Se mobiliser pour les légumineuses... et les protéines végétales
Bons pour la santé et la planète, les légumes secs doivent pourtant batailler pour se faire une place dans nos champs et nos assiettes. L'état, le monde agricole et les industriels de l'alimentation semblent enfin se manifester. Réveil ou coup de communication ?
Voici bien longtemps déjà que dans nos pages, nous évoquons les bienfaits nutritionnels des lentilles, pois, fèves, haricots secs et soja non OGM. En plus de leur teneur élevée en protéines végétales, les légumineuses sont riches en fer, fibres et vitamines. Elles présentent donc une alternative intéressante aux protéines animales, que nous devons limiter dans notre consommation pour faire baisser les émissions de gaz à effet de serre liées notamment à l'élevage. Or selon Terres Univia, l'interprofession des huiles et protéines végétales, 60 % de notre apport protéique provient encore de source animale (dont 40 % de viandes). Quant aux protéines végétales, on trouve difficilement le chiffre des légumineuses noyé dans un fourre-tout comprenant les céréales et les féculents, les fruits et légumes et même les viennoiseries ! On sait tout de même que nous en consommons encore bien peu, environ deux kilos par personne et par an. C'est dire si l'on part de loin…
Des cultures aux multiples atouts
Certes, en 2017, les recommandations nutritionnelles officielles ont sorti des limbes les légumes secs en appelant à en consommer plus. Certes, l'État met 100 millions d'euros sur la table pour relancer la production des légumineuses en France, mais la somme englobe aussi bien l'alimentation humaine qu'animale. Certes, les industriels agroalimentaires français privilégient de plus en plus les lentilles et les pois made in France, même si la moitié sont toujours importés pour les conserves. Alors s'agit-il d'effets d'annonce ou est-ce l'enclenchement d'un cercle vertueux ? Notre agriculture peut-elle produire suffisamment et dans de bonnes conditions ces produits, qui après avoir été longtemps associés aux temps difficiles de l'après-guerre, sont de plus en plus au goût du jour ?
Céline Le Guillou de Terres Univia, se veut optimiste : « Les plans précédents ont permis de doubler en sept ans les surfaces cultivées de soja, lentilles et pois chiche. Les cultures de légumineuses ont l'avantage de fixer l'azote dans le sol, limitant ainsi l'usage d'engrais azoté et de produits phytosanitaires. Les céréales semées ensuite sur ces mêmes terres nécessitent moins d'engrais et obtiennent de meilleurs rendements. Il faut maintenir et renforcer encore ce type de production vertueuse. » Le nouveau plan de l'état est censé soutenir ces cultures et aider les agriculteurs à investir davantage. Est-on alors sur la bonne voie ? Non pour les pois et les haricots secs conventionnels. Cultivés çà et là pour les assolements, ils ne sont ni comptabilisés ni valorisés. Pour les autres légumes secs, même si les surfaces de cultures ont augmenté, la situation est loin d'être idéale selon Marie-Benoit Magrini, économiste spécialisée dans l'étude des légumineuses à l'Inrae : « L'État saupoudre de l'argent aux agriculteurs pendant quelques années avec ces plans de relance, puis ça s'arrête. Les productions ne se maintiennent pas faute de vraies filières territoriales. Ce n'est pas comme ça qu'on va y arriver ! Il faut des contrats locaux de production entre des industriels et des agriculteurs avec des prix fixés et des consommateurs identifiés. »
C'est dans cette logique de filière intégrant production, transformation, distribution, consommation, que la métropole de Dijon lance un ambitieux projet Alimentation durable 2030, doté de 46 millions d'euros venant de fonds publics et de partenaires privés, industriels notamment : « Nous voulons mettre en route une transition agroécologique pragmatique et vertueuse où le “ mieux manger ” conduira au “ mieux produire ”, et inversement. Le projet va développer une filière légumineuse bénéfique pour l'environnement et la santé, avec une juste rétribution des producteurs et une meilleure considération de leur travail. Nos légumineuses seront transformées grâce à des unités construites spécialement et elles seront au menu de nos cantines scolaires », s'enthousiasme Philippe Lemanceau, vice-président de Dijon Métropole.
À Dijon, un projet d'alimentation durable
Mettre tout le monde autour de la table des légumineuses, c'est l'originalité du projet Alimentation durable 2030 mis en place par la métropole. Un projet local qui regroupe des agriculteurs, des industriels locaux de la transformation et de l'industrie agroalimentaire, des chercheurs de l'Inrae, les cantines scolaires et les citoyens. Chacun aura son mot à dire pour bâtir ensemble d'ici dix ans une filière ancrée sur le territoire du Grand Dijon et de ses 300 communes. L'objectif ? Stimuler la consommation des légumineuses en restauration collective, puis rendre accessibles à chacun ces légumes secs un peu oubliés. Des épiceries solidaires dispenseront des cours de cuisine. Le groupe SEB, implanté dans la région et partenaire du projet, travaille à des applications numériques avec des recettes personnalisables et un outil de localisation des légumineuses labellisées Dijon agroécologie.
De bonnes idées sur le papier qui, espérons-le, se traduiront sur le terrain. Pour le moment, il faut identifier sur place les meilleurs sols où implanter les légumineuses et savoir quelles variétés semer. L'Inrae Dijon, en lien avec ce projet, travaille sur la sélection variétale des lentilles, une nécessité pour Marie-Benoît Magrini car « nous utilisons la même variété de lentille verte depuis cinquante ans. Or, les conditions climatiques ont changé et il nous faut adapter les semences si nous voulons des récoltes durables ».
Un réservoir de biodiversité
Saviez-vous qu'il existe un endroit en France où sont gardées précieusement 15 000 variétés de légumineuses ? Un patrimoine unique conservé et étudié à Dijon par les chercheurs de l'Institut national de recherches agronomiques (Inrae). Tous les dix ans, ils sortent les graines des chambres froides pour les régénérer en les faisant pousser à l'abri sous serres. Ces collections de pois, fèves, fèveroles et lupins sont issues de semences anciennes, d'échanges internationaux et de recherches génétiques. Un vrai réservoir de diversité génétique ! La lentille n'est pas oubliée, au contraire… Elle fait l'objet de recherches spéciales depuis trois ans : « Nous travaillons en lien avec le Conservatoire national des lentilles géré par le Groupe d'étude et de contrôle des variétés et des semences (GEVES) pour sélectionner les meilleures variétés, les génotypes les plus résistants à la sécheresse et aux bioagresseurs », explique Judith Burstin chercheure à l'Inrae Dijon. Un enjeu crucial.
Insectes ravageurs
En effet, il ne suffit pas d'augmenter les surfaces pour manger des légumineuses tricolores, en particulier des lentilles. L'entreprise Trescarte, qui commercialise 20 % des lentilles françaises grâce à son réseau de producteurs et à ses propres cultures dont les fameuses lentilles du Puy, s'inquiète des récoltes à venir : « Nous essayons de cultiver de plus en plus de lentilles en développement durable avec moins de pesticides, mais nous avons un gros problème de rentabilité. Avec les sécheresses à répétition, il y a davantage d'insectes ravageurs qui infestent nos lentilles et ça va s'aggraver, si on augmente encore les surfaces. » La société cherche en laboratoire des solutions non chimiques, complexes à trouver. Bruno Méan en sait quelque chose, il a perdu 70 % de sa récolte de lentilles l'an dernier dans ses champs de l'Yonne. Et pourtant, il ne regrette pas de s'être converti en bio en 2015 et d'avoir opté pour des légumineuses en plus de ses céréales : « ça coulait de source, car c'est la meilleure culture pour faire tourner mes assolements. Cette année, la récolte de lentilles vertes a été très décevante, mais avant j'ai eu plusieurs très bonnes années vraiment rentables. Et puis je suis content de les vendre sur les marchés à des clients de plus en plus intéressés ». Il leur propose aussi des pois chiches et des pois cassés et constate que ses légumes secs intéressent de nouveaux acheteurs, plus jeunes, qui ne s'arrêtent pas au temps de cuisson.
Une jeune génération adepte des légumes secs
Soucieux de l'impact de leur consommation sur l'environnement, les jeunes de moins de 35 ans se tournent de plus en plus vers le flexitarisme (selon l'étude FranceAgriMer de 2018) et donc vers des alternatives aux protéines animales. Les légumineuses font partie de leurs nouveaux chouchous comme l'a constaté récemment Trescarte, spécialiste de la lentille du Puy : « Lors du premier confinement lié au Covid-19, nous avons vu l'arrivée de nouveaux clients trentenaires, souvent jeunes parents, qui se sont rués sur les légumes secs en grandes surfaces, recherchant des recettes sur les réseaux sociaux. Nous avions peur d'un engouement passager, mais non ils reviennent acheter. » Un rajeunissement du marché confirmé par les enquêtes de consommation. Aussi, la Fédération nationale des légumes secs ou la marque Terres OléoPro s'adaptent et communiquent vers ces nouveaux consommateurs via les réseaux sociaux : cinq légumes secs jouent les superhéros sur Instagram et la websérie Puls' propose des recettes faciles, ou des astuces. Par exemple pour réduire le temps de cuisson de vos lentilles à cinq minutes, faites-les germer dans de l'eau pendant deux jours !
www.terresoleopro.com/pulswww.instagram.com/lessuperlegumessecs
De fait, nous en mangeons un peu plus, sous forme de vrac, conserves, farines ou attirés par les offres à base de légumineuses : galettes, boulettes et steaks, pâtes… Une bonne nouvelle à condition d'être vigilants. Certains industriels surfent sur la vague des protéines végétales, mais se montrent peu préoccupés par la qualité des produits parfois gonflés en isolats de protéines concentrés ou plus riches en eau, en flocons de blé ou en avoine réhydratés qu'en légumineuses. Un bon point pour l'industrie agroalimentaire française : elle a arrêté d'importer le soja et les lentilles pour ses produits transformés, à l'exception des conserves. En tant que consommateur, attention à soutenir les bons acteurs, ceux qui tentent de mettre en place des filières locales vertueuses pour l'environnement. Mais l'expérience de ces dernières années montre que ces filières encore fragiles, aux cultures exigeantes et vulnérables aux aléas climatiques, ont aussi besoin d'un soutien public pérenne et pas d'un simple saupoudrage d'aides.