Dossier
Les algues, trésors de la vie aquatique (2/4)
Consommées au Japon depuis des millénaires, les algues jouissent d’une popularité croissante en Occident. Et pour cause ! De la spiruline à la nori, en passant par le kombu, le wakamé et la laitue de mer, on n’a pas fini de dresser la liste de leurs bienfaits : renforcement de l’immunité, élimination des graisses, prévention du cancer… et même protection contre les UV !
Les algues comme fortifiants généraux
Le lichen carragheen (Chondrus crispus), que l’on ramasse sur les côtes bretonnes, est utilisé depuis le XIXe siècle comme remède traditionnel contre le mal de gorge et la congestion pulmonaire ; la mousse de Corse (Alsidium helminthocorton), récoltée dans le golfe d’Ajaccio, est réputée comme vermifuge depuis l’Antiquité : si l’on trouve différents exemples d’usages anciens des algues, on constate également qu’ils se sont perdus… Aujourd’hui, ce sont d’abord des microalgues qui sont devenues de véritables stars des compléments alimentaires, avec au premier rang la spiruline.
Cette espèce d’eau douce, en forme de petit ressort et ne dépassant pas 3 mm, suscite un fort engouement, notamment de la part des sportifs. Ce « super-aliment » est en effet un concentré de protéines (60 %), de vitamines et de minéraux et elle est très antioxydante grâce à un pigment bleu-vert, la phycocyanine. Autre microalgue populaire : la chlorelle, qui s’est imposée comme un réflexe naturopathique pour se détoxifier. En effet, sa membrane a la capacité de fixer de nombreux polluants, dont les métaux lourds, et de les éliminer par voie digestive.
La spiruline comme la chlorelle sont toutes deux préconisées pour renforcer les défenses naturelles affaiblies. Leur richesse en vitamines et en oligo-éléments apaise le système nerveux : elles sont donc indiquées en cas de stress ou de fatigue chronique. Sous forme de poudre, consommez-les dans un peu d’eau pour les réhydrater : 1 cuillère à café, 2 fois par jour en cure de 3 semaines. Si le goût – un peu fort – vous incommode, optez plutôt pour les comprimés ou les gélules.
Une autre espèce fortifiante est fréquemment vendue en herboristerie : le lithothamne, une macroalgue rouge qui apporte d’importantes quantités de calcium facilement assimilable. Il est recommandé en période de ménopause pour éviter une diminution trop importante de la masse osseuse. Cette algue est d’ailleurs ajoutée aux laits végétaux pour les enrichir en calcium. Avec un pH égal à 9, le lithothamne est capable de réguler l’équilibre acido-basique, d’où une neutralisation de l’acidose tissulaire en lien avec les rhumatismes, l’arthrite, les tendinites, la déminéralisation ou encore les sciatiques. Il neutralise également l’acidité de l’estomac. Seul hic, cette algue a été surexploitée en Bretagne à une époque où elle avait d’autres applications (engrais agricole). Les autorisations de récoltes se font rares en France, et le lithothamne provient en général d’Europe du Nord, où l’exploitation est réglementée. On le prend comme la spiruline ou la chlorelle, de préférence avant les repas, accompagné de vitamine D pour faciliter...
l’assimilation du calcium. Notons qu’il est déconseillé en cas d’insuffisance rénale.
Plutôt que de recourir à ces compléments alimentaires, on peut aussi tout simplement ajouter des algues dans son alimentation quotidienne. Une quinzaine d’espèces sont autorisées à la vente en France pour l’alimentation (laitue de mer, nori, wakamé, kombu, etc.), et des stages culinaires leur sont même consacrés. Elles concentrent de l’iode, première richesse des algues marines, et doivent d’ailleurs pour cela être évitées lorsqu’on souffre d’hyperthyroïdie. Elles apportent des protéines, certes en moindre quantité que la spiruline et la chlorelle, mais autant que les légumineuses, soit 20 à 30 % de leur matière sèche. Elles contiennent aussi du calcium facilement assimilable par l’organisme, du fer, du magnésium et du phosphore. C’est ainsi que de nombreuses personnes végétariennes les ont adoptées pour éviter les anémies et autres carences.
Les Japonais connaissent bien ces avantages nutritionnels, dont ils tirent profit au quotidien depuis des millénaires. Des études épidémiologiques menées en Asie associent une incidence plus faible des cancers du sein, du côlon et de la prostate à la consommation régulière d’algues. Les chercheurs expliquent ces résultats non pas par une substance particulière, mais par la présence simultanée de polysaccharides et de minéraux, mais également de métabolites secondaires tels que les polyphénols et les caroténoïdes.
Aujourd’hui, des scientifiques français étudient les espèces qui peuplent nos côtes. « Nous cherchons à valoriser nos algues bretonnes pour ouvrir la voie à des applications santé très spécifiques à forte valeur ajoutée », explique Valérie Stiger, chercheuse au Laboratoire des sciences de l’environnement marin. Publiés en 2009 dans la revue Food Chemistry, ses travaux sur les algues brunes ont montré qu’une espèce de fucus (Fucus ceranoides) était très antioxydante, et que la queue de poulain (Halidrys siliquosa) présentait une forte toxicité contre les cellules tumorales. En 2017, dans le Journal of Applied Phycology, la même scientifique a publié les premiers résultats de ses recherches sur des algues vertes, en particulier une espèce invasive (Codium fragile) aux propriétés prometteuses pour stimuler la reminéralisation des cellules osseuses.
Dans les médicaments aussi !
De très nombreuses spécialités pharmaceutiques intègrent dans leur formulation des colloïdes algaux comme excipients (sirops, enrobage de pilules, dragées). Les algues sont également utilisées comme sources de principes actifs. L’extrait de fucus est mis à profit dans les Dragées Fuca pour le traitement de la constipation. L’alginate de sodium est utilisé dans le domaine des anti-inflammatoires oesophagiens, avec le fameux Gaviscon. L’alginate de calcium se retrouve dans plusieurs produits : son pouvoir hémostatique est mis à profit dans les pansements Coalgan pour le traitement du saignement de nez, mais aussi dans des compresses (Algostéril), qui fixent ainsi un grand nombre de bactéries et préviennent leur prolifération.
De précieuses molécules dans les algues brunes
Les fucanes comptent parmi les substances extraites d’algues les plus prometteuses en médecine. Il s’agit des « polysaccharides sulfatés », de grosses molécules présentes en abondance dans les macroalgues brunes : laminaire, fucus, wakamé… Leur principal intérêt est qu’elles sont douées de propriétés anticoagulantes et antithrombotiques. Dans le monde entier, les chercheurs s’y intéressent afin de mettre au point des alternatives à l’héparine, molécule anticoagulante la plus utilisée actuellement. Car cette dernière, extraite d’intestins de porc, présente un risque de contamination par des virus animaux ; en outre, l’héparine n’est pas dénuée d’effets secondaires (hémorragies et ostéoporose). L’intérêt des fucanes ne s’arrête pas là. Plusieurs autres types d’activité ont été démontrés par des scientifiques, notamment un effet anticancéreux par stimulation de l’immunité, une protection de la muqueuse gastrique contre la bactérie Helicobacter pylori ou encore une activité antivirale. Une équipe de l’INSERM étudie actuellement la possibilité de développer une méthode de détection précoce des thromboses (phlébites et embolies).
Une microalgue secrète stimule l’immunité des plantes
Les plantes peuvent elles aussi bénéficier des vertus des algues. Dans la recherche d’alternatives aux pesticides, de nombreuses études ont en effet montré que les polysaccharides algaux pouvaient stimuler l’immunité chez les végétaux terrestres ; en effet, ils entraînent notamment une surexpression de certains gènes associés aux défenses naturelles. Un chercheur du département de biologie de l’École normale supérieure a récemment étudié une microalgue très particulière, puisqu’elle réalise l’exploit d’être présente dans quasiment tous les océans de la planète : sans dévoiler son nom, il a montré que, non contente de booster les défenses immunitaires des plantes, elle pouvait aussi tuer les pathogènes qui s’introduisent dans le végétal. Les tests en laboratoire sur la vigne, les légumes et les arbres fruitiers sont très probants. Pour valoriser cette recherche, une jeune entreprise innovante, ImmunRise, a été créée.
Ramasser ou produire soi-même
• Sur tous les littoraux, des « sorties algues » permettent d’apprendre à les identifier et à les cuisiner (en Bretagne, en Normandie et sur le littoral atlantique). Pour les identifier, adressez-vous aux offices de tourisme ou à l’association Food’Algues, créée par Régine Quéva, grande spécialiste du sujet. Cette dernière propose d’ailleurs un petit Guide des algues de l’estran, Récréation édition, 2015. Et aussi : www.reginequeva.fr
• Si vous souhaitez produire votre propre spiruline, la startup française Alg&You met au point des phytotières, sortes de yaourtières de phytoplancton à installer dans votre cuisine ou dans une autre pièce. Automatisées, elles permettent d’obtenir régulièrement une portion de microalgues.