auteur de Légumes et canicule (Terre vivante), a identifié trois types de légumes pour adapter son potager à la sécheresse :
- Les variétés primeur ou précoces « Dans les régions méridionales, lorsque le printemps démarre de bonne heure, dès le mois de mars, il peut être intéressant de semer ou de planter certains légumes très tôt pour pouvoir les récolter avant la canicule », explique ce docteur en agronomie et jardinier. Il donne l'exemple de pommes de terre à planter fin févier ou début mars (Charlène, Charlotte, Chérie, Monalisa…) pour une récolte fin juin ou début juillet.
- Les légumes d'automne-hiver et de printemps « La fréquence des périodes de sécheresse et de canicule augmentant, la ratatouille pourrait devenir un plat rare si les principaux légumes qui la composent (aubergine, poivron, courgette, tomate) sont plus difficiles à produire », se projette Blaise Leclerc. Il rappelle que de nombreux légumes peuvent être cultivés tout au long des autres saisons : ail, asperge, betterave, blette, chicorée d'hiver, échalote, épinard, fève, mâche, oignon, pois, roquette, topinambour, etc.
- Les légumes à enracinement profond « Leurs longues racines pivotantes descendent au moins à 40 cm de profondeur, ce qui permet d'atteindre de l'eau inaccessible à la plupart des autres légumes du potager », commente le jardinier en citant panais, salsifis et scorsonère.
« Migration » des cultures
François Tardieu souligne un autre élément rassurant, à savoir que les agriculteurs ont facilement accès à des variétés plus précoces, c'est-à-dire dont les événements clés de leur développement (floraison, remplissage des grains, etc.) surviennent avant que ne se posent les éventuels problèmes de stress hydrique. Il existe par exemple des types de maïs dont la floraison survient relativement tôt en été, ce qui protège les fleurs des fortes chaleurs. Mais le chercheur précise que l'option des variétés précoces n'est pas valable pour toutes les espèces, à commencer par le blé, dont le cycle ne peut être décalé car il dépend de la durée du jour et de la vernalisation, c'est-à-dire d'une nécessaire période de froid pour la montée en graine. « Cette arme s'applique aux cultures de printemps comme le maïs, mais aussi l'orge, le tournesol ou le sorgho. » Si la recherche de ces variétés précoces a tendance à faire « descendre » les cultures vers le sud, le phénomène inverse s'opère également avec des variétés qui « montent » vers le nord afin de gagner en rendement. En l'occurrence, la coopérative bio de Charente-Maritime s'apprête à rechercher des variétés espagnoles pour profiter du réchauffement du climat. En outre, de nouvelles espèces exotiques s'implantent dans nos campagnes ces dernières années : patate douce, quinoa, coton, thé…
Le verger de demain
L'automne est la période idéale pour planter des arbres au jardin. Dans l'ouvrage Un jardin fruitier pour demain (éd. Terre vivante), Robert Kran raconte quelles espèces fruitières exotiques il a plantées dans son jardin corse afin d'anticiper les changements climatiques, notamment la sécheresse. Il a choisi le chêne vert à glands doux, Quercus ilex ballota, cultivé en Afrique du Nord et en Espagne. « Si les prévisions de réchauffement climatique se révèlent exactes, il deviendra particulièrement intéressant ici, car il est très résistant à la chaleur et à la sécheresse », prévoit l'auteur. Les glands de cette variété de chêne contiennent peu de tannins. Robert Kran cultive aussi le jujubier, Zizyphus jujuba, qui croît de préférence dans des sols secs. Les jujubes font partie des quatre « fruits pectoraux » avec les dattes, la figue et le raisin, aux vertus adoucissantes pour la gorge. Le cerisier de Cayenne, Eugenia uniflora (photo), supporte bien la sécheresse mais développe des fruits plus gros lorsqu'il a de l'eau à disposition. « Son feuillage est très beau au printemps et ses jolies cerises côtelées sont très agréables à manger en été », précise Robert Kran.
Autre changement qui révolutionne depuis peu le visage de notre agriculture et permet, dans certaines conditions, de l'adapter aux vagues de sécheresse : l'abandon du labour. Cette pratique ancestrale a le désavantage de tasser le sol. En cause, l'utilisation des tracteurs modernes, trop lourds. Le sol devient alors moins accueillant pour les vers de terre, ces précieux hôtes qui creusent des galeries par lesquelles s'infiltrent la pluie et l'arrosage. Sans le labour, on fait pénétrer davantage d'eau dans le sol ! De la même manière, les haies et certaines pratiques agroforestières sont considérées comme des façons de contribuer à la résilience de l'agriculture face aux risques de sécheresse. L'agriculteur bio Luc Suret abonde dans ce sens : « Pour pallier ces changements climatiques, on pourrait modifier le cours des choses en changeant tout l'environnement agricole de façon collective, notamment en ramenant un peu plus d'arbres sur les exploitations ».
Développement de nouvelles filières comme celles du millet et du sorgho, variétés plus précoces, mais aussi non-labour et plantations d'arbres… : un « mix de solutions », pour citer François Tardieu, doit être mis en œuvre pour que notre agriculture résiste aux épisodes de sécheresse à venir. « Il y a de quoi être inquiet, mais il y a aussi de quoi s'adapter », en conclut le chercheur, qui invite en outre à se méfier des « poudres de perlimpinpin ». Rappelons-nous en effet cette information qui a fait le buzz l'été dernier : des scientifiques avaient constaté que les plantes étaient plus résistantes au manque d'eau lorsqu'on ajoutait de l'éthanol dans le sol ! Si la simplicité de la méthode a pu paraître séduisante aux yeux de certaines personnes, ne nous méprenons pas : c'est en prenant en compte la complexité du monde vivant que nous nous adapterons.