Michel Pierre « Herboriste reste aujourd’hui un métier à risque »
À l’herboristerie du Palais-Royal, Michel Pierre oeuvre depuis 45 ans. Condamné à une peine symbolique en 2013 pour exercice illégal de la pharmacie, il continue aujourd’hui de se battre pour la reconnaissance officielle de son métier. À la veille du Congrès des herboristes, il fait le point sur les principaux enjeux de cette profession.
Plantes & Santé Cinq ans après votre condamnation pour exercice illégal de la pharmacie, quelle est votre vision de la profession ?
Michel Pierre Les choses n’ont pas beaucoup changé. Un pharmacien peut vendre des plantes dans son officine à côté des médicaments, mais il ne peut toujours pas ouvrir une boutique pour ne vendre que des plantes. C’est quand même un sacré paradoxe, et ce n’est pas le seul ! Il existe plus de 500 plantes qui peuvent être vendues en tant que compléments alimentaires. Bientôt il y en aura 1 000, mais il n’y a toujours pas d’autorisation de vente de la plante seule en vue… Par exemple, la bruyère ne peut toujours pas être vendue en plante sèche, alors même qu’elle est plus efficace contre les cystites en tisane qu’en gélule, car elle oblige ainsi à boire. C’est le monopole du tiroir-caisse et pas des compétences ! Et aujourd’hui les procès contre les herboristes continuent. Le bon côté que j’y vois, c’est que si l’on veut faire avancer les choses dans notre métier, on peut espérer que la jurisprudence nous aide à ce que le cadre réglementaire évolue. En ce sens, j’aurais aimé que mon procès fasse jurisprudence, parce qu’aujourd’hui la réglementation n’est pas cohérente. Il reste que l’autorisation de 500 nouvelles plantes dans les compléments alimentaires constitue une bonne nouvelle. On peut y voir une première étape vers l’autorisation de la vente des plantes en tant que telles.
P. & S. Se revendiquer herboriste, c’est donc s’exposer à des poursuites judiciaires ?
M. P. Je fais honnêtement mon travail. Je m’en tiens aux plantes qui sont autorisées à la vente en m’assurant de leur provenance, de leur traçabilité, qu’il n’y a pas d’interactions médicamenteuses, etc. Le risque, ce serait de ne pas aider les gens, et de leur vendre des plantes sans les conseils qui vont avec. Ce serait de la non-assistance à personne en danger. Je n’ai ni tué ni volé ! Je ne comprends pas cet acharnement de la part de l’Ordre des pharmaciens à notre égard. Enfin si, je le comprends : ils sentent que le marché des plantes monte et qu’il leur échappe. Mais ce que je veux dire, c’est que plutôt que de partir en procédure systématiquement, il serait plus simple de trouver un accord. Avec la DGCCRF, c’est comme cela que ça se passe, et c’est bien mieux pour tout le monde.
P. & S. Votre herboristerie connaît un grand succès. Au-delà des produits, qu’est-ce que les clients viennent chercher chez vous ?
M. P. Dans une herboristerie, les clients viennent chercher des produits naturels, de confort et sans effets secondaires pour pouvoir venir en soutien de leur traitement. On n’est pas là pour vendre des panacées, on est là pour aider nos clients à choisir la plante qui leur convient le mieux et les informer en respectant une certaine éthique. D’autant qu’il est interdit de mettre des allégations sur les paquets. C’est un métier très exigeant : nous passons environ dix minutes avec chacun de nos clients, et il faut peser ce que l’on dit et ne pas faire de fausses promesses. Et là encore, il y a de l’hypocrisie, puisque certains médecins après avoir fait le diagnostic, nous envoient leurs patients, mais sans ordonnance. Souvent parce qu’ils ne connaissent pas assez la pharmacopée. Ce côté informel est grave. Je pense que c’est notre rôle de faire en sorte que ces étrangetés changent.
P. & S. Et pour les produits, est-ce facile de trouver des fournisseurs de qualité ?
M. P. Globalement, je n’ai pas de mal à trouver des fournisseurs. Toutefois, pour les plantes biologiques, c’est un peu plus compliqué. Je n’en ai aujourd’hui que 30 à 40, car elles sont très recherchées par les distillateurs pour faire de l’huile essentielle. Sinon, j’importe des plantes du monde entier qui sont contrôlées par nos fournisseurs. Ils analysent la présence de métaux lourds, d’insecticides et de pesticides et nous fournissent une traçabilité des plantes. Celles-ci sont stockées dans nos deux locaux de 500 m2 chacun.
P. & S. Aujourd’hui, quelles sont vos aspirations, en tant que président du Synaplante, le Syndicat des herboristes ?
M. P. Si j’avais vingt ans de moins, je lancerais un appel à tous les herboristes européens pour qu’ils viennent s’installer en France ! En Allemagne, il y a aujourd’hui entre 5 000 et 6 000 herboristes. Même chose en Italie et en Pologne : il y a plus d’herboristeries que de pharmacies, contre 55 boutiques spécialisées dans notre pays. Les plantes médicinales font partie de la culture européenne. Aujourd’hui, je me bats pour le rétablissement du diplôme d’herboriste, qui a disparu depuis 1941 en France, pour qu’il y ait des gens formés qui puissent vendre des plantes et que le public ait face à lui des personnes compétentes. Il existe cinq écoles associées au sein de la Fédération française des écoles d’herboristerie qui dispensent une formation de 3 ans. L’idée serait d’établir un « programme commun » avec des cours sur les propriétés des plantes et sur la physiologie. Les facultés donnent également des cours d’herboristerie dans le cadre de diplômes universitaires sur la phytothérapie clinique. D’ailleurs, il serait sans doute intéressant de privilégier les personnes qui ont déjà fait des études paramédicales pour le futur diplôme. Ce qui est sûr, c’est que le diplôme devra être exigeant. Et si l’on tend à plus de professionnalisation, on ne veut surtout pas aller vers une industrialisation de notre métier.
P. & S. Êtes-vous optimiste pour l’avenir de l’herboristerie ?
M. P. Aujourd’hui, les choses bougent sous l’effet de la force tranquille de la population, de plus en plus friande des conseils des herboristes. Le métier a déjà évolué : on vend par exemple des compléments alimentaires en plus de nos tisanes. L’herboristerie est un métier à part entière. Alors, bien sûr, quand des personnes arrivent et nous disent « j’aimerais telle plante parce que j’ai lu qu’elle servait à cela, nous ne pouvons nous en tenir là ». Notre mission est de les orienter vers ce qu’ils recherchent, pas de leur vendre ce vers quoi Internet les orientés. À ce propos, Synaplante a d’ailleurs créé un code de déontologie que les adhérents doivent s’engager à respecter. Mais je ne suis pas particulièrement inquiet pour l’avenir. Chaque année, je vends 40 tonnes de plantes. Mon herboristerie tourne avec 15 employés tout aussi différents que complémentaires, et un conseiller juridique nous épaule au quotidien. Et je suis content de pouvoir dire que ma fille est prête à prendre la relève. Mais je l’ai prévenue, herboriste est un métier à risque, et il faudra encore prévoir une part du budget prévisionnel pour payer les amendes… Qui aurait pu penser d’ailleurs que cette profession ancestrale puisse faire figure de métier à risque ?
Parcours
1972 Rachète l’herboristerie du Palais-Royal à Paris.
1982 Publie Les Plantes de l’herboriste, éd. R. Jauze
2013 Poursuivi pour « exercice illégal de la profession de pharmacien » par l’Ordre des pharmaciens, relaxé puis condamné en appel à deux amendes symboliques avec sursis.
2014 Publie Les Plantes du bien-être, éd. du Chêne
2015 Création de Synaplante, le syndicat des herboristes, dont il est aujourd’hui le président.
2018 Organisation de la 6e édition du congrès des herboristes à Bayonne.
Un congrès de mobilisation
Le syndicat Synaplante organise la 6e édition du Congrès des herboristes les 21 et 22 avril à Bayonne. Centré autour du thème « L’herboriste de comptoir au coeur de la filière plante », il se veut l’occasion de faire le point sur la situation de la profession. Mais aussi de mettre en valeur les herboristes en tant que professionnels qui connaissent les plantes et prennent le temps de conseiller leurs clients. Ce week-end sera également l’occasion d’accueillir la nouvelle génération, qui compte bon nombre de pharmaciens. En mobilisant toute la profession le temps de ce congrès, les herboristes souhaitent faire parler d’eux, mais aussi interpeller les pouvoirs publics pour faire avancer les choses vers une reconnaissance officielle de leur métier et de leur expertise. (www.weezevent. com/6-eme-congres-des-herboristes)