Homéopathie : deux mois pour se mobiliser
D’ici à la fin juin, la Haute Autorité de santé doit se prononcer sur le bien-fondé du remboursement actuel de certains médicaments homéopathiques. Or la méthode d’évaluation choisie par l’institution inquiète les défenseurs de cette médecine. Ils en appellent à la mobilisation.
Depuis la publication du rapport de l’Australian National Health and Medical Research Council (NHMRC), en mars 2015, qui réduisait l’homéopathie à un pur effet placebo, cette thérapie est pointée du doigt par les gardiens de la rationalité scientifique.
Ainsi, dans une tribune publiée par Le Figaro daté du 19 mars 2018, 124 médecins appelaient à son déremboursement et à l’arrêt de son enseignement. En septembre 2018, la faculté de médecine de Lille suspendait l’enseignement en homéopathie et la délivrance d’un diplôme lié, dénonçant la rareté des études scientifiques existantes sur cette dernière. Enfin dernièrement, les Académies de médecine et de pharmacie ont appelé au déremboursement de la thérapeutique « tant que la démonstration d’un service médical rendu suffisant n’en aura pas été apporté ».
Une mission dont s’est chargé le ministère de la Santé, qui a saisi la Haute Autorité de santé (HAS) pour l’évaluer d’ici au mois de juin. Reste à savoir comment la très académique institution s’y prendra et sur quels critères elle s’appuyera pour analyser cette pratique.
Une méthode d’analyse critiquée
Dans un décret publié le 17 mars, la HAS explique qu’elle évaluera les 1 200 produits homéopathiques, dont une partie est produite à base de végétaux, via « un avis commun à l’ensemble des médicaments, avec des conclusions qui pourront être détaillées par maladie ou symptôme selon les données disponibles ».
Les homéopathes craignent qu’ainsi, les médicaments homéopathiques ne soient évalués par classe thérapeutique. Or, « dans la pratique homéopathique, le médicament est généralement prescrit sur un ensemble de symptômes très différents, et répond donc à de nombreuses classes thérapeutiques », précise le Syndicat national des médecins homéopathes français (SNMHF).
Par exemple, le médicament Arnica montana, bien connu en cas de chocs, peut être indiqué et prescrit dans d’autres cas, aussi bien en infectiologie que dans les états dépressifs, pour les troubles du sommeil ou encore en cardiologie. De même, le médecin choisit la hauteur de dilution d’un médicament homéopathique (5 CH, 9 CH ou 30 CH) en fonction des symptômes observés et de l’effet attendu.
Ces particularismes, qui rendent l’évaluation d’un médicament homéopathique bien spécifique, pourraient ne pas être pris en compte dans l’évaluation de la HAS demandée par Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé (lire aussi l’encadré « Trois questions à Charles Bentz »). Ce qui compromettrait d’emblée la reconnaissance de l’efficacité de cette thérapeutique, et donc son remboursement.
L’homéopathie en quelques chiffres
- Plus de 50 % des Français l’utilisent, soit 30 millions de personnes.
- 20 % des patients atteints de cancer ont recours aux médecins ou pharmaciens formés en homéopathie pour réduire les effets secondaires des traitements anticancéreux.
- ¼ des médecins généralistes et 78 % des sages femmes intègrent l’homéopathie à leur pratique.
- 100 % des pharmacies commercialisent de l’homéopathie. Enfin, il existe aussi des consultations à l’hôpital, par exemple en soins de support en oncologie.
De l’importance de la mobilisation
Dans une ambiance délétère, les 18 acteurs de l’homéopathie se serrent les coudes : les fabricants Boiron, Weleda et Lehning, les syndicats d’homéopathes, les sociétés savantes d’homéopathie ou encore le collectif Safemed ont lancé, le 3 avril, une campagne de mobilisation sur les réseaux sociaux.
Dans leur communiqué, ils dénoncent des « attaques infondées et incompréhensibles » contre l’homéopathie et appellent tous les Français convaincus par l’efficacité de cette thérapeutique à s’engager pour exprimer leur attachement à cette thérapeutique. Sur le site monhomeomonchoix.fr, vous pourrez signer la pétition mise en ligne. Il est aussi possible d’envoyer une signature avec le mot de code « homéo » par SMS au 32 321.
Trois questions à Charles Bentz, président du SNMHF
P&S : Pourquoi ne peut-on pas évaluer l’homéopathie comme la médecine conventionnelle ?
C. B. : En médecine conventionnelle, on évalue l’action d’un traitement sur une forme pathologique particulière. Par exemple, un anti-inflammatoires sur une inflammation. En homéopathie, un médicament seul ne correspond pas à une classe thérapeutique, puisqu’il pourra agir en tant qu’anti-inflammatoire, mais aussi antidouleur ou antidépresseur. On ne peut donc pas évaluer l’homéopathie en analysant chaque médicament sur une phatologie, comme pour un produit allopathique.
P&S : Quelle méthode d’analyse recommandez-vous pour évaluer l’homéopathie ?
C. B. : Je prendrais exemple sur la grande étude clinique EPI 3 publiée dans des revues de référence, qui a comparé la prise en charge homéopathique sur trois types de pathologies, avec une prise en charge classique conventionnelle. C’est la méthode thérapeutique que l’on a étudiée, et pas le médicament.
P&S : Quel est votre avis sur la méthode employée par la HAS pour évaluer l’homéopathie ?
C. B. : La HAS va donner un avis sur l’ensemble de la méthode thérapeutique homéopathique : elle semble avoir compris qu’on ne peut pas analyser l’efficacité de chaque médicament sur une pathologie. Il est possible qu’ils arrivent à la conclusion que l’homéopathie devrait être indiquée dans tel ou tel type de pathologie, mais je reste néanmoins critique sur le fait de scinder les pathologies en catégories distinctes. Toutefois, une fois l’avis délivré, la décision restera politique. D’où l’importance de se mobiliser pour le remboursement de cette thérapeutique.