L’homéopathie à l’épreuve de l’automédication
La médecine homéopathique ne s’est sans doute jamais aussi bien portée. On la dit dominée par un seul acteur majeur, mais elle demeure pourtant un champ en mouvement où coexistent méthodes à l’ancienne et pratiques innovantes, plus ouvertes. De nouveaux acteurs dynamiques souhaitent rendre cette discipline pointue plus accessible. Pari gagné ?
Depuis son invention par Hahnemann il y a deux siècles, cette médecine ne cesse de provoquer la controverse… tout en faisant de plus en plus d’adeptes ! Malgré une tendance tenace à l’homéo-scepticisme, cette approche médicale gagne au fil des ans ses lettres de noblesse. Jouissant en France d’un statut officiel depuis 1965, elle trouve maintenant sa place dans les foyers de 56 % des Français. Indice de cette appétence croissante, le développement exponentiel de complexes homéopathiques « over the counter » (ou Plusieurs laboratoires homeopathiques possedent aujourd’hui leurs propres jardins. Weleda cultive en biodynamie une parcelle de 1,5 hectare en France et une autre de 22 hectares en Allemagne (Voir P&S n° 149). « Nous sommes convaincus que le mode de culture a un impact sur la qualité des souches homéopathiques », explique son directeur general Florian Petitjean. De leur cote, les laboratoires LG Homeo n’utilisent que les teintures-mères produites aux Jardins de Mazet (Voir P&S n° 150), un petit ecosysteme preserve et sans pesticide situe sur les contreforts meridionaux des Cevennes. Une chaine de production courte et locale permet d’utiliser des plantes fraiches quelques heures a peine apres leur cueillette. Pour ces deux laboratoires, les cueillettes s’effectuent exclusivement a la main. « OTC ») vendus sans ordonnance dans toutes les pharmacies. Le remède Oscillococcinum, des laboratoires Boiron, a ainsi pris la première place sur le créneau des produits anti-rhume et anti-grippe, détrônant même les spécialités allopathiques.
Si ce succès tient en partie au fort investissement marketing réalisé par le numéro un du secteur, les autres acteurs de moindre envergure ne sont pas en reste. Ils proposent eux aussi des complexes « clé en main » associant différentes souches homéopathiques pour répondre aux divers maux du quotidien (toux, nez congestionné, sommeil, troubles digestifs…). Ainsi, les laboratoires Weleda proposent aujourd’hui pas moins de seize complexes. On y trouve par exemple le remède Infludo, qui associe dans un même mélange cinq souches végétales, dont l’aconit et un actif minéral (le fer) pour soulager les états grippaux. Il y a quelques mois, les laboratoires Gilbert, spécialiste ancien des produits de pharmacie familiale, se sont à leur tour lancés dans l’aventure en créant la marque LG homéo, qui propose neuf synergies inédites à base de plantes.
Une démocratisation croissante
Le développement des complexes homéopathiques présente des avantages indéniables. Conçus comme des remèdes de première intention sans effet secondaire, à prendre dès l’apparition des premiers signes d’un problème de santé, ils permettent de limiter le recours spontané aux médicaments allopathiques. Sous cette forme simplifiée, avec des allégations de santé fléchées, l’homéopathie se fait connaître du plus grand nombre. En effet, pour qui veut se soigner en homéopathie, il n’est pas toujours facile de choisir parmi les milliers de remèdes unitaires désignés sous leurs noms latins, puis d’élire la dilution appropriée, les fameux « ch » ou « dh ». Le problème se complique encore quand on sait qu’un même médicament homéopathique peut traiter différentes maladies et que, symétriquement, plusieurs médicaments peuvent agir efficacement sur un même symptôme. Un vade-mecum d’homéopathie estimait ainsi récemment à plus de 79 000 le nombre de symptômes possibles à prendre en compte… De quoi faire tourner la tête. « Ces produits d’automédication facilitent l’accès à l’homéopathie », estime Florian Petitjean, directeur général et pharmacien responsable de Weleda. « Et il ne faut pas être choqué par une telle offre. La notion de complexe homéopathique a toujours existé, Hahnemann lui-même prescrivait plusieurs remèdes. »
Cette démocratisation croissante de l’homéopathie, qui encourage l’auto-prescription, n’est toutefois pas du goût de tous les homéopathes. Ceux-ci constatent en effet, en parallèle, une réduction du nombre de remèdes autorisés à leur disposition pour soigner leurs patients. On les comprend : si la diversité des remèdes unitaires peut présenter un risque pour le consommateur novice, elle demeure un luxe appréciable pour le praticien aguerri en quête de traitements sur mesure. Selon certains spécialistes ces complexes associant plusieurs remèdes prennent à rebours les principes fondamentaux de l’homéopathie, au premier rang desquels l’individualisation de la prescription.
Trop d’arnica va provoquer des bleus
En effet, c’est généralement à la suite d’une analyse approfondie de l’état et de l’histoire du patient, baptisée « anamnèse », que l’homéopathe choisit le remède le plus approprié à sa situation. « Quand on donne un remède homéo adapté à un patient, on soigne la pathologie pour laquelle il est venu, mais aussi souvent le patient dans son ensemble, car on travaille sur le terrain », explique Isabelle Rossi, présidente de l’Association pour la promotion de la médecine homéopathique (APMH).
Par ailleurs, en mélangeant plusieurs remèdes, on risque de solliciter le corps avec des souches pas forcément adaptées au problème, ce qui pourrait générer des déséquilibres. Pour simplifier, à prendre trop d’arnica, on finira par développer des bleus. L’homéopathe uniciste Hélène Renoux tempère toutefois cette analyse : « On touche là les limites de l’automédication, et non celles de l’homéopathie. »
Il est sans doute inutile d’opposer ces deux approches. « Les complexes homéopathiques, ces composés de plusieurs remèdes visant à répondre à une pathologie, sont comparables à des trousseaux de clés », explique Albert-Claude Quemoun, président de l’Institut homéopathique scientifique. « Ils constituent un remède de première intention, pour la santé personnelle ou familiale au quotidien. Mais ça ne remplacera jamais une consultation avec un homéopathe pour des problèmes plus lourds », concède Claire Laurent, ethnobotaniste et conseillère scientifique pour LG Homéo. « L’automédication sensibilise à l’approche homéopathique, et les patients optent souvent dans un deuxième temps pour une prise en charge personnalisée », complète l’homéopathe Hélène Renoux.
À propos de la polyvalence jugée excessive de certains complexes homéopathiques, Claire Laurent explique : « On associe des plantes qui fonctionnent en synergie, où la logique d’amélioration du terrain est toujours prise en compte, audelà de la pathologie elle-même. On n’associe pas plus de trois plantes, de manière à savoir sur quoi on agit. » Ainsi, leur remède HoméoTonyl pour les problèmes d’insuffisance veineuse associe l’hamamélis et le marron d’Inde, pour travailler sur l’élasticité veineuse, au chardon-Marie, pour détoxifier le foie, limiter l’encombrement de la veine porte et éviter ainsi les rechutes. Pour légitimer l’authenticité de leur démarche, ces acteurs s’attachent à respecter des modes de production cohérents avec la philosophie de l’homéopathie, et ce malgré une large distribution. C’est le cas de la dynamisation des remèdes, un geste censé amplifier leur énergie vibratoire et leur efficacité thérapeutique. Plusieurs laboratoires cherchent aussi à faire vivre cet héritage, en insistant sur le respect des matières premières. « Il s’agit de concilier authenticité et modernité ; le développement des complexes homéopathiques ne se fait pas au détriment des médicaments que les médecins prescrivent », souligne Florian Petitjean.
Une approche douce
Car, il ne faut pas le sous-estimer, les médecins restent au coeur de cette discipline. Le homéopathes continuent de prescrire des remèdes personnalisés et ce sont chaque jour 4 000 commandes de remèdes magistraux que Weleda livre aux pharmacies. En dépit de réformes malmenant leur exercice – ils sont par exemple quasiment exclus du secteur 2 – les vocations n’ont pas faibli. Autre phénomène intéressant : la profession, longtemps divisée dans sa manière d’appréhender l’héritage d’Hahnemann, est en train de se rassembler. L’enjeu, outre la mise au point de socles communs de formation, est le partage des recherches et une collaboration accrue.
Par ailleurs, les contraintes réglementaires qui pèsent sur l’homéopathie en France confèrent aux remèdes le statut contraignant (mais aussi protecteur) de « médicament », avec toutes les garanties associées. Et l’on attend ce mois-ci la publication d’une norme européenne censée encadrer dans tous les pays l’enseignement et la pratique de l’homéopathie par les médecins. Enfin, elle séduit aussi de plus en plus par son approche environnementale. Dans un contexte d’inquiétude sur les pollutions en tous genres, associées pour certaines aux médicaments allopathiques, mais aussi sur l’exploitation exagérée de nos ressources naturelles, cette approche douce et peu gourmande en matière première se distingue clairement…
Phyto ou homéo ?
L’homéopathie utilise le règne végétal, mais d’une façon un peu différente de la phytothérapie, même si la frontière est parfois ténue. Rappelons quelques principes.
• La teinture homéopathique, aussi appelée souche, est généralement réalisée avec des plantes fraîches que l’on plonge dans de l’ethanol pour en extraire les principes actifs.
• Le niveau de dilution marque la frontière entre les deux disciplines. Les teintures mères relèvent de la phytothérapie, ainsi que les basses dilutions (1 et 2 DH), car le principe actif est encore dosable. Ce n’est plus le cas dans les hautes dilutions.
• L’homéopathie repose généralement sur le principe de similitude : non dilué, le remède provoque les mêmes symptômes que ceux développés par le malade. L’action s’inverse après dilution, comme pour Coffea (le café) : normalement excitant, il devient calmant en haute dilution. Pourtant le plus souvent, les souches homéo de plantes ont une visée thérapeutique très proche de leurs pendant phytothérapeutique, à quelques nuances près. Cicatrisant dans la tradition phyto, le Calendula répare surtout les blessures psychiques lorsqu’il est utilisé en haute dilution.
Les secrets de fabrique des teintures-mères
D’après la légende, Hahnemann constata que ses teintures-mères étaient plus efficaces quand il les amenait chez ses patients que lorsqu’elles ne sortaient pas de son cabinet. De la à en conclure que les vibrations induites à l’époque par le transport à cheval y était pour quelque chose… C’est pourtant ce qu’il fit, et c’est ainsi qu’il systématisa le principe de la dynamisation par secousses répétées (succution) des teintures-mères. Dans les grands laboratoires comme Boiron, celle-ci s’effectue aujourd’hui de façon mécanique. Chez Sevene Pharma et LG Homéo, c’est la dernière dynamisation qui est réalisée manuellement. Weleda y attache encore tellement d’importance qu’un poste à part entière est dédié à cette mission. La personne, qui doit être calme et concentrée, dynamise la teinture-mère en berçant doucement le récipient. Pour les végétaux l’opération dure 2 minutes 30 dans le silence. La teinture est dynamisée à chaque dilution au dixième.