Corinne Sombrun: « La transe n'est pas uniquement réservée aux chamanes »
À l'occasion de la sortie du long-métrage Un monde plus grand le 30 octobre, qui retrace son expérience avec les chamanes mongols, Corine Sombrun nous éclaire sur la pratique de la transe. Une discipline étonnante dont les effets sont désormais étudiés par les neurosciences.
Plantes & Santé. Quelle est la place de la transe dans la pratique chamanique ?
Corinne Sombrun. Elle est au cœur de la pratique du chaman. En Mongolie, elle est atteinte par le son et les rythmes du tambour. Elle vise à se connecter au monde des esprits qui, dans ces traditions chamaniques, sont les garants de l’harmonie dans le monde. Durant cet état, la force augmente, la perception de la douleur diminue, et on atteint des informations non accessibles dans un état de conscience ordinaire (sur le futur par exemple). Tout à coup, on devient autre chose que ce que l’on a l’habitude de percevoir de nous-même. Un animal ou un personnage peuvent nous « posséder ». Une fourmi, un champignon, un arbre, un vieil Indien… Moi, je me suis transformée en loup la première fois. Selon les chamanes, ces informations viennent des esprits. C’est extrêmement fort !
Plantes & Santé. Les chamanes mongols utilisent-ils des plantes autour des cérémonies chamaniques ?
Corinne Sombrun. Non, mis à part le genévrier qui est brûlé comme un encens pour purifier le lieu ou l’atmosphère. Concernant l’usage des plantes à but thérapeutique, la pharmacopée est restreinte, mais les feuilles de patte de loup les aident à contrer la fièvre. Ils utilisent beaucoup moins de plantes qu’en Amazonie où la forêt est une vraie pharmacie !
Plantes & Santé. Votre expérience personnelle au cours de vos longs séjours en Mongolie, vous a amené à avoir une autre approche de la transe…
Corinne Sombrun. Au début des années 2000, la transe est encore décrite par les anthropologues comme un phénomène culturel de théâtralisation. Il n’est pas question d’effets cognitifs. Confrontée à cette réalité, j’ai voulu comprendre scientifiquement ce que le tambour provoquait dans mon cerveau pour me mettre dans cet état. À 40 ans, on pense se connaître et d’un coup on se transforme en loup ! Suite aux recherches effectuées sur le sujet, on parle aujourd’hui de « transe cognitive » dans la mesure où il est démontré que c’est un potentiel cognitif. Pour la science occidentale, les informations auxquelles on accède lors d’une transe sont des fréquences qui sont autour de nous, auxquelles on a d’avantage accès dans cet état.
Plantes & Santé. Concrètement, que provoque l’état de transe sur le cerveau ?
Corinne Sombrun. En général, l’hémisphère gauche du cerveau (celui de la pensée analytique) prédomine sur l’hémisphère droit (plus intuitif). On a remarqué au cours d’expériences que l’hémisphère droit devenait prédominant en état de transe. La perception de l’ego, du « Je », du « Qui je suis » est diminuée, tandis que la connexion avec notre environnement s’intensifie.
Une histoire hors norme portée à l‘écran
Inspiré par l’expérience réellement vécue de Corine Sombrun, le film Un monde plus grand, nous propulse dans les paysages époustouflants de la Mongolie. Partie dans un campement Tsaatan pour enregistrer des chants traditionnels, elle rencontre la chamane Oyun qui va bouleverser sa vie. Oyun lui annonce en effet qu’elle possède un don rare et qu’elle doit se former aux savoirs chamaniques. Corine Sombrun repart alors à la découverte d’un pouvoir personnel on ne peut plus déstabilisant. Un récit envoûtant porté par une excellente Cécile de France, et ponctué de séquences de transe saisissantes.
En salles, le 30 octobre 2019.
Plantes & Santé. Y a-t-il des similitudes entre l’état de transe et l’état méditatif, ou l’état de conscience modifiée par les plantes comme l’ayahuasca ?
Corinne Sombrun. La transe cognitive et l’état méditatif sont tous deux des états de conscience modifiés, comme les rêves, ou l’hypnose. En ce qui concerne les effets provoqués par la prise d’ayahuasca, on appelle ça plutôt « un état altéré de conscience », puisqu’on oblige le cerveau à se modifier sous l’effet d’une plante psychoactive.
Plantes & Santé. Vous avez obtenu que la transe soit étudiée par les neurosciences. Où en est-on aujourd’hui ?
Corinne Sombrun. Très peu d’études ont été réalisées car cet état assimilé à la folie fait peur. On vient donc de créer le Trance Science Research Institute, une structure officielle qui valide le sérieux des études mises en place. On étudie la transe cognitive au CHU de Liège avec Steven Loreys, spécialiste des états modifiés de conscience. En 2018, le premier protocole intégrant la transe cognitive parmi les états modifiés de conscience référencés a été réalisé. En juin dernier, le cerveau de 27 « transeurs » avec des électrodes sur la tête a été analysé. Ce sera la première étude au monde qui démontre que la transe est un potentiel du cerveau, au même titre que l’état méditatif.
Plantes & Santé. La transe cognitive peut-elle guérir certaines pathologies ?
Corinne Sombrun. Ça ne fait pas des miracles, mais on suppose d’après les premiers tests réalisés qu’elle enclenche certains processus de guérison, notamment en rééducation. La transe développe l’apprentissage intuitif : apprendre sans avoir à apprendre. Le cerveau trouve plus facilement des alternatives à certains circuits neuronaux qui sont abîmés. Tout à coup, on sait quels mouvements faire pour débloquer son bassin par exemple. Une étude réalisée en 2007 dans un hôpital psychiatrique au Canada, a aussi comparé l’état de transe à des groupes de patients atteints de pathologies mentales. L’activité du cerveau en transe était similaire à celle des patients souffrant de schizophrénie, de manie et de dépression. La transe pourrait donc également devenir un futur outil de la psychiatrie : tout comme on sort d’une transe, on pourrait quitter un état psychique pathologique.
Plantes & Santé. Est-ce que tout le monde peut vivre une transe ?
Corinne Sombrun. Je crois sincèrement que la transe n’est pas uniquement réservée aux chamanes. Je parle là de la véritable transe et non des effets des cercles de tambour, qui ont lieu aujourd’hui et qui relèvent plutôt de l’imagination active. La transe est un potentiel cognitif auquel on a tous accès plus ou moins facilement. Mais il faut se montrer prudent dans sa pratique, en étant accompagné d’une personne capable de vous ramener en cas de décompensation (lorsqu’on ne revient pas à son état habituel). Aussi avec l’équipe de chercheurs, nous avons développé des outils sonores qui permettent de faire vivre une transe chez 80 % des personnes à la première écoute, contre une personne sur 100 000 au son du tambour.
Plantes & Santé. Auriez-vous imaginé un jour que votre histoire inspirerait un film ?
Corinne Sombrun. Pas du tout. Mais cela vient de l’engouement pour ces sujets. On se rend compte que si l’intelligence analytique n’est pas compensée par une intuition qui nous connecte à l’environnement, on est déséquilibré. Il ne faut pas oublier qu’au départ, l’humain vit dans un milieu hostile. Depuis des millions d’années, il a tout fait pour s’extraire de la nature, ne plus en dépendre jusqu’à s’en déconnecter. Nous sommes arrivés au bout de ce processus, et la prochaine étape, c’est d’apprendre à vivre à nouveau avec le monde naturel.
Parcours de Corine Sombrun
De 1961 à 1968 Enfance à Ouagadougou au Burkina Faso
1968 Retour en France
1980 Études de musicologie
1999 Départ à Londres
2001 Reportage en Mongolie pour BBC World Service
2002 Journal d’une apprentie chamane, éd. Albin Michel
2004 Mon initiation chez les chamans. Une Parisienne en Mongolie, éd. Albin Michel
2007 Premier protocole pour l’étude de la transe avec le neuropsychiatre Pierre Flor-Henry à l’Alberta Hospital d’Edmonton, au Canada
2012 Les esprits de la steppe. Avec les derniers chamanes de Mongolie, éd. Albin Michel
2017 Flor-Henry et al.2017, première publication scientifique sur la transe
2018 Première collaboration avec le neurologue Steven Laureys au CHU de Liège, en Belgique
2019 Création du Trance Science Research Institute. Sortie du film Un monde plus grand.