Le clou de girofle, une épice sans frontière
© Riza_Azhari
Une fois séché, ce bouton floral issu de cultures de girofliers principalement indonésiennes et malgaches devient un condiment à l'arôme puissant qui a ses adeptes dans les cuisines du monde. C'est aussi un remède anti-inflammatoire et antalgique, aux multiples possibilités d'associations.
« Sans clou de girofle, pas de pot-au-feu » : parole de Bourguignonne ! C'est ma grand-mère qui disait cela, et la négociation n'était pas possible. « En plus, c'est bon pour la digestion, contre les infections urinaires et pour l'amour dans les couples », ajoutait-elle. Finalement, je n'ai pu identifier l'arôme du clou de girofle qu'à partir du moment où l'on m'en a privé : un mauvais pot-au-feu, une choucroute bas de gamme, un vin chaud dénué d'âme… Sans clou de girofle, il leur manque une profondeur : du piquant, de l'amertume, une fin de bouche métallique caractéristique. Bien que clivant, son goût se retrouve dans nombre de recettes populaires : en Inde dans le tchaï (thé aux épices) ; au Maroc dans la composition du ras el-hanout ; à la Réunion dans celle du massalé ; au Sri Lanka dans le colombo…
« Ceux qui apprécient le clou de girofle peuvent aussi bénéficier de ses multiples vertus. Outre le fait qu'il contient des vitamines A et E et des bêtacarotènes, il possède une molécule puissante : l'eugénol, détaille Aline Mercan, médecin généraliste et auteure du Manuel de phytothérapie écoresponsable (Terre vivante). C'est un antiseptique et anesthésique qui peut diminuer certaines inflammations et douleurs, ainsi qu'un léger fébrifuge. Antibactérien, le clou de girofle intègre également certains bains de bouche et pansements anesthésiques utilisés par les dentistes.
Une épice convoitée et chère
Cette utilisation pour l'hygiène bucco-dentaire figurerait d'ailleurs parmi les premières, puisqu'elle apparaît dans le Râmâyana – poème épique indien d'il y a 3 000 ans – où le clou de girofle est cité pour rafraîchir l'haleine. Depuis, en Indonésie et en Chine, tout apothicaire digne de ce nom possède son bocal de clous de girofle qui, avec le temps, est entré dans la formulation de diverses préparations. « En pharmacie comme en remèdes maison, il est presque toujours associé à d'autres plantes et épices, en partie à cause de la puissance de son arôme », nous apprend Arnaud Sion, créateur du Comptoir de Toamasina, un site d'e-commerce spécialisé dans la vanille et les épices. En Indonésie, premier producteur au monde de clous de girofle, il sert essentiellement à l'aromatisation des cigarettes Kretek, qui consument 95 % de la récolte du pays. Ainsi, c'est Madagascar qui s'érige en premier pays exportateur.
Si l'Indonésie affirme être le berceau du giroflier – Syzygium aromaticum ou Eugenia caryophyllata –, une récente découverte de clous de girofles calcinés sur un site archéologique de Terqa en...
Syrie permettrait d'explorer la piste d'une existence antérieure, dès 1 700 av. J.-C. Toujours est-il que c'est le XVIe siècle qui marque le début de sérieuses convoitises sur cette plante aromatique par les colonisateurs, notamment les Portugais. Ces derniers allèrent jusqu'à brûler une grande partie des plantations indonésiennes afin de s'approprier le clou de girofle et de l'exploiter sur l'île de Ternate, dans l'archipel des Moluques, où ils implantèrent leur premier établissement permanent de contrôle du commerce d'épices.
Recette de mère Nature
Des associations de bienfaiteurs
- Avec le citron, un grog anti-infectieux : Dans une casserole, faire frémir 10 minutes 1 tasse ½ d'eau, ½ citron pressé, 1 c. à café de thym, 1 bâton de cannelle et 3 clous de girofle. Filtrer et boire bien chaud quand les virus attaquent la sphère ORL et urinaire.
- Avec la ronce, une tisane anti-inflammatoire : La ronce a l'intérêt de se trouver facilement en bordure des jardins (prendre les feuilles hautes, non contaminées par les déjections animales). En cas d'angine carabinée, faire infuser 15 minutes 1 c. à café de feuilles de ronces avec 2 ou 3 clous de girofle dans une tasse d'eau bouillante et boire chaud. À renouveler 3 fois par jour, effet légèrement anesthésiant à la clé. La tisane peut aussi être utilisée en gargarisme.
- Avec les baies de sureau, un sirop : Faire mijoter 2 bols de baies de sureau noir (Sambucus nigra) dans assez d'eau pour les recouvrir. Quand la préparation est colorée, passer au chinois. Porter le jus à frémir avec 4 à 10 clous de girofle, 3 bâtons de cannelle et 10 g de racine de gingembre fraîche. Sucrer si désiré. Au bout de 30 min, filtrer et conserver dans une bouteille en verre au frigo jusqu'à 6 mois. Prendre 2 c. à s. dans une tasse d'eau chaude, pour prévenir les maux de l'hiver.
- Avec le vinaigre, une lotion protectrice : Dans une bouteille de 1 litre de vinaigre de cidre, faire macérer 21 jours 16 g de thym, idem de sauge, romarin et lavande, avec 2 g de clous de girofle, idem de cannelle, muscade et ail râpé. Filtrer. À appliquer par friction sur les mains et les pieds, ou les zones à protéger du froid et des virus. Ce vinaigre est aussi efficace en inhalation : 1 à 2 c. à soupe dans un bol d'eau bouillante, dès les prémices d'un rhume. Conservation : 2 à 3 ans à température ambiante.
- Avec l'huile d'argan, un masque capillaire : Laisser macérer 10 clous de girofle dans un flacon d'huile d'argan, durant 10 jours. Appliquer une bonne quantité sur le cuir chevelu. Masser vigoureusement avant le shampoing. Pour stimuler la repousse, essayer avec l'huile de ricin.
Très concentrés en principes actifs
Le clou de girofle devient alors une épice très chère, d'autant qu'on se rend compte qu'avec le sel, il participe à la conservation des aliments sur les bateaux. Au XVIIIe siècle, le botaniste et agronome Pierre Poivre introduit le giroflier dans les colonies françaises : en Isle de France (l'île Maurice actuelle), en Guyane et au nord de Madagascar. Cueillis en novembre (juste avant la floraison), les boutons floraux sont séchés sur place pendant un mois au soleil. Ils prennent alors la forme de petits clous, très concentrés en principes actifs et arômes, et leur couleur passe du vert au rouge foncé, voire brun. « Attention, si elle est noire, c'est qu'ils ont trop séché ! », précise Arnaud Sion.
Les girofliers forment aujourd'hui à Madagascar de véritables canopées. Ils sont souvent associés aux plantations de vanille, qu'ils surplombent du haut de leurs 10 à 15 mètres. Mais le Brésil s'y intéresse aussi. « L'Université fédérale brésilienne investit depuis un an dans une étude prometteuse sur le clou de girofle, tandis qu'au sud de l'État de Bahia, entre Valença et la frontière avec Espirito Santo, les cultures de girofliers se multiplient. Il faudra attendre dix ans pour que les exploitations deviennent rentables, si les dérèglements climatiques ne déjouent pas ce calcul ! », espère-t-il.
Autrement, d'aucuns misent sur la culture de giroflier sous serre, notamment en France, mais je fais de bien meilleurs souhaits pour son avenir en piquant quelques clous de girofle dans une orange pour parfumer ma table d'hiver… (
Un « rendement » élevé
Un seul kilo de clou de girofle permet d'obtenir en moyenne 16 g d'huile essentielle (HE), l'un des meilleurs rendements du marché. Mais la fabrication de cette HE exige de grandes quantités de bois pour chauffer les alambics pendant la distillation. Aussi, mieux vaut réserver son utilisation aux affections difficiles à traiter comme les mycoses des pieds (ne jamais l'utiliser pure, mais la diluer à 5 % dans une HV de millepertuis et appliquer 2 fois par jour pendant 2 à 3 semaines). En cas de syndrome de l'intestin irritable et d'aérophagie, vous avez intérêt à lui préférer l'extrait alcoolique de giroflier (à raison de 20 à 30 gouttes 2 à 3 fois par jour, indique Aline Mercan).
À lire
Se soigner toute l'année au naturel, par Jean-Christophe Charrié, Prat Editions.
Tisanes santé, par Sébastian Pole, éd. Marie Claire.