Urbanisme : Les architectes voient le futur en vert
Les citadins de demain seront-ils condamnés à un quotidien de gris et d’asphalte ? Les architectes s’emparent de la question et proposent ou imaginent une ville du futur dans lequel le végétal aura une place centrale.
Aujourd’hui, près de 60 % de la population mondiale se concentre dans les zones urbaines, un chiffre qui devrait atteindre 80% d’ici 2050. Sur fond de crise écologique, cette densification pose d’énormes questions auxquelles citoyens, urbanistes et architectes tentent de répondre. Dans ces réponses, le végétal longtemps délaissé retrouve ses lettres de noblesse ! C’est ainsi que se développent de plus en plus, de New York à Shanghai en passant par Buenos Aires, fermes urbaines ou verticales, murs et toitures végétales ou encore jardins partagés. Dans le domaine de l’architecture et de la conception des bâtiments également, les idées fleurissent. Il ne s’agit plus seulement de mettre un petit carré vert au pied des immeubles, mais d’intégrer le végétal au cœur des nouveaux aménagements. Architectes et paysagistes travaillent ainsi de concert pour nous proposer des espaces à vivre qui intègrent le végétal, redéfinissant parfois jusqu’à l’extrême ce que nous entendons aujourd’hui par «espace urbain». Leurs projets sont certes séduisants, mais sont-ils réalistes? Partons en balade et allons découvrir ce que les architectes imaginent pour demain.
Les tours vertes de Milan
Une tendance de fond de l’architecture contemporaine est à la construction de tours. Bien sûr, les dérives bétonnées des années 1970 en ont fait déchanter plus d’un ; elles étaient devenues plutôt synonymes d’arrachement à la nature. On en redécouvre pourtant l’intérêt écologique potentiel (faible occupation au sol, partage des équipements, économies d’énergie) et de plus en plus de «tours vertes» voient le jour. À Milan, le projet Bosco Verticale (forêt verticale) de l’architecte Stefano Boeri, conçu dans la perspective de l’exposition universelle 2015, est en train d’être achevé. Ces deux tours d’habitation de 80 et 112 mètres de hauteur sont entièrement végétalisées. Ce sont ainsi pas moins de 900 nouveaux arbres et arbustes qui sont plantés sur des terrasses disposées en quinconce pour favoriser leur ensoleillement, soit l’équivalent d’un hectare de forêt verticale. Irrigués par une eau de pluie captée et filtrée, ces végétaux permettent une régulation climatique, atténuent le bruit urbain, absorbent du CO2 et limitent l’intrusion des poussières et des pollutions dans les habitations. Économe en énergie, le dispositif est complété par des éoliennes et des capteurs solaires sur les toits des deux tours.
Les bâtiments mangrove de Paris
Réchauffement climatique, pics de pollution à répétition entraînant des problèmes de santé Nul doute que les parisiens méritent d’autres réponses à ces problèmes que la simple circulation alternée. Paris Smart City 2050 est un projet émanant du Plan Climat Énergie visant à réduire de 75% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. Il s’agit d’imaginer la ville de demain et d’inventer de nouveaux modes de vie éco-responsables, ce qui passe notamment par l’intégration du végétal dans le tissu urbain. L’agence d’architecture Vincent Callebaut a dans ce cadre proposé huit prototypes d’immeubles de grande hauteur à énergie positive, c’est-à-dire qui produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment. De cette vision futuriste émerge une cité végétale où la science-fiction le dispute au réalisme. Science-fiction, car ces projets s’inspirent du mode de fonctionnement de la nature, et réalisme, car les concepteurs nous l’assurent, toutes les technologies qu’ils proposent existent ou sont en cours d’étude dans les laboratoires.
Parmi toutes ces idées, on retiendra notamment les «Tours rayons de miel», une sorte de ruche de logements alvéolaires superposée à des immeubles d’habitation déjà existant pour en doubler la hauteur. Cette « architecture parasite» prendrait la forme de maisons individuelles imbriquées les unes aux autres et disposant de potagers et de vergers individuels suspendus. Rapatriant en ville le pavillon rural, ces habitations seraient également optimisées d’un point de vue énergétique (photovoltaïque, géothermie...). Un autre projet assez délirant imagine des «tours mangrove» inspirées de la structure des palétuviers des marais : leurs racines échasses seraient implantées directement sur les quais de la gare du Nord, à Paris, eux-mêmes tapissés de capteurs piézoélectriques, transformant l’énergie de la marche des 700000 voyageurs quotidiens en source d’électricité pour cette drôle de forêt. La surface des bâtiments, s’inspirant des mécanismes de la photosynthèse végétale, aura également une action dépolluante sur l’air sous l’action des rayonnements solaires.
Les jardins suspendus... de Londres
Le Garden Bridge (pont jardin) de Londres est un projet de forêt suspendue au-dessus de la Tamise, reliant les quartiers de Temple et South Bank. Ce projet de l’architecte Thomas Heatherwick, qui devrait voir le jour à l’horizon 2018, paraît tout droit sorti du pays des elfes. Émergeant de la rivière sous la forme de deux champignons se rejoignant au centre, le pont donne l’impression que des bombes de graines ont été jetées de la rive. Couvert d’arbres atteignant 15 mètres de haut, encadrant des chemins de déambulations et des clairières cultivées, le projet gardera néanmoins un esprit sauvage : « Nous avons déjà nos ponts piétonniers droits et efficaces, nous voulions donc proposer autre chose », justifie Richard de Cani, le directeur des transports londoniens. Mais jusqu’où cette création futuriste est-elle écologiquement correcte ? Son rôle de poumon vert dans la ville passe déjà par un budget très élevé – 175 millions de livres, soit le pont piéton le plus cher du monde. En outre, pour résister à l’érosion, la structure sera recouverte d’une peau de cuivre et nickel, deux métaux extraits dans des conditions souvent apocalyptiques (comme l’a rappelé récemment le documentaire « Zambie : à qui profite le cuivre ? »). Le fait que ces 240 tonnes de minéraux soient offerts à titre gracieux par le groupe mondial de matières premières Glencore, éclaboussé par des scandales à répétition, donne un goût amer à ce projet, pourtant beau et ambitieux.
Les questions se bousculent à la vue de ces projets incroyablement stimulants. Certaines très concrètes : quel effet auront les saisons sur ces architectures végétales et que se passera-t-il quand l’automne aura emporté les feuilles ? Comment réagiront les personnes allergiques dans ce nouveau paysage où l’urbain et la nature cohabitent étroitement ? Comment la faune s’adaptera-t-elle? De façon plus générale, ces projets peuvent-ils vraiment incarner la ville de demain? Quoi qu’il en soit, entre miracle technophile et utopie nécessaire, rêvons un peu et autorisons nos imaginaires urbains à se déployer.
Sur les toits des zones commerciales
Dans le cadre du projet de loi « Pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages », l’Assemblée nationale a voté en première lecture un amendement obligeant les centres commerciaux à végétaliser leurs toits ou à y installer des moyens de production d’énergie renouvelable pour limiter les « îlots de chaleur urbains ». Ainsi, les 7 000 mètres carrés de toiture recouverte de plantes du centre commercial Beaugrenelle (Paris XVe), inauguré en 2014, pourraient devenir demain la norme.
Patrick Blanc fait grimper les végétaux aux murs
Botaniste au CNRS et spécialiste des plantes tropicales, Patrick Blanc crée son premier mur végétalisé en 1986 à la Cité des sciences et de l’industrie à Paris. C’est sa passion d’adolescent pour l’aquariophilie qui lui avait fait découvrir les propriétés de plantes grimpantes comme le philodendron. Il les fait alors pousser sur un support vertical de fibre, imitant les mousses végétales qu’on retrouve dans la nature. L’idée, qu’il affine par la suite, est de permettre la colonisation végétale de murs intérieurs ou extérieurs sans les abîmer. Aujourd’hui, ses murs végétaux sont demandés dans le monde entier, de Sydney à Bahreïn en passant par Tokyo. À chaque fois, il invente de nouvelles combinaisons en utilisant des plantes adaptées à ce mode de culture et aux écosystèmes locaux. Pour le projet de Yamaguchi au Japon, cent espèces ont été collectées. D’autres techniques viennent aussi compléter ces recherches. L’université de Nantes a par exemple mis au point des biofaçades en verre feuilleté productrices de microalgues vertes, tandis que l’université de Savoie teste grandeur nature des murs végétalisés spécifiquement dépolluants dans le centre d’échange de Perrache dans l’agglomération lyonnaise.
La végétalisation participative
De plus en plus d’initiatives parfois soutenues par les municipalités voient le jour pour végétaliser les quartiers et en faire des lieux de vie plus agréables. - À Marseille, des associations comme Plus belle la rue ou Jardinons au Panier installent des pots de plantes ou des jardinières, s’inspirant des rues pionnières comme la rue de l’Arc ou des Pots bleus. - Dans le sud de Bordeaux, avec le soutien de la mairie et en partenariat avec des associations comme Friche & Cheap ou Yakafaucon, plus de cinquante foyers de jardiniers amateurs ont construit des bacs en bois et mettent les plantes en terre dans les rues Montfaucon ou Guépin. - La mairie de Strasbourg a récemment décidé de mettre en place une convention de végétalisation de l’espace public par les habitants pour faciliter ce type d’initiatives en privilégiant la collaboration entre les services municipaux et riverains. - L’année dernière la ville de Paris a lancé l’opération « Du vert près de chez moi », invitant les parisiens à recenser les lieux (murs, espaces délaissées...) qui pourraient accueillir de la végétalisation. Des 1 500 contributions recensées par le site et l’application DansMaRue, la ville en a retenu en février dernier 209 points, qui seront végétalisés en 2015. La mairie prévoit aussi d’inciter à la végétalisation des toits visant quelque 100 ha d’ici 2020.