Face au Covid, le retour en grâce des « rimed » antillais
Contre ce virus inconnu dont on recherche encore l'antidote, les Antillais ont trouvé refuge dans leurs nombreuses plantes médicinales. Au risque, parfois, d'en surestimer l'efficacité, même si cette riche biodiversité est utilisée traditionnellement pour soulager les maux du quotidien.
il existe en créole cette expression, « rimed razié », dont on devine le premier mot, « remède », et dont le deuxième signifie « mauvaise herbe ». « Cela veut dire que même les plantes a priori indésirables peuvent soigner les maux », traduit Rachel Lollia. La coupe courte, les lunettes épaisses, Rachel a grandi en Guadeloupe, initiée au « savoir de la nature » par ses deux grands-mères. Ingénieure de formation, elle a créé une application, Pawoka, qui répertorie les plantes médicinales de son île.
Depuis le coronavirus, les notifications de téléchargement ne cessent de faire vibrer son téléphone. « Les rimed razié connaissent un grand regain d'intérêt, analyse la jeune femme. Les Antillais ont réalisé que les médicaments n'avaient pas réponse à tout. Ils ont pris conscience de leur environnement et de leur chance d'avoir des remèdes naturels à portée de main. »
La biodiversité ultramarine concentre trente-cinq fois plus d'espèces endémiques que la France continentale. Les jardins créoles, étriqués ou immenses, sont comparables à des usines à vie, nourricières et thérapeutiques. Ainsi, le Comité plant-med anti-Covid de Martinique estime qu'un millier de plantes aromatiques médicinales (PAM) du territoire pourraient « fournir de grands services dans cette lutte contre le Covid-19 ».
Moringa, papaye et basilic
« Les plantes aromatiques médicinales ont deux intérêts distincts : la stimulation des défenses immunitaires d'une part, le traitement des troubles respiratoires et des états grippaux d'autre part », analyse la docteure Irisa Rémus. Médecin et homéopathe, elle a exercé la moitié de sa carrière en Guadeloupe et fonde essentiellement ses réflexions sur les recherches du réseau Tramil, le Programme de recherche appliquée à l'usage populaire des plantes médicinales dans la Caraïbe.
Le rôle clédes grands-mères
Les « mamies antillaises », considérées comme des puits de science en matière de phytothérapie locale et de médecine traditionnelle, sont les gardiennes de connaissances qui tendent à se perdre sur ces territoires. Elles jouent un rôle clé dans les études empiriques, notamment celles du réseau Tramil – consacrées aux plantes caribéennes – qui enrichit ses données de leurs observations. Ainsi, dès lors qu'une plante peu commune est citée par plusieurs « mamies », elle en devient digne d'intérêt (et d'espoir) pour les scientifiques, y compris dans la lutte contre le nouveau coronavirus.
Ainsi, pour pallier l'immunodéficience, les feuilles de moringa (Moringa oleifera) et celles de papaye (Carica papaya) ont prouvé leur efficacité. Celles de la malnommée (Euphorbia hirta) sont réputées pour être de puissants antiasthmatiques, comme le tulsi, basilic sacré d'Inde (Ocimum sanctum), l'herbe à aiguilles (Bidens pilosa) appelée « zèb-zédjoui » ou encore l'herbe à couresse (Peperomia pellucida) qui porte le nom de la « zèb-kouwès ». On les consomme en infusion ou en décoction, trois fois par jour. Contre les symptômes peu graves, courbatures, maux de gorge et légères fièvres, l'herbe à pic (Neurolaena lobata), appelée le « zèb à pik » ou l'atoumo, (Alpinia zerumbet) littéralement « à-tous-maux », soulagent activement.
Une herbe qui tombe à pic
L'herbe à pic, appelée « zèb a pik » en créole est une plante très appréciée des familles guadeloupéennes et martiniquaises, et utilisée depuis des millénaires par le peuple maya quiché, au Guatemala. Des études ont prouvé son effet antiviral contre les rhinovirus (dont la grippe et la dengue) et son efficacité contre la fièvre et le paludisme. En Guadeloupe, un sirop commercialisé par le laboratoire du docteur Henry Joseph, Phytobokaz, sous le nom de Virapic, a vu ses ventes exploser ces derniers mois.
Mais la crise sanitaire a surtout relancé l'alcoolature, tradition antillaise multiséculaire. Dans un solvant éthylique – quoi de mieux que le rhum local à 70 °C ? – on laisse macérer feuilles ou racines, pendant vingt jours idéalement, sept si l'on est pressé. Les alcoolatures de la liane de Cayenne (Tinospora crispa) ou « Lyenn-kayenn » ont montré des résultats particulièrement intéressants.
En quête de la plante miraculeuse
Toutefois, aussi efficace soit-il, « le soin par les plantes doit s'intégrer dans un schéma de vie durable », nuance Marie Gustave, présidente de l'Association pour les plantes médicinales et aromatiques de Guadeloupe. « Certains se sont mis à boire deux tisanes par jour en s'attendant à des résultats immédiats », s'agace encore la biologiste. Depuis des années, elle arpente quotidiennement son jardin, chapeau de paille sur la tête contre le soleil tapant, y ramasse clous de girofle, cannelle, ail, oignon, basilic et quelques feuilles de bois d'Inde. « J'arrose le tout de rhum, d'un peu de sucre, et, tous les soirs, j'en prends deux cuillères à café que j'incorpore à du jus par exemple. » Si Marie Gustave reste prudente sur les résultats de sa « cure maison », elle précise n'avoir jamais attrapé ni le chikungunya ni le zika ni le paludisme.
Aux Antilles, la course au « rimed miracle » a bien eu lieu, alimentée par les réseaux sociaux. Philippe Sahagian tient un stand de graines et de plantes médicinales sur le marché biologique de Vieux-Habitants, en Guadeloupe. Président de l'association Nature Kulture, il est réputé pour son expertise. Alors, lorsque la rumeur de plantes « pleines de chloroquine qui tuent le coronavirus » a enflé, il a été extrêmement sollicité : « Tout le monde venait au jardin, me disait : “J'en veux, j'en veux !” », raconte-t-il. On lui réclame de la quinine de Cayenne (Quassia amara), aussi appelée couachi en Guyane, et de l'armoise (Artemisia vulgaris) que l'on confond souvent avec sa sœur africaine, l'Artemisia annua, très efficace contre le paludisme et prometteuse contre le coronavirus d'après l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Bien qu'il rappelle, à chaque fois, que la chloroquine est une substance chimique, n'existant pas à l'état naturel, les ruées vers son jardin n'en finissent pas. « On cherche parfois dans la plante un miracle qui n'est pas de sa responsabilité », regrette Rachel Lollia, qui avertit qu'avec une telle considération de la nature, on se risque à un usage déraisonné des ressources.
Si des précautions restent donc à prendre, la crise du coronavirus aura permis à nombre d'Antillais de renouer avec un savoir ancestral, que tout destinait à l'oubli, le soin par les plantes y compris celles de leurs jardins.