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Addiction, dépression : une première expérimentation avec les champignons hallucinogènes

Champignons hallucinogènes, une première expérimentation
Champignons hallucinogènes, une première expérimentation

C'est une étude pionnière en France. Le CHU de Nîmes termine tout juste un protocole d'essai pour expérimenter de la psilocybine auprès de patients atteints à la fois d'alcoolisme et de dépression résistante. Cette molécule issue des champignons hallucinogènes pourrait représenter une nouvelle voie thérapeutique pour prévenir les rechutes.

L'essai, mené depuis février dernier par Amandine Luquiens, psychiatre addictologue au CHU de Nîmes et son équipe, représente une révolution dans le domaine de la psychiatrie française. Ils ont eu l'autorisation d'utiliser de la psilocybine, un psychotrope interdit en France depuis 1966, pour traiter 30 patients atteints d'addiction sévère à l'alcool et de dépression résistante aux traitements. Or, l'état dépressif est un facteur important de rechute post-sevrage. Addiction, dépression… des pathologies sur lesquelles la psilocybine de synthèse a démontré des effets thérapeutiques prometteurs (lire l'encadré ci-dessous). Le CHU de Nîmes s'est inspiré des protocoles déjà expérimentés aux États-Unis : deux tiers des patients ont reçu 25 mg de psilocybine et le tiers restant a reçu une faible dose (1 mg). Sans connaître le dosage, ils ont pris ce psychédélique deux fois à trois semaines d'écart dans l'unité d'addictologie du Grau-du-Roi, où ils sont restés un mois pour intégrer l'expérience avec des psychologues.

Le pouvoir de la psilocybine sur le cerveau

Des études internationales ont démontré que la psilocybine stimule fortement la sérotonine, un neurotransmetteur directement en lien avec la gestion des émotions et de l'humeur. La molécule psychotrope génère alors dans l'hippocampe et le cortex cingulaire une hyperconnexion entre les neurones, avec des effets encourageants sur certains troubles liés à la dépression et aux addictions.

Félix Sergent, psychiatre addictologue, auteur d'une thèse sur l'intérêt thérapeutique de la médecine psychédélique, décrypte son mode d'action : « La psilocybine induit un remodelage et une accélération de la communication entre les neurones, elle crée des apprentissages bénéfiques si elle est expérimentée dans un contexte thérapeutique sécurisant et encadré. » A contrario, cette substance peut « aggraver des symptômes », prévient-il, si elle est prise « dans un contexte délétère ».

Remémoration, stimulation, distorsion

L'accompagnement du patient est ici primordial, souligne Félix Sergent, l'un des psychiatres addictologues référents de cette étude : « La veille de sa première prise de psilocybine, on travaille avec lui sur son intention, sur ce qu'il veut faire de cette expérience dans son projet thérapeutique. » Il faut également le préparer aux effets d'une expérience psychédélique, « une forte stimulation émotionnelle, des remémorations d'événements, des distorsions de formes et de couleurs… » Et le rassurer sur la présence continue d'un soignant à ses côtés, qu'il peut solliciter si nécessaire, le but étant de « laisser l'expérience se dérouler en intervenant le moins possible ».

Le jour de la séance, la chambre d'hôpital se transforme en cocon chaleureux avec une plante verte, de la musique adaptée et des eaux florales à la rose ou à la lavande diffusées en cas d'anxiété… Un bandeau sur les yeux, le patient prend sa gélule de psilocybine, et c'est parti pour six heures d'état modifié de conscience. Difficile de préjuger de ses réactions, variables selon le dosage reçu et si la personne est sous antidépresseur, « ce qui peut limiter les effets psychédéliques », explique Félix Sergent. D'après ses observations, la moitié des patients ont vécu cette expérience intensément, les autres ayant ressenti peu d'effets : « Certains ont été très déçus de ne pas “tripper”, mais les études montrent que les bénéfices thérapeutiques ne sont pas liés à l'intensité de l'expérience. »

Des témoignages poignants des premiers patients

Le voyage s'est avéré particulièrement bouleversant pour Benjamin – prénom d'emprunt –, 44 ans, qui a accepté de témoigner. Il a postulé à cet essai, motivé par sa femme, « après avoir vu un documentaire sur les bénéfices de la psilocybine sur les addictions ». Mais il ne s'attendait pas à une expérience aussi puissante et profonde : « Les effets ont commencé au bout d'une demi-heure. L'espace-temps n'existait plus. J'ai senti que je m'opposais fortement à l'action de la psilocybine et plus je résistais, plus je me sentais menacé par des êtres et des figures effrayantes. »

Son stress est au maximum, lorsqu'il bascule soudain dans une phase d'acceptation : « Tout s'est transformé de manière positive, des dimensions se sont ouvertes, c'est difficile à décrire… J'ai ressenti des émotions enfouies, intenses, tout en prenant du recul, et j'ai pris conscience très profondément du mal que je faisais à mes organes avec l'alcool, et de ce que je faisais subir à ma femme et à mes filles. » Un vécu très fort, intégré ensuite avec les psychologues de l'essai. Benjamin a enfin pu dire à ses proches qu'il « les aimait ». Il est reparti « changé et plus apaisé, déterminé à arrêter l'alcool ». Il devra répondre à des questionnaires trois semaines puis six semaines après l'essai pour faire un point sur l'évolution de son addiction et de sa dépression.

En attendant la publication officielle de cette étude d'ici plusieurs mois, les premiers constats s'avèrent déjà positifs : « Les patients sont tous restés à un niveau d'anxiété rassurable malgré des émotions parfois très intenses, ce qui prouve que l'essai est reproductible », se félicite Félix Sergent. De fait, une deuxième expérimentation de psychothérapie assistée avec de la psilocybine vient de démarrer à l'hôpital Sainte-Anne à Paris, sur des personnes atteintes de dépression résistante. Tout un symbole… car c'est à Sainte-Anne que le neurologue Jean Delay avait testé pour la toute première fois la psilocybine en psychiatrie, il y a soixante ans. Des travaux jugés à l'époque trop sulfureux, l'ordre moral avait alors préféré enterrer la médecine psychédélique… Jusqu'à aujourd'hui.

Psylocibes, la chair des dieux

Les premières traces de champignons psychoactifs psilocybes, dont la psilocybine est issue, remontent à la préhistoire. On les retrouve gravés sur des peintures rupestres du Sahara, 7 000 ans avant notre ère, sur les bas-reliefs de la Grèce antique et même sur un chapiteau de la basilique de Vézelay, en France ! Mais c'est au Mexique que leur usage médicinal est le plus répandu. Appelés teonanacatl, « chair des dieux », les psilocybes sont vénérés pour leurs propriétés et surtout leur pouvoir hallucinatoire.

C'est l'ethnomycologue américain Robert Gordon Wasson qui les fit connaître au monde occidental dans les années 1950. Il adressa un échantillon au français Roger Heim, directeur du Muséum national d'histoire naturelle. Celui-ci cultiva le psilocybe et l'envoya pour analyse au grand chimiste suisse Albert Hofmann qui isola la psilocybine, fabriquée aujourd'hui de manière synthétique.

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