Cannabidiol : une ouverture en demi-teinte
Révélé la semaine dernière, le projet de nouvelle réglementation sur le cannabidiol ouvre certes la porte au marché du « cannabis light », mais il maintient l’interdiction de la vente des fleurs brutes. Une décision qui suscite l’amertume chez beaucoup de défenseurs d’une filière agricole CBD, tandis que de nombreux dossiers de produits restent encore bloqués à Bruxelles.
Aurélien Delecroix, président du Syndicat professionnel du chanvre, se dit « extrêmement déçu ». Depuis des mois, il poussait auprès des autorités l’idée d’une filière de culture de cannabidiol (molécule non psychotrope du cannabis) encadrée, contrôlée et tracée pour produire des fleurs contenant du CBD de qualité. Or le décret transmis à l’AFP par les services du Premier ministre pour réglementer le cannabidiol douche ses espoirs : « C’est un acte manqué […]. Le dogmatisme a une nouvelle fois pris le dessus sur le pragmatisme », regrette Aurélien Delecroix qui note « le profond conservatisme et la défiance vis-à-vis de la filière CBD ». Il faut dire que si la France a réécrit la réglementation en matière de cannabidiol, c’est qu’elle y a été contrainte à la suite d’une décision européenne de novembre dernier jugeant illégale l’interdiction française du CBD.
Alors, que dit exactement ce nouveau décret ? Il prévoit que « l'autorisation de culture, d'importation, d'exportation et d'utilisation industrielles et commerciales du chanvre » soit « étendue à toutes les parties de la plante », sous réserve que sa teneur en THC – la molécule psychotrope du cannabis –, ainsi que celle des produits finis, soit inférieure à 0,2 %. Dans d’autres pays européens, on est plus souvent à 0,6 %. Mais la réglementation prévoit aussi que « la mise sur le marché de sommités florales ou de feuilles brutes à fumer ou en tisane est interdite, tout comme les produits incorporant du chanvre brut ». En clair, les fleurs de cannabidiol devront être transformées pour être incorporées dans des produits dérivés type aliments, huiles, cosmétiques, e-cigarettes, etc. Une interdiction formulée, selon Matignon, pour des raisons de santé et de sécurité publique au motif qu’il serait très compliqué pour les policiers de faire la distinction entre fleurs de chanvre CBD et fleurs de cannabis contenant du THC.
Entre incompréhension et nouvelles perspéctives
L’interdiction de vente de la fleur de chanvre suscite l’incompréhension voire la colère d’acteurs du monde agricole comme l’agriculteur Jouany Chatoux, porteur d’un grand projet de « Silicon Valley du cannabis » dans la Creuse. Sur sa page Facebook, il critique ce décret qui met à mal la filière qu’il a commencé à développer : « Comment on peut être satisfait de détruire des milliers d'emplois et pénaliser le développement d'une filière agricole écoresponsable de qualité ? » D’une part, les coûts d’extraction et de transformation du CBD à partir des fleurs sont très élevés et donc peu accessibles aux petits producteurs. Par ailleurs, le décret prive ces derniers de débouchés plus rentables et ouvre la voie à un mode d’exploitation intensif du cannabis à CBD. Pour lui, ce sont les gros producteurs de chanvre alliés avec des « des industriels de l’agroalimentaire et de la cosmétique » qui vont profiter de ce marché. Jean-Baptiste Moreau, député de la Creuse et rapporteur de la mission parlementaire sur le cannabis, est sur la même ligne : « La nouvelle réglementation favorise la production industrielle plutôt qu'une production locale de qualité. Cette décision est un non-sens, notamment face à nos voisins européens, et ne repose sur aucune raison scientifique et rationnelle. »
Cependant, ces nouvelles règles ouvrent des perspectives pour d’autres. Raphaël De Pablo de La Ferme Médicale, près de Bordeaux, y voit lui une bonne opportunité de monter enfin son laboratoire de transformation : « Jusque-là, j’étais obligé d’envoyer ma récolte de fleurs en Allemagne pour extraire et transformer le CBD. À présent, je pourrai le faire sur place dans mon labo et je pourrai même traiter les fleurs d’autres producteurs locaux ». Le député de Gironde, Éric Poulliat, vice-président de la mission parlementaire sur le cannabis le soutient et estime que ce décret est « un petit pas mais un pas quand même dans l’harmonisation de la législation », même s’il reconnaît que ce décret peut être perçu « comme une frilosité excessive du gouvernement ». L’appréciation des nouvelles règles est donc à géométrie variable.
Un satut « novel food » et des attentes administratives
Quant aux consommateurs-patients, ils auront clairement le droit d’acheter des produits français contenant du CBD, mais pas de tisanes ou de fleurs brutes qu’ils continueront vraisemblablement à acheter à la concurrence étrangère. Reste à espérer aussi que les aliments et compléments alimentaires à base de cannabidiol pourront être vendus sans tracas administratifs. En effet, le CBD étant une substance qui n’était pas utilisée comme aliment avant 1995, elle relève d’un statut « novel food » (nouvel aliment, validé fin 2020). L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) est donc censée donner son feu vert pour chaque nouveau produit alimentaire à base de CBD. Or, selon le Syndicat professionnel du chanvre, tous les dossiers déposés à ce jour (plus d’une centaine) sont toujours en attente de validation, ce qui laisse les professionnels dans une situation très incertaine. C’est aussi à Bruxelles que le projet de décret français sur le cannabidiol sera envoyé pour information avant publication au Journal officiel sans doute cet été.